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Rapport de la troisième visite du centre pénitentiaire de Château-Thierry (Aisne)

Rapport de troisième visite du centre pénitentiaire de Château-Thierry (Aisne)

Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, aux ministères de la justice et de la santé auxquels un délai de quatre semaines a été fixé pour produire leurs observations. A la date de publication de ce rapport, aucune observation n’a été produite.

 

Synthèse

La contrôleure générale, accompagnée de six contrôleurs, a effectué une visite inopinée du CP de Château Thierry du 2 au 11 octobre 2023. L’établissement avait déjà été contrôlé en 2009 et 2015.

Situé dans le ressort du tribunal judiciaire de Soissons et de la Cour d’appel d’Amiens, le CP est bâti à proximité du centre-ville, sur une surface resserrée. Construit en 1850, il est devenu en 1950 centre d’observation spécialisé dans la prise en charge des « détenus psychopathes » puis maison centrale sanitaire jusqu’en 1994. Il est depuis qualifié de centre pénitentiaire, disposant, outre de la maison centrale, d’un petit quartier centre de détention. Une circulaire du 21 février 2012 relative à l’orientation en établissement pénitentiaire des personnes détenues a réaffirmé la spécialisation du CP de Château-Thierry dans la prise en charge des détenus condamnés « présentant des troubles du comportement mais ne relevant ni d’une hospitalisation d’office, ni d’une hospitalisation en SMPR ni d’une UHSA ».

 

La spécificité nationale

La population pénale répond aux attendus du projet de la structure. Le CP de château Thierry accueille aujourd’hui des détenus condamnés de France entière présentant des pathologies psychiatriques avec troubles du comportement ne permettant pas une détention classique mais ne relevant ni d’une UHSA, ni d’une UMD ou d’un SMPR. Sur les 64 personnes hébergées en MC (pour 75 places opérationnelles), la quasi-totalité a semblé correspondre à ces critères sanitaires à la lecture de leur dossier. La durée du séjour au CP, prévue pour être transitoire, est adaptée au cas par cas et quelques détenus sont maintenus à Château-Thierry par absence de structures plus adaptées. La question de déterminer d’éventuels états de santé durablement incompatibles avec la détention est posée, même si on regrette qu’il n’y ait qu’une demande déposée et acceptée de « suspension pour état de santé durablement incompatible avec la détention ». Les difficultés relèvent principalement de l’absence de solution d’hébergement d’aval et du fait que 80 % des détenus viennent de départements non limitrophes au moment du contrôle. Par ailleurs, des détenus se sur-adaptent à la prise en charge du CP, ce qui en complique la sortie.

84 % des détenus de MC sont condamnés à la réclusion criminelle ; 13 sont de nationalité étrangère sur 70 (CD et MC) alors qu’il n’y a aucun système organisé pour la traduction au bénéfice des non francophones.

A cette population pénale spécifique répond une collégialité adaptée et le personnel de l’établissement s’est spécialisé dans la prise en charge des personnes accueillies. Les effectifs permettent un travail de qualité et la répartition des rôles est aujourd’hui organisée. Les contrôleurs notent cependant que 6 postes de surveillants n’ont pas été ouverts sur 58 cette année ; il ne reste souvent que neuf surveillants pour douze postes en détention. La fermeture occasionnelle du CATTP par défaut de surveillants est préjudiciable dans une structure où les soins sont majeurs.

La formation des surveillants est pertinemment spécialisée avec, outre les formations obligatoires, une formation concertée avec les services hospitaliers de psychiatrie. La présence de fonctionnaires expérimentés permet, en outre, la formation des nouveaux arrivants.

Enfin, les contrôleurs ont observé la polyvalence des surveillants et officiers et leur professionnalisme. Les notifications des droits sont réalisées par le greffe avec pédagogie, humanité et le souci d’une bonne information des détenus.

L’inadaptation de l’accueil des familles au rôle national de la structure est regrettée. En effet, le recrutement national imposerait la prise en compte de l’éloignement des familles même si le nombre de visite est faible ; plusieurs détenus ont exprimé le souhait de quitter Château-Thierry pour ces raisons. L’accueil physique n’est pas prévu et il n‘y a pas de maison des familles, pas de parloirs familiaux ni d’UVF. Pour autant, les événements familiaux, comme les décès par exemple, sont bien pris en compte et préparés collégialement, et les permis de visite sont facilités le mieux possible. Enfin le parloir collectif ne permet ni confidentialité des échanges ni intimité. De manière positive en revanche, les contrôleurs notent l’organisation d’un repas des familles une fois par an.

 

Les conditions immobilières et logistiques

Les bâtiments sont vétustes et seul le réseau électrique a été récemment mis aux normes. Une étude de travaux est en cours avec une enveloppe préétablie de 20 millions d’euros pour la rénovation complète de la structure.

Les cellules des détenus sont toutes individuelles mais trop exiguës et sans douche ni eau chaude, sauf au CD. Les possibilités de rangement sont insuffisantes et l’arrivée du réfrigérateur en 2024 va permettre enfin une conservation de produits frais, mais va encore réduire la surface disponible. Les boutons d’appel en cellule ne déclenchent qu’une alerte lumineuse au-dessus de la porte mais aucun report, en particulier la nuit, ne prévient les surveillants au niveau du poste.

Les cours de promenade sont vétustes, sans toilettes, une des deux est sans abri pour la pluie ; elles comportent néanmoins des barres de traction et un terrain de boule, librement utilisé.

 

Le discernement et l’individualisation

Pour compenser ces conditions immobilières défavorables, les autres volets de la vie quotidienne sont assouplis avec discernement.

L’arrivée des personnes détenues est particulièrement préparée. L’activité de transfert est un moment sensible et les surveillants ont développé une technicité et une expérience forte en la matière. Ils maîtrisent les techniques de désamorçage de la violence et adaptent leurs pratiques de manière individualisée.

La phase d’arrivée dure quinze jours et permet une bonne évaluation au sein de cellules spécifiques ; là encore les règles sont adaptées avec un accès immédiat à la cantine pour éviter les frustrations, liées notamment au manque de tabac.

Pendant le séjour, les mesures de sécurité sont elles aussi adaptées avec discernement ; les fouilles ne sont réalisées que de manière individualisée et proportionnée, à hauteur de moins de 150 fouilles par an ; les gestes sont appropriés ; les mouvements au sein de la détention sont fluides.

Le discernement est retrouvé également dans les mouvements au sein du CP avec un menottage non systématique ; en revanche, il est regrettable que ce discernement ne soit pas appliqué lors des extractions médicales puisque le menottage y est systématique, les entraves fréquentes et la présence des surveillants pendant les soins, illégale, la règle.

La discipline est gérée avec pertinence et respect d’un procès équitable. Les droits de la défense sont toutefois pénalisés par l’utilisation systématique de la visio-conférence avec les juges et une faible présence des avocats. Les étrangers n’ont pas accès aux titres de séjours et l’accès à l’allocation pour adultes handicapés pâtit des nombreuses MDPH compétentes France entière.

L’accès au travail est limité en raison du public accueilli. L’établissement est parvenu à mettre en place la réforme du paiement à l’heure mais au prix d’un soutien très participatif des surveillants sur la production. Le projet de s’orienter vers un statut de travailleur protégé est pertinent au regard des états de santé des patients. La formation professionnelle est à l’arrêt, faute de formateur.

L’accès à l’enseignement est garanti et facilité ; tous les arrivants sont reçus et des tests d’illettrisme sont systématiquement réalisés. 27 détenus sont inscrits (soit presque 40 %) et il n’y a pas de liste d’attente.

L’aide pécuniaire pour indigence est complétée par un partenariat développé avec plusieurs associations caritatives. Les colis alimentaires sont fournis par le secours populaire, les aides vestimentaires par Emmaüs et la croix rouge.

Les cantines sont livrées rapidement et permettent un accès fourni.

En l’absence d’un réel dispositif de parcours d’exécution des peines (PEP), tel qu’il doit être mis en place dans toute maison centrale et centre de détention, le PEP est assuré par les CPIP en collaboration avec les surveillants ; il s’agit avant tout, pour le public accueilli, d’un travail social et relationnel, bien réalisé. Il n‘y a pas d’aménagement de peine à la MC, quelques-uns au CD. Quant à la préparation à la sortie, c’est un souci constant avec la difficulté de trouver des partenaires extérieurs. Les CAP sont, elles aussi, très individualisées.

 

Les soins

L’accès aux soins somatiques est assuré mais il manque la kinésithérapie et le développement de la téléconsultation.

L’accès aux soins psychiatriques est également assuré de manière pertinente avec la présence de psychiatres et psychologues et l’ouverture d’un CATTP animé par deux infirmiers et un mi-temps de psychologue du lundi au vendredi. Les contrôleurs notent la pertinence du projet médical d’hôpital de jour et d’équipe mobile de préparation à la sortie, totalement appropriés au public accueilli.

Au sein de l’USMP, il n’y a pas de coordination des soins par absence de cadre sur place et de chef d’unité, avec une absence de réunions cliniques régulières comme de réunions institutionnelles de fonctionnement ; les soignants ne sont d’ailleurs pas informés des projets médicaux.

L’accès à l’hygiène fait l’objet d’une attention particulière. Outre que les locaux soient propres, bien que vétustes, chaque détenu reçoit gratuitement l’ensemble des produits nécessaires à l’hygiène corporelle comme pour le nettoyage de sa cellule. L’aide à la toilette n’est en revanche pas encore semblable à celle du droit commun pour les quelques patients en incurie qui le nécessiteraient. Le lavage de vêtements de corps est facilité, gratuit, et le linge plat est lavé en tant que de besoin. Les locaux des douches sont rénovés et propres. L’accès aux douches n’est pas limité.

La prévention du suicide est sérieusement prise en compte avec une surveillance quotidienne des détenus par les surveillants, des liens faciles d’alerte entre surveillants et soignants, une CPU de prévention pluridisciplinaire où la présence de l’US permet une adaptation de la surveillance comme des activités proposées.

Enfin, de nombreuses activités, animées par des soignants et non soignants, intègrent la prise en charge spécialisée des détenus. Les activités socioculturelles sont diversifiées, avec un coordinateur à mi-temps et la mise en place d’actions à visée thérapeutique (médiation animale, jardin thérapeutique etc.). le personnel de surveillance anime aussi certaines activités. En revanche les activités sportives pâtissaient au moment de la visite de l’absence pour maladie de l’animateur, non remplacé.

Un rapport provisoire a été adressé à la cheffe d’établissement, aux directions des hôpitaux partenaires, aux chefs de la juridiction judiciaire de Soissons et à l’agence régionale de santé pour une période d’échange contradictoire d’un mois. La cheffe d’établissement ainsi que le directeur de l’EPSMD de l’Aisne ont émis des observations prenant en compte de manière sérieuse les recommandations du CGLPL.