Site du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté

Rapport de la deuxième visite de la maison d’arrêt de Tarbes (Hautes-Pyrénées)

Le CGLPL a réalisé une deuxième visite de la maison d’arrêt de Tarbes du 4 au 13 mars 2024. Au regard des constats effectués sur place, la Contrôleure générale avait considéré établie une violation grave des droits fondamentaux des personnes incarcérées et publié au Journal Officiel du 13 juin 2024 des recommandations en urgence, sans attendre la finalisation du rapport de visite, conformément à l’article 9 de la loi du 30 octobre 2007.

Rapport de la deuxième visite de la maison d’arrêt de Tarbes (Hautes-Pyrénées)

Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, aux ministères de la justice et de la santé auxquels un délai de quatre semaines a été fixé pour produire leurs observations. A la date de publication de ce rapport, aucune observation n’a été produite.

 

Synthèse

Cinq contrôleurs, rejoints par Dominique Simonnot, contrôleure générale, ont effectué un contrôle de la maison d’arrêt de Tarbes (Hautes-Pyrénées) du 4 au 8 mars et du 11 au 13 mars 2024. Cette mission constituait une deuxième visite faisant suite à un premier contrôle réalisé du 21 au 24 mai 2012.

Des recommandations en urgence ont été adressées par courrier au ministre de la Justice, à la ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités le 10 avril 2024 et au ministre délégué chargé de la Santé et de la Prévention, le 11 avril 2024. Le ministre de la Justice y a répondu par courrier du 7 mai 2024. Ces recommandations et les réponses qui leur ont été données ont été publiées au journal officiel le 13 juin 2024 (en annexes du présent rapport).

Implantée en centre-ville et aisément accessible, la maison d’arrêt de Tarbes est une petite structure (un seul bâtiment sur trois niveaux) d’une capacité de 74 places dont 8 au sein du quartier de semi-liberté.

L’encadrement de la structure est défaillant et des pratiques relèvent de l’arbitraire et d’une culture sécuritaire inadaptée. En dépit de la petite taille de la maison d’arrêt, généralement propice à une bonne circulation de l’information, les contrôleurs se sont heurtés à des difficultés constantes pour obtenir des renseignements fiables sur l’établissement. D’un interlocuteur à un autre, l’organisation est présentée différemment et personne ne semble maîtriser un fonctionnement qui s’avère largement dépendant du personnel qui le met en œuvre. Ce manque de clarté touche des sujets importants tels que les fouilles, la discipline ou les moyens de contrainte. Le dernier rapport d’activité de la maison d’arrêt date de 2021, le conseil d’évaluation ne se tient plus depuis deux ans. Les recommandations des autorités de contrôle ne sont pas prises en compte ou tracées, qu’il s’agisse de la mission de contrôle interne de 2022, de la sous-commission de sécurité incendie ou d’un audit en restauration sanitaire qui a conclu à un niveau d’alerte important. L’arbitraire caractérise l’établissement. Les difficultés sont aggravées par des problèmes d’effectifs : manque de surveillants, aucun personnel technique affecté à la maintenance ou à la cuisine. Au sein de la maison d’arrêt, qui a été ancien quartier de sécurité renforcée, subsiste par ailleurs une culture sécuritaire dépassée et inadaptée : détenus à qui on demande de se coller contre le mur avant de partir cinq par cinq en promenade, de se lever à 6h50 pour récupérer leur carte d’identité intérieure à la porte, bibliothèque ouverte uniquement de 7h30 à 8h30.

Dans ce contexte, l’intégrité physique des détenus n’est pas garantie ; des détenus sont violentés depuis longtemps par certains agents pénitentiaires. Au cours de leur visite, les contrôleurs ont recueilli de multiples témoignages concordants et circonstanciés faisant état de violences physiques et psychologiques commises par une équipe de surveillants identifiés : coups, gifles, simulacre d’étranglements, balayettes[1], personne prise par le col ou par les cheveux, insultes, menaces, moqueries, humiliations, brimades, mesures de rétorsion (privation de repas, de promenades, coupures d’électricité), négligence (pas de réponse aux boutons d’appel lumineux[2], réveils brutaux). Ces comportements se dérouleraient le plus souvent dans la cellule 130 qui a été fermée pendant la visite. Les faits les plus récents ont été commis deux jours avant la mission. Ils ont être établis grâce à l’extraction des images de vidéosurveillance exigées par les contrôleurs, le parquet s’est saisi de cette situation sur la base de l’article 40 du code de procédure pénale. Si ces allégations ne concernent qu’une minorité des agents, leur récurrence et leur perpétration n’a pu se faire qu’au prix d’une passivité voire d’une acceptation certaine d’un plus grand nombre. Selon les signalements recueillis, certains professionnels séviraient depuis 2008. Aucun des mécanismes de prévention ou de contrôle n’a produit le moindre effet, ce qui révèle en tout état de cause une défaillance systémique et généralisée à tous niveaux. Les contrôleurs ont constaté de la part des détenus la crainte de témoigner par peur de représailles. La sécurité des détenus n’est pas assurée. A l’exception du quartier disciplinaire et d’une cellule réservée aux arrivants, les cellules ne sont pourvues d’aucun système d’interphonie. Les détenus n’ont que la possibilité d’actionner un voyant lumineux au-dessus de la cellule. Mais, même quand le voyant est allumé, le personnel ne se déplace pas. Des témoignages font état de malaises dans des cellules et de temps d’attente très importants. Les coups dans la porte, pour appeler un surveillant qui ne vient pas, sont proscrits ainsi que les drapeaux[3]. Les promenades ne sont pas surveillées en semaine et les images de vidéosurveillance jamais utilisées même quand les détenus le demandent pour contester la description des événements en commission de discipline. En l’absence de boîtes aux lettres (hormis pour le service médical), il n’est jamais certain que les courriers parviennent à leurs destinataires. De manière plus large, les contrôleurs ont relevé une atmosphère générale de désinvolture, voire de négligence vis-à-vis des besoins des détenus. Cela se traduit par le fait que leurs demandes restent souvent lettre morte.

Les conditions de détention sont indignes et sont aggravées par la suroccupation élevée de la maison d’arrêt. Au jour de la visite, le taux d’occupation est de 203 %, 22 détenus dorment sur des matelas au sol entraînant un espace disponible réduit. Cette suroccupation s’inscrit dans un surencombrement important de la direction interrégionale de Toulouse, marqué par 675 matelas au sol.

Les détenus sont hébergés dans des cellules dégradées, vétustes. La peinture écaillée se détache par plaques du plafond et des murs ; le mobilier est vieux, en mauvais état, inadapté au nombre d’occupants ; le chauffage et le réglage de la température de l’eau sont défaillants. Les douches et les WC ne préservent pas l’intimité. Les cours de promenade sont très exiguës, sans banc ni équipement sportif. Faute de personnel technique depuis six mois, les réparations même urgentes ne sont pas effectuées : dans une cellule, une fenêtre n’a pu se fermer pendant des mois. Au jour de la visite une chasse d’eau ne fonctionnait plus depuis plusieurs semaines, dans une autre un lavabo est cassé et laissé à même le sol. Un plan de rénovation de l’établissement est enclenché pour débuter fin 2024 mais il ne comprend pas toutes les cellules et ne prévoit pas l’installation de système d’interphonie.

De nombreux détenus se plaignent d’avoir faim. Depuis six mois, il n’y a plus de personnel technique affecté à la cuisine, les auxiliaires sont livrés à eux-mêmes. Les quantités servies sont souvent insuffisantes et ne permettant pas de proposer un repas complet à l’ensemble des détenus. La nourriture est peu variée et rarement élaborée ; les plats sont souvent sortis des boîtes de conserve et réchauffés. Distribués à la louche dans des plats de service, ils sont régulièrement servis froid. Les régimes alimentaires ne sont pas suivis et présentent un risque d’erreurs. Un audit de maîtrise sanitaire en restauration pénitentiaire effectué en octobre 2023 a conclu à un niveau d’alerte noir avec un score de 9/100 relevant notamment une protection insuffisante des produits entamés et des dates limites de consommation dépassées. Si un plan d’action a été élaboré, il n’est pas mis en œuvre.

Les quelques recours pour conditions indignes sont rejetés par les magistrats. Depuis le 1er janvier 2023, les trois recours, pourtant circonstanciés, ont tous été rejetés.

Les détenus sont contraints de passer de nombreuses heures dans leurs cellules et la fin de peine est le principal mode de sortie. L’offre de travail, d’enseignement et d’activité est quasi-inexistante. Le travail est limité à 10 postes d’auxiliaires au service général et seules deux formations professionnelles existent. Si le nombre d’élèves est important, le nombre d’heures de cours dispensés est faible et plus de 27 détenus sont sur liste d’attente. L’offre d’activités socioculturelles se résume en une activité de soins socio-esthétiques ne bénéficiant qu’à six personnes, 1h30 par semaine. L’accès à la bibliothèque est excessivement restrictif : une fois par semaine de 7h30 à 8h30, trois personnes au maximum par créneau et il en découle un nombre d’usagers assez faible. La salle de musculation est sans équipement depuis 18 mois et le terrain de sport dégradé.

Peu d’aménagements de peine bénéficient aux détenus. Les personnes détenues ne reçoivent pas d’information collective et formalisée sur les aménagements de peine et leurs critères d’octroi. Une part importante des demandes d’aménagement (58 % en 2023) et de permission de sortir (65 %) sont rejetées comme des libérations sous contrainte aux 2/3 de peine (61 %). La libération sous contrainte de plein droit, sans projet, à trois mois de la fin de peine prenant le pas. L’aménagement de peine est loin de constituer le mode privilégié de sortie. En dehors des transferts, le principal mode de sortie reste la fin de peine (71 %).

Un détenu a résumé la détention indiquant : « cette prison, moralement et psychologiquement, elle vous enterre ».

Pendant la mission, les échanges avec les professionnels ont suscité assez peu d’interrogations sur les pratiques et de volonté de les faire évoluer.

Un rapport provisoire a été adressé, le 11 juillet 2024, à la direction de la maison d’arrêt, au directeur interrégional des services pénitentiaires de Toulouse, au préfet des Hautes-Pyrénées, aux autorités judiciaires du tribunal de Tarbes, au service pénitentiaire d’insertion et de probation des Hautes-Pyrénées et au directeur du centre hospitalier. Aucun des destinataires n’a formulé d’observations.

[1] Coup sec porté au niveau de la cheville ou du tibia dans le but de faire chuter quelqu’un.

[2] Permettant d’appeler le surveillant depuis la cellule.

[3] Papier glissé à travers la porte pour appeler un surveillant.