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Rapport de la deuxième visite du centre pénitentiaire de Longuenesse (Pas-de-Calais)

Rapport de la deuxième visite du centre pénitentiaire de Longuenesse (Pas-de-Calais)

Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, aux ministères de la justice et de la santé auxquels un délai de quatre semaines a été fixé pour produire leurs observations. A la date de publication de ce rapport, aucune observation n’a été produite.

 

Synthèse

 

Neuf contrôleurs et une stagiaire ont effectué une visite inopinée du centre pénitentiaire (CP) de Longuenesse (Pas-de-Calais), du 4 au 13 mars 2024. Cette mission constituait une deuxième visite faisant suite à un premier contrôle réalisé en 2011[1].

Le CP de Longuenesse a été mis en service le 19 février 1991 dans le cadre du « programme 13 000 ». Il comprend un bâtiment principal, dit « grand quartier », composé de trois bâtiments cruciformes de quatre niveaux qui sont réservés à l’hébergement des personnes détenues : les bâtiments A1/A2 et A3/A4 constituent le quartier centre de détention (QCD) et le bâtiment C abrite le quartier maison d’arrêt (QMA) et le quartier pour mineurs (QM). Un autre bâtiment à l’entrée du domaine est composé de la structure d’accompagnement vers la sortie (QSAS) et d’un quartier de semi-liberté (QSL). Cette structure est venue remplacer le quartier pour peines aménagées mis en œuvre en 2014. Un second QSL situé à Saint-Martin-Boulogne est rattaché au CP[2].

La capacité théorique de l’établissement est de 399 places au QCD, 172 places au QMA (pour 333 lits opérationnels) et 20 places au QM. Le QSAS est doté de 60 places, le QSL sur site de 30 places et le QSL de Saint-Martin-Boulogne de 50 places ; soit au total une capacité théorique de 731 lits.

La surpopulation carcérale au QMA est chronique et rend les conditions de détention indignes. Elle s’établissait au 13 mars 2024 à 195 % au QMA : 337 détenus accueillis, dont 23 dormant sur des matelas au sol. Cette surpopulation au QMA impacte aussi les conditions de travail du personnel, qui reste impliqué dans sa mission malgré des difficultés pour pourvoir des postes de surveillants.

De manière générale, la communication est bonne au sein de l’établissement et les équipes sont investies. La direction connaît la détention et le chef de détention est proche de ses équipes. La commission d’application des peines (CAP) est un bon exemple de l’implication des chefs de bâtiments, des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) et de la direction ; les échanges sont fluides et les différents acteurs connaissent les détenus. Les mineurs bénéficient d’un suivi adapté : une commission pluridisciplinaire unique (CPU) réunit tous les acteurs concernés chaque semaine et une synthèse écrite est remise au mineur. La psychologue « parcours d’exécution de peine » (PEP) est investie dans sa mission de même que les juges d’application des peines (JAP), lesquelles exercent une politique d’aménagement des peines rigoureuse, notamment en matière de libérations sous contrainte dont le taux d’octroi est trop faible : 16 % en 2022.

Les régimes de détention diversifiés tant au QCD qu’au QMA, avec des modules « Respect » qui concernent près de 300 détenus, contribuent à apaiser la détention malgré la surpopulation carcérale au QMA. Les détenus dits vulnérables peuvent être placés en portes ouvertes au QCD et sont parfois intégrés aux activités du régime « Respect », ce qui est à souligner. Le bâtiment est par ailleurs correctement entretenu.

L’établissement a d’autres atouts indéniables dans la prise en charge des détenus. Le bâtiment abritant les détenus du QSAS et du QSL offre des locaux récents et bien équipés. L’accès au sport est assuré dans l’établissement avec des installations sportives de grande qualité et un personnel compétent. Les détenus bénéficient d’une offre d’enseignement importante et diversifiée avec un réseau de professionnels pérenne. 23 % de la population pénale de l’établissement a accès au travail dans les ateliers ou au service général et des offres de formations professionnalisantes sont proposées. Le QSAS et le QSL permettent de développer des projets de sortie avec une formation « socle de connaissances et de compétences professionnelles » dite CLEA pour les détenus du QSAS. L’accès aux soins est effectif au CP même s’il est regretté l’absence de spécialistes, notamment d’un kinésithérapeute, et des locaux inadaptés au « grand quartier ». La confidentialité des soins doit aussi être repensée notamment lors de la distribution des médicaments.

Des axes d’amélioration ont aussi été identifiés par les contrôleurs.

Le droit des personnes privées de liberté à bénéficier d’un hébergement digne et salubre n’est pas garanti au « grand quartier », notamment au QMA et au QM. L’entretien des cellules pâtit de la surpopulation carcérale au QMA. Dans les autres bâtiments du « grand quartier », la situation n’est pas meilleure, les cellules sont vétustes avec un sol noirci et les peintures sont abîmées et ce particulièrement au QM qui doit connaître une rénovation urgente. Le mobilier est souvent dégradé et inadapté au nombre de détenus occupant la cellule. Les cellules sont dépourvues de douche et les revêtements des éviers sont abîmés. Les portes battantes des toilettes ne permettent pas de protéger l’intimité des détenus au QMA. Aucun oreiller n’est donné à l’arrivée ce qui fait l’objet de plaintes de la plupart des détenus rencontrés. L’accès aux douches est limité à trois fois par semaine en régime porte fermée. Le quartier disciplinaire (QD) et le quartier d’isolement (QI) sont dans le même état de vétusté que lors du dernier contrôle en 2011 : les cellules sont dégradées et les cours de promenade en béton sont sales, sans abri, sans point d’eau et sans toilettes. Les cours de promenade du « grand quartier » manquent d’équipements sportifs et d’un préau et elles ne sont pas suffisamment accessibles, notamment au QCD (seulement une heure le matin et une heure l’après-midi).

Le respect de l’intégrité physique et psychique de la personne détenue n’est pas toujours garanti. Il est relevé un manque d’individualisation des décisions de fouille avec des fouilles trop souvent pratiquées aux parloirs, les taux pouvant atteindre 50 % pour un taux de découverte très faible. Les motivations des décisions de fouille sont stéréotypées. Des locaux de fouilles dédiés doivent être installés au QCD et au QM et la traçabilité des fouilles doit être renforcée pour les fouilles des arrivants et pour les extractions ainsi que pour les fouilles qui ne donnent pas lieu à un compte rendu d’incident (CRI), lesquelles ne sont pas tracées.

Le droit au maintien des liens avec l’extérieur et à la réinsertion doit être renforcé. L’absence d’unité de vie familiale est déplorée de même que l’absence de tours de parloir pour les prévenus et les mineurs le week-end. Un tour de parloir supplémentaire doit être organisé, comme cela était le cas avant la pandémie de Covid-19, ce qui permettrait un désengorgement des créneaux disponibles, facilitant ainsi la prise de rendez-vous par les familles. Les détenus se plaignent aussi de permissions de sortir accordées au compte-gouttes, même si les rejets sont motivés par les JAP. Les quartiers « Respect » doivent être dynamisés pour travailler les projets de réinsertion des détenus, de même que le QSAS afin de ne pas être de simples outils de gestion de la détention.

La prise en compte du détenu comme sujet de droit fait parfois défaut avec une délivrance d’information défaillante et un accès au droit limité. L’atteinte la plus importante concerne les détenus étrangers, la plateforme d’interprétariat n’est pas utilisée par les intervenants et ce à tous les stades de la détention. L’établissement doit rapidement mettre en place un livret d’accueil actualisé en différentes langues.

De manière générale l’accès aux droits est largement perfectible. Si la déléguée du Défenseur des droits est présente et impliquée, il est regrettable qu’il n’y ait pas de permanence d’un juriste du Point Justice ou encore une permanence du barreau. L’information donnée aux détenus doit être renforcée avec des affichages systématiques dans les coursives sur l’accès aux droits, le recours pour conditions de détention indignes (absent des coursives et du livret d’accueil) ou encore les conditions d’octroi des permissions de sortir.

L’accès au dossier pénal est trop long pour la personne détenue (plusieurs jours, voire semaines), ce qui n’est pas admissible. Les notifications des décisions judiciaires ne sont pas effectuées par un personnel formé à cet effet.

Il n’existe aucune traçabilité des requêtes et les détenus se plaignent d’une absence de réponse à leurs demandes. L’absence d’organisation des requêtes peut être source de difficulté pour le détenu et l’administration. Un système de traçabilité doit être mis en œuvre dans tous les services.

Le droit d’expression collective n’est pas mis en œuvre dans l’établissement. Des modalités doivent être rapidement définies pour permettre la participation des détenus à la vie en détention.

Enfin, la prise en charge des détenus au sein des chambres sécurisées du centre hospitalier de la région de Saint-Omer est protocolisée mais une approche sécuritaire prédomine : les chambres doivent être équipées comme une chambre hospitalière et non comme une chambre d’isolement, les escortes ne doivent pas assister aux soins et le droit au maintien des liens avec l’extérieur doit être effectif.

Le présent rapport a fait l’objet d’une phase contradictoire. Les observations reçues de la part de la directrice du CP attestent, dans la majorité de ses réponses, de la volonté de l’établissement d’œuvrer à améliorer la qualité de la prise en charge des détenus. Le directeur du centre hospitalier de Saint-Omer évoque lui aussi des possibilités d’amélioration de la prise en charge des détenus.

[1] CGLPL, Rapport de visite du centre pénitentiaire de Longuenesse, février 2011 (en ligne).

[2] CGLPL, Rapport de visite du quartier de semi-liberté de Saint-Martin-lès-Boulogne, avril 2021 (en ligne).