Rapport de troisième visite de l’unité pour malades difficiles de Cadillac (Gironde)
Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, aux ministères de la santé, de la justice et de l’intérieur auxquels un délai de quatre semaines a été fixé pour produire leurs observations. A la date de publication de ce rapport, aucune observation n’a été produite.
Synthèse
Quatre contrôleurs ont effectué une visite inopinée de l’unité pour malades difficiles (UMD) située au centre hospitalier spécialisé (CHS) de Cadillac du 7 au 11 août 2023. Ce CHS a par ailleurs la charge de six secteurs de psychiatrie adulte du département et de deux intersecteurs de pédopsychiatrie.
L’UMD est constituée de cinq services et constitue une entité spécifique du CHS de Cadillac (460 lits pour 22 unités), qui fait partie du groupement hospitalier de territoire (GHT) « Alliance de Gironde ».
Le CHS de Cadillac partage une direction commune avec quatre autres établissements du Sud Gironde ; le directeur du CHS est un directeur délégué. L’établissement est implanté à proximité du CHS, au cœur de la commune de Cadillac. La gare SNCF la plus proche est à 2,5 km.
Sur un site à proximité du CHS se situent les cinq unités de l’UMD ainsi que l’USIP.
Le contrôle a porté sur les cinq services de l’UMD soit 86 lits.
La prise en charge immobilière ne respecte pas la dignité des patients
Toutes les unités sont fermées, au sein d’une grande enceinte dont l’entrée donne une impression carcérale, avec la présence de concertinas.
L’UMD est constituée de deux unités logées dans des bâtiments vétustes et inadaptés à l’accueil de patients, Moreau et Claude, et de trois services restructurés : Ey, Minkowski et Clérambault. Les trois services rénovés sont compatibles avec l’exercice des missions de psychiatrie ; les chambres sont majoritairement individuelles avec un accès à une salle d’eau complète.
Les zones collectives sont partout vastes et permettent le développement d’activités mais ne disposent que d’une télévision en état de fonctionnement, sauf à EY qui en a deux. Une grande bibliothèque est présente pour toutes les unités à Claude. Toutes les unités bénéficient de cours extérieures assez grandes, végétalisées et arborées.
Les deux unités Moreau et Claude sont construites sur deux étages, avec les chambres au premier étage et la zone de vie au rez-de-chaussée ; les chambres sont toutes collectives à 3 ou 4 personnes et ne comportent que des lits scellés au sol et un WC sans intimité ni point d’eau. Les chambres sont observables depuis le couloir par de grandes baies vitrées. Aucun bouton d’appel n’est présent dans les chambres. L’accès à la douche est limité à certains horaires et organisé par déshabillage dans des rangées de cabines ; aucune patère anti-suicide n’est présente dans les douches ; aucun placard n’est accessible dans les chambres collectives et des tables de chevet ne sont présentes qu’à l’unité Moreau. L’ensemble des chambres présente un caractère déshumanisé.
Ainsi, au regard de l’indignité et l’inadaptation des locaux de ces deux unités à l’exercice de la psychiatrie moderne, l’établissement doit débuter en urgence la reconstruction de ces unités sans attendre une livraison dans 6 à 7 ans.
Les restrictions de liberté au quotidien sont diverses, non conceptualisées ni harmonisées.
L’enfermement en chambre, de jour comme de nuit, ne laisse pas la possibilité aux patients de solliciter la possibilité d’en sortir, ne serait-ce que pour fumer. Or le fait de ne pouvoir solliciter de sortir de la chambre d’hospitalisation transforme cet enfermement en isolement psychiatrique nécessitant la décision médicale d’isolement du psychiatre.
D’autres restrictions de liberté restent systématiques et non individualisées comme le retrait du téléphone. Au surplus, la communication avec les proches est restrictive en dehors de toute motivation clinique puisque souvent un seul appel téléphonique par semaine est autorisé en appel sortant. Le pyjama hospitalier ou tout au moins la tenue hospitalière est obligatoire la nuit en chambre, sauf aux unités Ey et Minkowski, et lors des placements en chambre d’isolement (CI). La gestion du tabac est variable selon les unités mais un accès à des substituts est mis en place.
En revanche, l’accès aux familles est facilité par la mise à disposition d’une tablette pour des communications visiophoniques et les proches des patients peuvent déjeuner avec eux dans le salon des visites.
L’accès aux soins est porté à bout de bras par les médecins, cadres et soignants restant.
L’accès aux soins psychiatriques est assuré, malgré le défaut de temps médical, grâce aux deux médecins restant sur les cinq prévus. Les patients ne sont pas tous vus en consultation de manière rapprochée mais les médecins les voient dès que de besoin. Les réunions cliniques sont régulières et pluridisciplinaires, y compris avec le pharmacien du CH, sauf à Moreau, faute de médecin pour les assurer.
Les activités thérapeutiques, créatives et toutes les techniques de médiation sont développées et intégrées assez vite dans les projets de soins. Elles sont nombreuses et variées : 75 des 86 patients hospitalisés en bénéficient. Les thérapeutes renseignent les dossiers médicaux sur le logiciel Dxcare et participent aux réunions cliniques et de synthèse. Des réunions soignants-soignés sont en place dans les unités.
Dans toutes les unités, les effectifs soignants au contact des patients sont majoritairement identiques aux effectifs de sécurité en cas de grève, ce qui laisse penser que les services fonctionnent majoritairement en mode dégradé. Par ailleurs, plusieurs soignants rencontrés n’ont pas bénéficié de formation depuis plusieurs années.
Les soins somatiques sont assurés à l’admission et en réponse aux demandes quotidiennes d’avis somatiques ; les patients ont accès à des séances d’éducation à la santé et une aide au sevrage tabagique est proposée.
Les pratiques d’isolement et de contention sont très diverses d’une unité à l’autre. L’isolement reste systématique à l’arrivée du patient pour des durées variables selon les unités. L’analyse du registre de juin montre des pratiques d’isolement et de contention différentes selon les unités, de 0 à 35 % de la file active, mais ces mesures ont parfois un caractère punitif ou à visée comportementale.
Les anciennes unités disposent de quatre CI, et les unités Ey et Minkowski de deux. Il n’y a pas d’espace d’apaisement. Les CI ne disposent pas de bouton d’appel, le patient ne peut aérer la pièce et un oculus donnant sur le couloir permet de voir la personne y compris sous contention. Le patient porte obligatoirement un pyjama bleu et n’est autorisé à fumer qu’une cigarette après chaque repas.
La préparation à la sortie est peu investie en termes de communication avant et après le transfert avec les structures extérieures, les transmissions s’effectuant principalement au moment du départ. La commission de suivi médical se réunit mais les soignants ne rédigent pas souvent des synthèses inscrites au dossier du patient. Il n’y a pas de protocolisation des modes de transmission des informations entre les deux établissements.
Enfin, la recherche du consentement est insuffisante, que ce soit à travers les injections forcées en « si besoin » ou l’absence de directives anticipées en psychiatrie.
Le contrôle de l’établissement a été opéré alors que celui-ci projette la fermeture prochaine de l’unité Moreau par défaut de médecin, avec un transfert des patients sur les autres unités de l’UMD et un transfert d’une majorité d’agents en dehors de l’UMD.
Un rapport provisoire a été adressé le 26 décembre 2023 au directeur de l’établissement, au préfet du département de la Gironde, aux chefs de la juridiction bordelaise et à l’agence régionale de santé Nouvelle-Aquitaine. Seul le directeur délégué de l’établissement par intérim a adressé le 8 février 2024 des observations, intégrées dans le présent rapport.