Rapport de visite du centre hospitalier du Forez à Montbrison (Loire)
Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, au ministère de la santé auquel un délai de huit semaines a été fixé pour produire ses observations. A la date de publication de ce rapport, aucune observation n’a été produite.
Synthèse
Trois contrôleurs du contrôle général des lieux de privation de libertés (CGLPL) ont effectué une mission inopinée du 11 au 14 septembre 2017 au centre hospitalier du Forez.
Le centre hospitalier du Forez (CHF) a été créé le 1er janvier 2013 suite à la fusion administrative des centres hospitaliers de Feurs et de Montbrison, villes distantes de 22 km. Le CH du Forez compte 429 lits et places dont 34 lits d’hospitalisation complète en psychiatrie, pour l’ensemble des deux secteurs distincts de Montbrison et de Feurs.
Créées en 2002, ces deux unités d’hospitalisation sont installées sur un même site géographique, au CH de Montbrison, et dans un même bâtiment. Elles sont placées sous la responsabilité d’un même chef de service.
Les contrôleurs ont constaté de graves carences organisationnelles du pôle de psychiatrie à l’origine de pratiques hétérogènes entre les unités de soins.
II n’existe pas de projet de pôle définissant une politique avec des objectifs et un organigramme. La communauté médicale n’est pas structurée dans un schéma de prise en charge des patients et de responsabilisation. La coopération interdisciplinaire entre médecins et soignants n’est pas organisée. Aucun compte-rendu de réunions institutionnelles n’a pu être produit. L’absence d’implication de l’équipe médicale à tous les niveaux du pôle semble être à l’origine de cette situation.
Les deux unités d’hospitalisation à temps complet ont un fonctionnement et des pratiques hétérogènes. À titre d’exemple, les activités culturelles, sportives ou thérapeutiques sont quasi inexistantes dans une unité, au motif d’un manque de personnel compétent, et totalement absentes dans l’autre, par volonté délibérée des médecins, qui considèrent qu’il s’agit d’une unité d’urgence. En conséquence, les patients, quel que soit leur statut, sont abandonnés quotidiennement au désœuvrement.
Les statistiques dont dispose l’hôpital ne sont pas cohérentes, voire contradictoires. Il semble néanmoins que la proportion des patients accueillis en soins sans consentement soit supérieure à la moyenne nationale, et que, parmi ceux-ci, le recours à des procédures d’urgence représente, selon les années 40 à 50% des admissions. Ces procédures, moins respectueuses que les autres droits des patients, doivent, conformément à la loi, demeurer exceptionnelles.
La méconnaissance des articles L. 3211 à L. 3216 du Code de la santé publique conduit l’établissement à faire usage de contraintes sans titre.
Le personnel médical, soignant et administratif n’a jamais reçu de formation sur les règles législatives applicables aux soins sans consentement qui constituent pourtant le statut d’admission de plus de 50 % des patients.
La notification des décisions et l’information sur la situation juridique, les droits, les voies de recours et les garanties offertes par l’intervention du juge des libertés et de la détention, condition de la régularité de la mesure d’admission en soins sans consentement, s’en trouvent considérablement affectés.
Les décisions d’admission prises par le directeur de l’établissement sont systématiquement postérieures à l’hospitalisation du patient. En effet, outre les certificats médicaux initiaux, elles visent toutes le certificat des 24 heures ; cette situation est constitutive d’une période d’hospitalisation sous contrainte sans titre.
La méconnaissance de l’art. L. 3222-5-1 du Code de la santé publique est à l’origine d’un recours à l’isolement qui n’est maîtrisé ni dans son principe ni dans ses modalités.
Aucune formation n’a été dispensée et il n’existe pas de procédure actualisée rédigée à l’intention du personnel. La pratique de l’isolement est pourtant loin d’être exceptionnelle ; elle est souvent couplée à une contention. Selon les données communiquées par le CHF sur les 196 mesures de soins sans consentement déclarées 77, soit 40 % ont fait l’objet d’une mesure d’isolement.
Certaines mesures d’isolement peuvent durer plusieurs mois avec des mises sous contention intermittentes de plusieurs jours selon l’appréciation du médecin. La justification clinique de ces mesures de privation de liberté est souvent peu argumentée dans les dossiers. Au premier semestre 2017, 307 mesures de contention ont été répertoriées, concernant 48 patients. Rien ne permet donc de penser que l’isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours ni que tout est mis en œuvre pour qu’elles soient le plus brèves possibles ; certains témoignages recueillis évoquent même des mesures d’isolement à caractère punitif.
De surcroît, si les contentions « cinq points » sont les plus utilisées, des contentions « huit points » ont été répertoriées par les contrôleurs, pratique que le CGLPL n’avait jusqu’alors jamais observée. Les chambres d’isolement ne disposent d’aucun système d’appel, le patient est donc contraint de crier ou de frapper à la porte pour se signaler s’il n’est pas attaché.
Il n’existe aucune réflexion collective partagée sur le recours à l’isolement et à la contention, ce qui est à l’origine d’un désarroi du personnel soignant qui ne sait à qui s’adresser, mais a conscience de ne pas exercer sa fonction de manière satisfaisante. La prise en charge d’une patiente en soins sans consentement a ainsi donné lieu plusieurs mois de suite à des décisions médicales d’isolement de quinze jours à trois mois et de contention de cinq points voire huit points de plusieurs jours, créant un malaise du personnel soignant partagé sur la nécessité de ces soins. A priori aucune discussion n’a eu lieu avec les médecins.
Enfin les services des urgences pratique la contention de manière systématique, sans justification clinique ni traçabilité.
Les services d’accueil des urgences des deux sites du centre hospitalier du Forez sont les points d’entrée quasi exclusifs de l’admission en psychiatrie, notamment pour toutes mesures de soins sans consentement. Sur le nombre de mesures prises en 2016 plus de 65 % sont des mesures de soins à la demande d’un tiers relevant de la procédure d’urgence ; or cette procédure, qui permet de se dispenser, pour prononcer l’admission du patient, de la présence dans les dossiers d’un premier certificat médical d’un médecin n’exerçant pas doit être exceptionnelle et être justifiée par un risque grave d’atteinte à l’intégrité physique du patient ; elle ne doit en aucun cas être utilisée dans le seul but d’alléger la procédure d’ASDT.
Ainsi presque toutes les tentatives de suicide font l’objet de ce type de placement. Le patient est immédiatement contenu au sein de ce service un lit est d’ailleurs pré-équipé avec du matériel de contention et transféré en secteur d’isolement sous réserve de la disponibilité d’une chambre. En l’absence de disponibilité le patient est gardé contenu dans le couloir des urgences et admis, dans l’attente d’un lit disponible en psychiatrie, dans l’unité d’hospitalisation de soins de courte durée, la contention étant maintenue. Le recours à la contention aux urgences se pratique quatre à cinq fois par semaine. Il ne fait l’objet d’aucune traçabilité. Les praticiens évoquent l’engagement de leur responsabilité en cas de passage à l’acte pour justifier cette pratique.