Site du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté

Rapport de la troisième visite de la maison d’arrêt des Hauts-de-Seine à Nanterre (Hauts-de-Seine)

Rapport de troisième visite de la maison d’arrêt des Hauts-de-Seine à Nanterre (Hauts-de-Seine)

Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, aux ministères de la justice et de la santé auxquels un délai de quatre semaines a été fixé pour produire leurs observations. A la date de publication de ce rapport, aucune observation n’a été produite.

 

Synthèse

 

La Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, sept contrôleurs et une auditrice du Conseil d’Etat ont effectué une visite du centre pénitentiaire des Hauts-de-Seine (Nanterre) du 4 au 13 décembre 2023. Il s’agissait de la troisième visite du site.

L’établissement est localisé dans le ressort du tribunal judiciaire de Nanterre, du tribunal administratif de Cergy-Pontoise et de la direction interrégionale des services pénitentiaires de Paris. L’établissement de santé de rattachement est l’hôpital Max Fourestier, centre d’accueil et de soins hospitalier de Nanterre.

Le contrôle a été inopiné. La majorité des documents demandés par les contrôleurs ont été transmis, avec lenteur, révélant une gestion documentaire peu optimale. De même, la mise en place des affiches annonçant la visite et l’acheminement des courriers de demande d’entretien avec un contrôleur ont été laborieux. Toutefois, les équipes rencontrées se sont montrées très disponibles.

Le centre pénitentiaire des Hauts-de-Seine regroupe, sur l’emprise de l’ancienne maison d’arrêt des Hauts-de-Seine, un quartier maison d’arrêt de 592 places et un quartier pour mineurs d’une capacité de 18 places. Un quartier de semi-liberté, d’une capacité de 92 places, implanté sur un site distinct à Nanterre, a ouvert ses portes en mai 2019.

L’établissement n’est pas en mesure d’assurer des conditions d’hébergement dignes. A l’exception de ceux du quartier de semi-liberté, les bâtiments sont particulièrement dégradés. Le système de chauffage est apparu totalement défaillant ; il fait froid en cellule et les contrôleurs ont reçu de nombreux témoignages de personnes détenues affirmant devoir dormir avec leurs bonnets, chaussettes, survêtements, etc. La majorité des cellules est insalubre : revêtements dégradés, sanitaires sales et qui fuient, humidité, fenêtres laissant passer l’air et l’eau de pluie, absence de système d’aération, etc. Il y manque les équipements les plus élémentaires : pas d’échelle pour accéder aux lits superposés, manque de rangements et de chaises notamment. Les douches, toutes collectives, ne sont accessibles que trois fois par semaine ; elles présentent des états d’insalubrité avancés. Les cours de promenade sont dépourvues d’équipements sportifs, de bancs et d’urinoirs.

Si un effort a néanmoins été conduit quant à l’entretien des espaces communs, les rats pullulaient en extérieur au moment du contrôle, les campagnes de dératisation paraissant peu efficaces.

La surpopulation endémique (le taux d’occupation était de 160 % au moment du contrôle) vient aggraver l’indignité des conditions d’hébergement. La plupart des détenus disposent de moins de 3 m² de surface disponible en cellule par personne, une fois soustraites les emprises des sanitaires, ameublements et équipements. L’établissement est toutefois parvenu à éviter les matelas au sol depuis 2020. La création de deux ailes « spécifiques » et « vulnérables » a permis de préserver des encellulements individuels, au détriment toutefois d’un accès suffisant de ces publics aux activités.

S’ajoutent à ces conditions un sous-effectif en personnel de surveillance, conjugué à un absentéisme marqué : de 22 % en 2023, il s’est élevé à 28,9 % en moyenne dans les 6 mois précédant le contrôle.

Ce contexte ne facilite pas la protection de l’intégrité physique et psychique des personnes privées de liberté. La population détenue est exposée à des surrisques, sanitaires (rats, moisissures, froid et humidité), mais aussi d’incendie (mésusages d’installations électriques, installations électriques dégradées ou anarchiques en cellule, absence de détecteurs des fumées en coursive, absence de formation au risque d’incendie des agents), ou encore au travail : les préconisations de l’inspection du travail ne paraissent pas avoir toutes été suivies ; les consignes de sécurité ne font pas l’objet d’affichages actualisés aux ateliers.

La suroccupation tend à aggraver les phénomènes de trafics, alors que le sous-effectif du personnel limite les possibilités d’intervention en cas d’incident, notamment la nuit ou en promenade.

Des efforts ont été conduits quant à l’accompagnement des agents qui, dans l’ensemble, adoptent des postures professionnelles plutôt adaptées. Le climat de tension qui avait été relevé en coursive lors du précédent contrôle n’est plus constaté. Le nombre et les méthodes de réalisation des fouilles n’appellent pas de remarques (dans les limites des données exploitables), en revanche elles se réalisent dans des lieux inadaptés en l’absence de local ad hoc.

En revanche, le déploiement d’un plan local de prévention du risque suicidaire fait défaut, et les agents sont insuffisamment formés sur ce point. Les contrôleurs ont relevé le renfort récent des équipes en soins de santé mentale, et la place laissée aux activités du centre de soin, d’accompagnement et de prévention en addictologie, bienvenue au regard des spécificités du public hébergé. Cependant, des considérations d’ordre sécuritaire limitent les horaires d’ouverture de l’unité sanitaire, le suivi des rendez-vous et l’ouverture des portes des cellules ne sont pas facilités. Le circuit du médicament, insuffisamment sécurisé, a particulièrement inquiété les contrôleurs, qui ont constaté des ruptures de traitement et des conditions de distribution ne garantissant pas la confidentialité.

Les escortes sont assurées pour les extractions médicales ; il est relevé peu d’impossibilité de faire. En revanche, le recours aux contraintes additionnelles (menottes, entraves dès le niveau 2, qui concerne 43 % de la population carcérale) est trop systématique, jusque et y compris pendant la consultation, et la présence systématique de surveillants pénitentiaires lors des consultations et examens médicaux constitue une atteinte au secret médical.

Le manque de procédures partagées, des faiblesses dans l’organisation des instances de décisions et notamment des commissions pluridisciplinaires uniques (CPU), laissent la place à des marges d’arbitraire. Tout au long de la visite, les contrôleurs ont rencontré des difficultés pour comprendre les règles de fonctionnement, par manque de partage clair et commun des pratiques professionnelles.

Le système de signalements et de réclamations auprès du prestataire en gestion déléguée n’est pas suffisamment fiable et ne permet pas de s’assurer en temps réel des interventions à réaliser. Les personnes détenues ont pu témoigner de nombreuses réclamations datant de plusieurs semaines, voire mois. Le système de cantine est trop complexe, source d’erreurs. Les personnes détenues indiquent des délais longs, même pour le tabac.

La procédure d’accès au travail manque de transparence. Il n’y a pas de système d’appel à candidature. L’accès aux différentes classes de rémunération et l’octroi des primes ne font pas l’objet de règles claires et formalisées. Il n’y a pas de règlement des ateliers.

En dehors de celles destinées à l’unité sanitaire, uniquement en rez-de-chaussée, il n’y a pas de boîte aux lettres en détention. L’ensemble du courrier et des requêtes passe de la main des surveillants à l’officier de bâtiment, avant la remise au vaguemestre. Ce système ne garantit ni la confidentialité ni le suivi des délais de réponse.

L’accès aux différentes activités connaît trop de limitations. Il manque des surveillants pour assurer les ouvertures de cellules et les mouvements, ce qui entraîne de nombreux retards et des absences répétées. Les offres (de travail, d’heures de cours, de créneaux de sport, etc.) sont globalement insuffisantes. Sont opposés de façon quasi-systématique des refus de classement ou d’inscription si la personne fait l’objet d’un compte-rendu d’incident, quand bien même les faits en cause ne se sont pas déroulés dans le cadre de l’activité concernée. Une seule promenade de deux heures est proposée, souvent pour partie interrompue ; les personnes détenues doivent « choisir » entre promenade, parloir ou encore activité.

L’expression individuelle et collective, si elle doit être davantage organisée, est toutefois favorisée par la mise en place d’un service civique proposé par la Croix-Rouge aux personnes détenues, qui permet de développer des compétences utiles à la réinsertion. Il offre un espace d’échange et de réflexion sur le quotidien en détention, qui doit être pérennisé, avec le soutien de l’établissement et de ses personnels. La mise en place d’un module de respect, appelé à se développer, peut également favoriser l’autonomie et l’association des personnes détenues à la prise en charge individuelle et collective.

Des ressources sont déployées en matière d’accès au droit. En revanche, les notifications des décisions ne se réalisent pas dans des conditions et espaces adaptés, et la confidentialité des informations n’est pas garantie, pas davantage lors de la consultation du dossier pénal. La présentation devant le juge est assurée, mais elle se réalise dans des conditions indignes, dès lors qu’est imposé un retrait des lacets, des filets de capuche, etc. Le recours à la vidéo-conférence n’est pas apparu réservé aux audiences de pure forme ou aux cas dans lesquels il constitue l’unique moyen de respecter le délai raisonnable ; elle a pu être utilisée pour des débats contradictoires, ce qui ne saurait perdurer.

Plusieurs types de dispositifs sont mis en place par le service de probation et d’insertion afin de dynamiser les parcours de détention et de mobiliser les détenus pour préparer leur sortie. De nombreux partenaires interviennent pour assurer des activités, stages ou formation diverses. La politique d’exécution et d’aménagement des peines est apparue globalement dynamique. En revanche, la préparation à la sortie se heurte au manque d’hébergement.

Le contrôle a mis en exergue les multiples difficultés rencontrées par les personnes étrangères : l’absence de recours à une plate-forme d’interprétariat (récemment déployée mais encore en voie d’appropriation par les équipes) et le peu de documents traduits aggravent les situations de stigmatisation dont les ressortissants étrangers peuvent faire l’objet. Il n’y a pas de permanences associatives spécifiques, et notamment pas de présence de la Cimade ; le protocole avec la préfecture relatif aux titres de séjour date de 2014, et ne couvre pas les personnes en détention provisoire dont les éventuelles démarches sont d’autant plus compromises. Les ruptures de droit, pour des personnes sans titre, ou dont le titre expire en détention, sont multiples. Il est difficile, voire impossible, d’accéder au travail pour les personnes qui maîtrisent mal le français. Il a été tenté de regrouper certains ressortissants étrangers sur une même aile pour tenir compte de leur vulnérabilité, mais cela peut également contribuer à leur stigmatisation. Un projet porté par le centre de soin, d’accompagnement et de prévention en addictologie a permis de déployer des entretiens collectifs puis individuels à leur égard.

Les mineurs sont apparus insuffisamment accompagnés. Ils peuvent rester plus de 12h sans distribution de repas, entre 17h30 la veille et lendemain 7h30. Ils ne bénéficient que d’une heure de promenade une fois par jour. La gestion en quatre groupes, prévalant au moment du contrôle pour éviter les contacts entre certains jeunes, impose de démultiplier les intervenants. Les mineurs ne bénéficient chacun que d’une heure de sport par semaine. Ils ne suivent qu’entre 6 à 7h de cours par semaine. Certains peuvent passer entre 19h et 20h en cellule par jour. Ils ne sont pas toujours acheminés à l’unité sanitaire et les soignants se rendent peu au quartier des mineurs ; ils ne sont pas inclus dans le programme du centre de soin, d’accompagnement et de prévention en addictologie. Enfin, les juges des enfants et les juges d’instruction spécialisés pour les mineurs ne connaissent pas l’établissement ; les commissions d’application des peines, les demandes de mise en liberté et les audiences pour les aménagements de peine se font exclusivement hors débats (par simple échanges écrits d’avis).

En dépit des nombreuses difficultés recensées, les contrôleurs ont constaté certaines évolutions favorables depuis la précédente visite ainsi que l’engagement des acteurs de la détention. Il est à espérer que la consolidation récente des équipes de direction et administratives permettra à l’établissement de s’emparer de ces nombreux axes d’amélioration.

Un rapport provisoire a été adressé le 12 mai 2024 au directeur du centre pénitentiaire, aux chefs de la juridiction de Nanterre, au préfet des Hauts-de-Seine, à l’agence régionale de santé d’Ile-de-France, et au directeur de l’hôpital Max Fourestier, centre d’accueil et de soins hospitaliers de Nanterre, pour une période d’échange contradictoire d’un mois.

Seul le directeur du centre pénitentiaire, dans un courrier en date du 23 juillet 2024, a fait valoir ses observations, intégrées au présent rapport définitif dans une police spécifique.