Rapport de la troisième visite du centre pénitentiaire de Poitiers-Vivonne (Vienne)
Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, aux ministères de la justice et de la santé auxquels un délai de quatre semaines a été fixé pour produire leurs observations. A la date de publication de ce rapport, aucune observation n’a été produite.
Synthèse
Huit contrôleurs ont visité le centre pénitentiaire de Poitiers-Vivonne du 8 au 18 janvier 2024. Il s’agissait de la troisième visite de l’établissement, faisant suite à un premier contrôle réalisé en avril 2012 et à un deuxième, en février 2015. Les éléments relevés lors des précédentes visites sont repris, en tant que besoin, dans différentes parties du présent rapport.
Si des efforts indéniables sont conduits pour assurer la maintenance et la propreté des lieux, les prestations étant bien assurées, la suroccupation rend indignes les conditions d’hébergement. Les lieux apparaissent plus dégradés à la maison d’arrêt des hommes (abords et cours sales, certaines cellules mal entretenues, etc.). Au moment du contrôle, le taux d’occupation était de 160 % à la maison d’arrêt des hommes, de 180 % à la maison d’arrêt des femmes, proche des 100 % en centres de détention (CD). L’encellulement individuel est résiduel dans les maisons d’arrêts, qui comptaient 56 matelas au sol au 17 janvier 2024. La surface laissée à chaque personne, dans une cellule occupée à trois avec matelas au sol, une fois déduites les emprises des sanitaires, ameublements et matelas, est de moins de 3 m² par personne, ce qui constitue une présomption d’indignité au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Certains équipements sont insuffisants (absence de lampes de chevet, portes battantes des sanitaires qui ne préservent pas l’intimité), ou ne peuvent pas être adaptés faute de place.
Dans un tel contexte, le centre pénitentiaire a cédé à la tentation de la fermeture. Les régimes en portes fermées sont majoritaires, même au centre de détention des hommes. Il n’est pas exceptionnel que les personnes y passent plus de 12 heures enfermées d’affilée. Le module de respect mis en place, avec règlement intérieur et permis à point, n’y est réservé qu’à certains profils et peut revêtir un caractère infantilisant, notamment pour des moyennes et longues peines. A la maison d’arrêt des hommes, où n’existe aucune progressivité des régimes, les personnes peuvent renoncer aux promenades, et passer 22 heures en cellule.
La protection de l’intégrité physique et psychique est en effet plus difficile à assurer, dans un contexte de suroccupation, aggravée par les désencombrements des maisons d’arrêt de la région, et de personnel de surveillance en sous-effectif. Lors des promenades, les coursives sont laissées sans surveillance, particulièrement à la maison d’arrêt des hommes. Le rapport numérique défavorable limite les interventions des surveillants en promenade. Or, les phénomènes de violence, favorisés par la suroccupation et les trafics par drones, tendent à augmenter ; des rixes très violentes en cours de promenade ne sont pas exceptionnelles. Les agents, souvent isolés, parfois peu expérimentés, n’ont pas toujours acquis les bonnes attitudes professionnelles, et il est fait état de paroles ou gestes inappropriés (notamment lors des fouilles intégrales). Il est constaté le caractère quasi systématique de l’usage des moyens de contrainte lors des extractions médicales ainsi que de la présence des escortes lors des soins.
Le centre pénitentiaire de Poitiers-Vivonne est toutefois apparu comme un établissement en pleine évolution. Le déploiement renforcé des caméras et, récemment, d’équipements de sécurité passifs, tend à prévenir certaines situations. Les images sont utilisées en commission de discipline mais également pour l’analyse des pratiques professionnelles. Un protocole a été signé avec le Parquet et les forces de l’ordre. Des mesures disciplinaires et des signalements aux autorités judicaires en application de l’article 40 du code de procédure pénale ont été diligentés. Un plan local de lutte contre les violences a été mis en place.
Les diverses réunions de service, débriefings en bâtiment, commissions pluridisciplinaires uniques, etc., ont été rétablis ou réorganisés, de façon à renforcer les liens professionnels et institutionnels, qui faisaient parfois défaut, ainsi que le rôle de l’encadrement intermédiaire – malheureusement fragile par manque d’effectif. La direction a remis en place un plan de formation adapté.
Le centre pénitentiaire, équipé pour recevoir des personnes à mobilité réduite, situé à proximité de deux établissements de santé de taille importante, et doté d’un service médico-psychologique régional, doit régulièrement accueillir des personnes porteuses de pathologies lourdes : patients en fin de vie, personnes atteintes de troubles du comportement, de maladies psychiatriques, personnes âgées ou en perte d’autonomie. Une réflexion sur l’incompatibilité des états de santé avec la détention doit être conduite en lien avec les magistrats.
Le nombre de suicides et de placement en cellule de protection d’urgence en 2023 interpellent. Toutefois, un plan de prévention du risque suicidaire, qui est apparu très complet, était en cours de déploiement depuis six mois lors du contrôle.
Les équipes médicales rencontrées, particulièrement dynamiques, favorisent une offre de soins adaptée. Au travers de l’unité sanitaire de la structure d’accompagnement à la sortie, elles sont un acteur de la réinsertion, proposent des programmes de réhabilitation médico-sociale, des activités et des sorties thérapeutiques. L’accueil de jour au service médico-psychologique régional, géré en mixité et en portes ouvertes, est apparu comme un outil pertinent d’une filière de soins qui intègre le milieu ouvert, en aval et en amont de la détention.
Le droit d’accéder à des activités se heurte à différentes limitations. D’une part, l’offre de travail et de formation reste insuffisante (seuls 23 % des personnes détenues occupent une activité rémunérée au moment du contrôle), même si l’implantation récente d’une entreprise adaptée est à saluer. D’autre part, il manque des équipements (en cours de promenade : peu d’agrès hormis quelques barres de traction ; en salles d’activités en bâtiment, souvent nues).
Plus particulièrement, les mouvements sont trop entravés, ce qui occasionne des retards chroniques (au travail, où ils sont décomptés de la paie ; aux enseignements, les séances de cours s’en trouvant réduites, etc.), voire la suppression de certaines activités. L’offre en activités sportives, enseignements et activités culturelles, pourtant variée et adaptée, en pâtit.
A ces limitations viennent s’ajouter les exclusions multiples qu’imposent le fait de faire l’objet d’un compte-rendu d’incident : refus d’accès au travail, au module des respect, possibles désaffectation/radiation des activités même si l’incident est sans lien avec l’activité concernée, refus d’unité de vie familiale, conséquences sur les réductions de peine, permissions de sortir et aménagements de peine.
En revanche, l’effectivité de la mixité, dans les soins comme pour tout type d’activités, qui va jusqu’à être pensée comme un levier de la réinsertion (boxe éducative, lutte contre la radicalisation violente), est à saluer.
Le manque de traduction de documents et l’appropriation encore inégale de la plate-forme d’interprétariat limitent l’accès à leurs droits des personnes de langue étrangère. Le Point Justice est organisé autour de permanences de La Cimade, d’un écrivain public et d’avocats, même si fait défaut l’organisation de permanences spécialisées par le barreau. L’établissement souffre de l’absence d’une assistante sociale pour l’accès aux droits sociaux.
Les personnes détenues ne disposent pas d’espace d’expression individuelle ou collective suffisant. Le circuit des requêtes n’est pas suffisamment fiable ni leur traçabilité assurée. Les consultations dans le cadre de l’article L. 411-2 du code pénitentiaire sont peu déployées, il n’y a pas de journal interne, le canal vidéo interne est limité à la diffusion d’informations figées.
Les créneaux des parloirs familles devraient davantage répondre aux jours et heures d’affluence. Les unités de vie familiale sont sous-utilisées. Le maintien des liens familiaux doit être dynamisé, d’autant que le nombre de permissions de sortir pour ce motif n’est pas apparu très important (dans la limite des données disponibles).
Le parcours d’exécution de peine (PEP) fait l’objet d’une approche coordonnée. Les commissions pluridisciplinaires PEP sont apparues comme un levier de l’autonomisation de la personne, cependant uniquement organisées en CD. Les programmes du binôme en charge de la radicalisation violente, avec l’appui de nombreux partenariats, associent utilement la personne détenue. La SAS est particulièrement adaptée dans son fonctionnement, se révélant un levier pertinent de réinsertion.
L’application des peines a longtemps été en sous-effectif au tribunal judiciaire de Poitiers, et peine encore à retrouver un rythme apaisé. Les réformes récentes, sources d’imprévisibilité sur les dates de libération, compliquent la mise en place des dispositifs d’accompagnement, notamment en termes de logement. Les services de probation et d’insertion, en sous-effectif, demandent à être renforcés.
Le centre pénitentiaire de Poitiers Vivonne est ainsi apparu comme un établissement en cours de réorganisation et de réappropriation des bonnes pratiques, avec d’ores et déjà des outils bien développés et particulièrement adaptés de réinsertion (filière soins, SAS, CPU « PEP », coordination culturelle) et de nombreux partenariats dynamiques. Tout au long de la visite les contrôleurs ont pu rencontrer des agents ayant à cœur de faire évoluer leurs pratiques.
L’établissement paraît en capacité de poursuivre une conduite du changement favorisant le respect des droits fondamentaux des personnes hébergées, dans la limite toutefois des politiques de désencombrements et d’affectations de personnel auquel il est soumis.
Un rapport provisoire a été adressé à la directrice du centre pénitentiaire, aux chefs de la juridiction judiciaire de Poitiers, au directeur du centre hospitalier universitaire (CHU) de Poitiers, au directeur du centre hospitalier Henri Laborit (CHL), à l’agence régionale de santé (ARS) Nouvelle-Aquitaine et au préfet de la Vienne, pour une période d’échange contradictoire d’un mois.
Par courrier du 11 juin 2024, le procureur de la République du tribunal judiciaire de Poitiers a indiqué que le rapport n’appelait pas d’observations de sa part.
La directrice du centre pénitentiaire de Poitiers Vivonne et le directeur fonctionnel des services pénitentiaires de probation et d’insertion de la Vienne ont présenté leurs observations, reçues le 22 juillet 2024 et intégrées au présent rapport.