Site du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté

Rapport de la deuxième visite de la maison d’arrêt d’Ajaccio (Corse)

Rapport de deuxième visite de la maison d’arrêt d’Ajaccio (Corse)

Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, aux ministères de la justice et de la santé auxquels un délai de quatre semaines a été fixé pour produire leurs observations. A la date de publication de ce rapport, aucune observation n’a été produite.

 

Synthèse

En application de la loi du 30 octobre 2007 qui a institué le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), trois contrôleures ont effectué un contrôle inopiné de la maison d’arrêt d’Ajaccio (Corse du Sud) du 11 au 15 septembre 2023.

Cette mission constituait une deuxième visite faisant suite à un premier contrôle réalisé du 18 au 22 novembre 2013 par quatre contrôleurs.

La maison d’arrêt d’Ajaccio, dont la construction date de 1870, est implantée en centre-ville à proximité immédiate du tribunal et du port, sur le boulevard Masseria. Ses locaux sont vétustes et sous-dimensionnés. Des travaux sont nécessaires à l’adaptation du site notamment l’accès pour les personnes à mobilité réduite et l’aménagement des douches en cellule.

L’établissement est constitué d’un quartier de détention classique d’une capacité de vingt-quatre cellules réparties sur deux niveaux et d’un quartier de semi-liberté formé en réalité d’une seule cellule de trois places. La capacité théorique de la maison d’arrêt est de cinquante places, elle est toutefois équipée de soixante-dix lits auxquels s’ajoutent les trois lits de semi-liberté. Les soixante-dix lits sont répartis en cellules individuelles (deux par étage) réservées aux auxiliaires, en cellules conçues pour trois personnes et en dortoirs hébergeant quatre personnes détenues. Une cellule est destinée aux arrivants en rez-de-chaussée, où se trouve également la cellule disciplinaire. L’établissement ne comporte pas de cellule d’isolement ni de cellule pour personne à mobilité réduite (PMR), ni de cellule de protection d’urgence (CProU). Un cellule située à proximité de l’unité sanitaire est dédiée aux personnes vulnérables.

Au jour de la visite des contrôleures, aucun matelas n’était disposé au sol, l’établissement hébergeant soixante-sept personnes détenues et un semi-libre. Cependant, au regard de la capacité opérationnelle de cinquante-places, la maison d’arrêt était occupée à 134 %.

Parmi les personnes détenues hébergées, vingt-six étaient condamnées, quatre condamnées et prévenues et trente-sept étaient prévenues dont vingt-cinq en procédure correctionnelle et douze en procédure criminelle. 50 % des condamnés l’avaient été en comparution immédiate.

Il a été indiqué aux contrôleures que la population pénale était majoritairement composée, d’une part, de personnes détenues dans le cadre d’infractions à la législation sur les stupéfiants, lesquelles présentaient souvent des troubles de la personnalité associés à des addictions et, d’autre part, de personnes impliquées dans le grand banditisme. Huit personnes étaient incarcérées dans le cadre de violences intrafamiliales. Une cellule de quatre places est destinée aux personnes détenues dans le cadre d’infraction à caractère sexuel tandis que les autres sont réparties en détention. Huit peines de courte durée avaient encore été prononcées : deux de trois à six mois et six de six mois à un an.

L’établissement souffre d’un manque de personnel pénitentiaire. L’organigramme de référence fait état de trente-six surveillants mais seuls trente-deux étaient réellement affectés à l’établissement. De plus l’absentéisme est très important (31,39 % en 2022). Tous les surveillants travaillent en douze heures, de 6h45 à 19h00, correspondant à trois journées de travail de douze heures suivies de deux jours de repos. Dans ce contexte de pénurie de personnel, les grandes journées sont parfois effectuées à quatre agents au lieu des cinq prévus, il en est de même pour les nuits (de 19h00 à 7h00) parfois effectuées à trois agents au lieu de quatre. Les contrôleures ont constaté l’épuisement de certains des agents de détention et une réelle souffrance au travail.

Malgré l’effort d’entretien constaté, le bon état général et la propreté des cellules, la prise en charge des personnes détenues souffre de l’ancienneté de la structure immobilière. Ainsi, les surfaces des douches collectives sont particulièrement dégradées et la luminosité est en permanence réduite dans les cellules. L’aménagement des douches dans toutes les cellules n’est programmé que courant 2024 et réduira encore plus l’espace disponible. La cellule disciplinaire présente des conditions indignes, la peinture et le revêtement du sol sont dans un état extrêmement dégradé.

Malgré la surpopulation pénale et la promiscuité au sein des cellules exiguës, l’ambiance en détention est apparue relativement sereine. Peu de phénomènes de violence ont été recensés, les incidents sont rares et globalement les personnes détenues ne se plaignent pas de leurs conditions de détention. L’accès au droit est globalement assuré, notamment par les avocats, mais les intervenants extérieurs (Point justice et Défenseur des droits) sont peu présents à l’établissement.

L’oralité prévalant, il en ressort une inégalité dans la traçabilité des requêtes. L’établissement devra trouver un juste équilibre entre les avantages d’une petite structure où le rapport humain direct est essentiel et la formalisation nécessaire à son bon fonctionnement.

L’accès aux soins tant somatiques que psychiatriques n’est pas pleinement garanti. Le manque de personnel médical et paramédical ne permet pas la continuité des soins. Concernant les consultations et soins externes à l’établissement, l’administration pénitentiaire doit améliorer la disponibilité des escortes médicales afin de ne pas exposer les patients au risque de pertes de chances. Par ailleurs, lors de ces extractions, la présence des surveillants pénitentiaires et le maintien des moyens de contrainte lors des soins sont attentatoires à l’intimité, à la dignité des personnes et au secret médical.

L’accès au travail est limité en l’absence d’ateliers de concessions. Durant l’année 2022, seules quatorze personnes détenues ont bénéficié de postes rémunérés et six de formations en cuisine, soit 33 % de l’effectif hébergé moyen de soixante personnes.

Le SPIP assure une prise en charge efficiente des personnes condamnées et élabore, avec elles, des projets de permissions de sortir ou d’aménagements de peine, trop peu accordés. Selon les chiffres figurant dans le rapport d’activité 2022 de la maison d’arrêt, 65,7 % des demandes d’aménagement de peine ont été satisfaites en 2021 contre 69 % en 2022 et 51,51 % des permissions de sortir ont été octroyées.

Les décisions de retrait de crédit de réduction de peine sont peu individualisées et se fondent sur un barème adapté aux décisions des commissions de discipline.

Si les conditions d’hébergement portent atteinte aux droits fondamentaux des personnes détenues, une certaine souplesse prévaut globalement dans leur prise en charge. Les contrôleures ont constaté des éléments incontestablement positifs, notamment le climat apaisé qui régnait au sein de cette petite maison d’arrêt, la fluidité des relations entre les professionnels de toutes catégories ainsi que l’investissement de chacun d’entre eux, auxquels s’ajoutent des rapports humanisés avec la population pénale.

Le rapport provisoire relatif à cette visite a été transmis le 29 janvier 2024 au directeur de la maison d’arrêt, aux chefs de juridiction du tribunal judiciaire, au directeur de l’agence régionale de santé ainsi qu’au directeur du centre hospitalier d’Ajaccio.

Par courriers des 5, 19 et 20 mars 2024, les chefs de juridiction, le directeur de la maison d’arrêt et le directeur du centre hospitalier d’Ajaccio ont fait valoir leurs observations, intégrées au présent rapport.