Site du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté

Recommandations en urgence relatives à la maison d’arrêt de Tarbes (Hautes-Pyrénées)

©CGLPL

Au Journal officiel du 13 juin 2024 et en application de la procédure d’urgence, la Contrôleure générale a publié des recommandations relatives à la maison d’arrêt de Tarbes (Hautes-Pyrénées).

L’article 9 de la loi du 30 octobre 2007 permet au Contrôleur général des lieux de privation de liberté, lorsqu’il constate une violation grave des droits fondamentaux des personnes privées de liberté, de saisir sans délai les autorités compétentes de ses observations en leur demandant d’y répondre. Le ministre de la justice a apporté ses observations en réponse, également publiées au Journal officiel.

 

Lire les recommandations du CGLPL accompagnées des observations du ministre de la justice

 

 

La visite inopinée de la maison d’arrêt de Tarbes, réalisée par cinq contrôleurs du 4 au 13 mars 2024, a donné lieu au constat de nombreux dysfonctionnements entraînant des atteintes graves aux droits des personnes qui y sont détenues : allégations nombreuses et concordantes de violences physiques et psychologiques commises par une équipe de surveillants, encadrement défaillant, conditions de détention indignes aggravées par la surpopulation et le désœuvrement des détenus. Le CGLPL a appelé l’attention des autorités compétentes sur la nécessité de redresser sans délai le fonctionnement de cet établissement. Il a été demandé au ministre de la justice de faire procéder à une inspection approfondie de l’établissement et de tenir informé le CGLPL de ses conclusions.

 

Un fonctionnement marqué par l’arbitraire et la violence

L’encadrement de l’établissement est défaillant. Située au centre-ville, la maison d’arrêt de Tarbes compte soixante cellules de maison d’arrêt et deux cellules de semi-liberté. L’établissement était, entre 1975 et 1981, un quartier de sécurité renforcée, de cette période subsiste une culture sécuritaire inadaptée. Par exemple, les détenus se voient imposer de se lever à 6h50 tous les matins, en dépit d’une quasi-absence d’activité. Malgré la petite taille de la maison d’arrêt, généralement propice à une bonne circulation de l’information, les contrôleurs se sont heurtés à des difficultés pour obtenir des renseignements fiables. D’un interlocuteur à un autre, l’organisation est présentée différemment et le fonctionnement s’avère largement dépendant du personnel qui le met en œuvre. Les fouilles sont peu tracées et mal ou faiblement motivées, la politique disciplinaire est illisible et l’usage des moyens de contraintes pâtit d’un défaut de traçabilité qui fait obstacle à tout contrôle. Cette atmosphère qui mêle manque de cadre, absence de pilotage et arbitraire dans les pratiques ouvre la voie à des abus inadmissibles.

Des détenus sont l’objet de violences du personnel pénitentiaire. Les contrôleurs se sont entretenus avec plus de 50 détenus (40% de la population pénale) ainsi qu’avec de nombreux professionnels. Ils ont recueilli de multiples témoignages faisant état de violences physiques et psychologiques commises par une équipe de surveillants identifiés par des surnoms connus. Il est fait état de coups, brutalités, injures, doigts d’honneur, menaces, moqueries, brimades, etc. Une cellule en particulier a été identifiée par de nombreux témoins comme le lieu privilégié de déploiement des violences : la cellule 130, utilisée comme salle d’attente. Les témoignages, au regard de leur nombre, leur concordance et leur répétition, sont l’indice de pratiques dysfonctionnelles inscrites dans la durée. Les faits de violence les plus récents signalés aux contrôleurs avaient été commis deux jours avant la mission, dans la cellule 130. Ils ont pu être établis grâce à l’extraction des images de vidéosurveillance exigée par les contrôleurs. En cours de visite, sur décision du chef d’établissement, la cellule 130 a été fermée, avec pose d’un cadenas. Si seule une minorité d’agents est mise en cause par les témoignages, la récurrence et la persistance dans le temps des faits incriminés reflètent l’inertie fautive de l’encadrement. Aucune des mesures que de telles pratiques appellent – disciplinaires ou judiciaires – n’a été prise et les autorités judiciaires n’ont pas été avisées en temps utile de l’ensemble de ces signalements comme l’exige l’article 40 du code de procédure pénale. Les contrôleurs ont été confrontés à l’angoisse palpable des détenus ainsi qu’à leur crainte de témoigner par peur de représailles.

Le CGLPL rappelle que l’administration est responsable de la sécurité et de l’intégrité des personnes confiées à sa garde, qu’elle doit protéger de toute forme de violence. Aucun acte de violence ne doit rester sans réponse, quel qu’en soit l’auteur.

La sécurité des détenus et la prise en compte de leurs besoins ne sont pas assurées. À l’exception de celles du quartier disciplinaire et d’une des deux cellules « arrivant », les cellules de la maison d’arrêt ne sont équipées d’aucun système d’interphonie. Pour se signaler, les détenus actionnent un interrupteur leur permettant d’allumer un voyant au-dessus de leur porte de cellule. Taper la porte est interdit, de même que la pratique consistant à glisser un papier dans l’entrebâillement de la porte. Les contrôleurs ont observé que les voyants allumés ne suscitaient aucune réaction de la part du personnel. Des témoignages font ainsi état de malaises de détenus en cellule et de temps d’attente démesurés avant toute intervention. Plusieurs secteurs de l’établissement ne sont pas couverts par les dispositifs de vidéosurveillance, dont les captations ne sont jamais utilisées en commission de discipline, même lorsque les détenus le requièrent pour contester la description des évènements.

 

Des conditions de détention indignes, aggravées par la suroccupation des cellules et le désœuvrement des détenus

Un détenu sur six est contraint de dormir sur un matelas au sol. Au 4 mars 2024, le taux d’occupation du quartier maison d’arrêt était de 203 % : 134 détenus y étaient hébergés pour 66 places, 22 dormaient sur un matelas au sol. Cette suroccupation rend impossible le respect de la dignité des personnes détenues. Elle engendre une grave promiscuité, interdit l’intimité et ne permet pas aux détenus de disposer d’un espace en cellule respectant les exigences posées par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

Les détenus sont hébergés dans des cellules vétustes. Les murs sont sales et détériorés et la peinture écaillée se détache par plaques du plafond et des murs. Le mobilier est vieux, en mauvais état et inadapté au nombre d’occupants. Dans certaines cellules, malgré les désinfections, il y a des cafards. Les douches en cellule sont dégradées, la plupart comporte une porte vitrée et les détenus y collent des sacs poubelles pour préserver leur intimité. L’établissement ne dispose d’aucun personnel technique depuis six mois. Il en résulte que les réparations, même urgentes, interviennent dans des délais excessifs. Un plan de rénovation de l’établissement doit débuter fin 2024 mais il ne concernerait pas toutes les cellules.

De nombreux détenus se plaignent d’avoir faim. Ils font état de repas servis en quantités insuffisantes et il arrive qu’il n’y ait pas de quoi proposer un repas complet à tous les détenus. À la fin d’un service, les contrôleurs ont constaté que les entrées étaient en nombre insuffisant pour nourrir tout le monde. Depuis six mois, aucun personnel technique n’est affecté à la cuisine et les auxiliaires-cuisine sont livrés à eux-mêmes. L’audit de maîtrise sanitaire en restauration pénitentiaire effectué en octobre 2023 dresse à cet égard des constats inquiétants. Un plan d’action a été élaboré mais sa mise en œuvre requiert de disposer d’un personnel formé et encadré par un personnel technique de cuisine. L’arrivée en mars 2024 d’un adjoint technique, une fois (puis deux fois) par semaine, ne pourra suffire à encadrer la restauration et redresser la situation.

L’offre de travail et d’activités est quasi-inexistante. L’offre de travail est limitée à dix postes d’auxiliaires au service général, soit un pourcentage de détenus accédant au travail particulièrement faible de 7%.  Seules deux formations professionnelles sont proposées, qui bénéficient à dix détenus au total. Les détenus sont ainsi privés de leviers pour construire des projets utiles à leur réinsertion et les plus impécunieux n’ont guère la possibilité d’améliorer leur situation alors que la pauvreté carcérale est particulièrement importante à la maison d’arrêt.  L’offre d’activités socioculturelles se résume à une activité de soins socio-esthétiques ne bénéficiant qu’à six personnes au rythme d’1h30 par semaine. L’accès à la bibliothèque est très restrictif : les détenus inscrits ne peuvent s’y rendre qu’une fois par semaine, de 7H30 à 8h30. Les créneaux de sport ont été doublés en mars 2024, chaque personne détenue peut désormais accéder aux terrains ou locaux de sport 3h par semaine. Cependant, la salle de musculation est dépourvue de tout matériel depuis 18 mois, et le terrain de sport ne bénéficie d’aucun équipement.

 

Des recours peu effectifs et des autorités de contrôle peu écoutées

Le recours en indignité des conditions de détention est peu effectif. Les détenus sont très peu nombreux à contester l’indignité de leurs conditions de détention devant le juge judiciaire, trois recours ont été déposés depuis le 1er janvier 2023. Les contrôleurs ont relevé que l’information délivrée à la population pénale sur le recours prévu par l’article 803-8 du code de procédure pénale était insuffisante et inadaptée (affichage défaillant, absence d’information individualisée).

Les recommandations des autorités de contrôle sont insuffisamment prises en compte. La maison d’arrêt a fait l’objet d’une mission de contrôle interne de l’administration pénitentiaire en avril 2022, mais les observations émises à l’issue de cette mission ne font l’objet d’aucun plan de suivi. Le plan pluriannuel de travaux liés à la sécurité, recommandé en décembre 2022 par la sous-commission départementale de sécurité incendie, n’était toujours pas élaboré au jour de la visite. Un audit réalisé en octobre 2023 sur la maîtrise sanitaire en restauration pénitentiaire a conclu un niveau d’alerte noir, et une note de 9/100 (contre 94/100 lors de l’audit mené 18 mois auparavant. Quatre mois après, aucun agent technique n’est affecté au service de la cuisine et les recommandations correspondantes sont restées lettres mortes.