Site du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté

Rapport de la troisième visite du pôle de psychiatrie du centre hospitalier de Mayotte à Mamoudzou (Mayotte)

Le CGLPL a réalisé en octobre 2023 des missions de contrôle des lieux de privation de liberté de Mayotte (centre pénitentiaire de Majicavo, centre hospitalier de Mamoudzou, centre de rétention administrative de Pamandzi, locaux de rétention administrative de Petite-Terre et commissariat de Mamoudzou). Dans l’ensemble des lieux visités, les contrôleurs ont fait le constat de conditions d’enfermement et de prise en charge gravement attentatoires aux droits fondamentaux et à la dignité des personnes enfermées.

La gravité des constats et la forte dégradation des conditions de privation de liberté depuis sa précédente visite en 2016 ont conduit le CGLPL à adresser ses rapports de visite et des observations au Premier ministre, en sus des ministres de l’intérieur, de la justice et de la santé.

Rapport de la troisième visite du pôle de psychiatrie du centre hospitalier de Mayotte à Mamoudzou (Mayotte)

Courrier adressé au Premier ministre concernant les lieux de privation de liberté à Mayotte

Observations du ministère de la justice – Lieux de privation de liberté de Mayotte

 

Synthèse

Trois contrôleurs ont procédé du 2 au 5 octobre 2023, à la visite inopinée du centre hospitalier de Mayotte (CHM), situé à Mamoudzou. Ils ont contrôlé l’unité de psychiatrie, le service des urgences ainsi que les trois chambres dites carcérales situées dans les services d’hospitalisation du CHM. Il s’agissait de la troisième visite du CGLPL après celles de 2009 et 2016.

Le contrôle s’est déroulé alors que l’hôpital était en crise, une partie du personnel ayant exercé son droit de retrait à la suite du caillassage, le 14 septembre 2023, d’un bus de l’hôpital qui reconduisait des agents à leur domicile. Une étudiante infirmière a été blessée au niveau d’un œil, nécessitant plusieurs points de suture. Lors de la visite du CGLPL, les syndicats menaçaient d’une grève générale et des collectifs mahorais bloquaient le centre de consultations et de soins Jacaranda attenant au CHM. Par ailleurs, le fonctionnement de l’hôpital était affecté par la grave pénurie d’eau même si, établissement prioritaire, il ne subissait pas de coupures à la différence des habitants, privés d’eau au robinet deux jours sur trois. Nombreux étaient les agents qui s’absentaient ou télétravaillaient pour faire des réserves d’eau et garder les enfants du fait de la fermeture d’écoles ou atteints par une épidémie de gastro-entérite.

La population de Mayotte a été multipliée par douze en 60 ans, passant de 23 300 habitants en 1958 à 256 518 habitants en 2017, date du dernier recensement exhaustif de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE). Au 1er janvier 2022, selon cet Institut, le département comptait 300 000 habitants[1]. Toutefois, la population serait fortement sous-estimée et serait plus proche de 450 000 à 500 000 habitants[2].

A l’issue de cette troisième visite du CGLPL, la majorité des constats de 2016 reste d’actualité et la prise en charge des personnes hospitalisées sans leur consentement en psychiatrie s’est encore dégradée.

L’offre d’hospitalisation complète en psychiatrie se concentre en effet sur le CHM, seul hôpital du département et autorisé en psychiatrie avec une unité comptant, comme en 2016, dix lits d’hospitalisation. Il n’existe dans le département aucun lit d’hospitalisation complète en pédopsychiatrie et les mineurs de 16 ans sont hospitalisés en secteur adulte ce qui est à proscrire. Les plus jeunes sont envoyés sur l’Ile de la Réunion, voire dans l’hexagone ce qui porte atteinte à leur vie privée et familiale.

Au moment du contrôle, le budget alloué à la psychiatrie ne représentait qu’une douzaine de millions sur les 340 millions de budget global du CHM. Malgré des aides ciblées, la part consacrée à cette spécialité semble s’éroder chaque année en l’absence de projet de service et de réalisation des projets annoncés. Sur les 11 équivalent temps plein (ETP) de médecins psychiatres budgétés, seuls 4,2 étaient effectivement pourvus et le département se caractérise par une quasi-absence de psychiatrie libérale. L’effectif de personnel non médical affecté au sein de l’unité de psychiatrie reste fragile. L’ensemble des professionnels de santé est très attentif à la situation sanitaire et sécuritaire de Mayotte, qu’ils y soient déjà en poste ou simplement candidats.

Le sous-dimensionnement chronique de l’offre d’hospitalisation complète en psychiatrie entraîne des atteintes particulièrement graves aux droits fondamentaux des patients placés en soins sans consentement ou sous-main de justice et les met en danger.

Premièrement, des personnes attendent au service des urgences du CHM dans des conditions indignes qu’un lit se libère en psychiatrie : elles sont soit enfermées dans l’une des deux chambres d’isolement soit, lorsque celles-ci sont occupées, elles sont contenues sur un brancard dans un couloir pendant parfois 72 heures, sans accès permanent et spontané à un point d’eau ni à des toilettes.

Deuxièmement, la durée moyenne de séjour en psychiatrie est très anormalement raccourcie du fait du nombre limité de lits. Selon les chiffres du rapport d’activité 2021 du département d’information médicale (DIM), elle était de 12,2 jours pour n’être plus que de l’ordre de 7 à 9 jours au moment du contrôle. Seule la crise est traitée ce que confirme le taux de ré-hospitalisation de 50 %.

Enfin, les prescriptions médicamenteuses du service de psychiatrie ne sont pas systématiquement contrôlées par le pharmacien comme l’imposent les textes. Le livret du médicament ne propose qu’un nombre restreint de molécules pharmaceutiques pourtant couramment utilisées. Les infirmiers sont de ce fait obligés de se rendre à la pharmacie de ville pour les obtenir et éviter des ruptures thérapeutiques.

L’unité de psychiatrie est abritée dans un bâtiment de plain-pied organisé autour d’une cour intérieure et n’offrant aucune vue sur l’extérieur. La porte d’accès en est toujours fermée, y compris pour les patients en soins libres. Les conditions d’hébergement ne répondent absolument pas aux standards hôteliers résultant du décret du 28 septembre 2022 entré en vigueur le 1er juin 2023[3]. En effet, les patients ne peuvent pas fermer à clef leur chambre et la porte de l’une d’entre elles présente un fenestron non occulté qui rend son occupant visible depuis le couloir. Les patients ne peuvent pas appeler à l’aide, aucune des chambres n’étant équipée d’un bouton d’appel. Seules trois des sept chambres[4] disposent de toilettes et de douches. Le mobilier est réduit à un lit métallique. Les patients n’ont pas de table, de chaise, de chevet ni d’une liseuse. Aucune des quelques armoires installées dans les chambres ne peut être fermée à clef et certaines, dont les portes sont cassées, en restent dépourvues. Les patients ne peuvent pas ouvrir les fenêtres de leur chambre. Celles-ci sont occultées par un épais film plexiglass et barreaudées, empêchant le passage de toute lumière naturelle. La salle de restauration et de loisirs meublée de façon spartiate et en désordre ressemble à un débarras plongé dans l’obscurité. Ces conditions de séjour matériellement indignes ne respectent ni la sécurité ni la vie privée des patients.

Malgré les travaux de rénovation menés en 2022 et 2023, les deux chambres sécurisées situées dans les services de médecine polyvalente et de chirurgie viscérale présentent des atteintes à la dignité des patients : la garde statique qui s’installe dans le sas fait face à une vitre donnant sur les toilettes. Ces chambres sont en outre dépourvues d’horloge et d’horodateur. La chambre sécurisée des urgences ne dispose pas de sanitaire, de bouton d’appel ni d’une horloge. L’accès à ces chambres ne suit pas un circuit spécifique et la personne peut traverser le service menottée et encadrée par des policiers ou attendre dans de telles conditions à la vue de tous.

Dans le cadre d’une hospitalisation dans ces chambres sécurisées, la confidentialité des soins reste à l’appréciation des médecins qui, pour certains demandent à être seuls avec le patient. Pour les personnes gardées à vue, la porte ouverte et la présence des forces de l’ordre est de principe pendant les examens médicaux.

Les mesures d’isolement et de contention sont mises en œuvre dans des conditions indignes et échappent au contrôle du juge des libertés et de la détention. L’unité de psychiatrie comporte deux chambres d’isolement. Deux autres chambres sont utilisées aux urgences comme chambre d’isolement pour les patients en attente d’hospitalisation au sein de l’unité de psychiatrie.

Aucune de ces chambres, dépourvues d’accès extérieur, ne permet une prise en charge digne du patient isolé. Il ne dispose ni de bouton d’appel ni d’une horloge. Il ne peut allumer ou éteindre sa lumière ou tirer sa chasse d’eau. Aucun papier hygiénique ne lui est laissé. Le patient isolé aux urgences est exposé à la vue de tous ceux qui passent dans le couloir, la porte étant équipée d’un large fenestron vitré. Au sein de l’unité de psychiatrie, les écrans de report des caméras de surveillance installées dans les chambres d’isolement avec vue sur les toilettes, sont placés dans le bureau infirmier et le local des agents de sécurité qui sont un lieu de passage. Le port d’une chemise d’hôpital, systématique en chambre d’isolement ainsi d’ailleurs que la nuit pour tous les patients, porte atteinte à leur dignité.

En matière d’isolement et de contention, le registre prévu par l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique n’existe pas et ces mesures ne sont pas tracées. Or, il a été indiqué que si la contention était rare, les isolements étaient relativement fréquents et pouvaient dépasser une durée de 48h. Les pratiques d’isolement et de contention au sein du service des urgences ne sont pas plus tracées et aucun registre n’existe.

En l’absence de registre, les autorités de contrôle, dont le CGLPL, ne peuvent déterminer si les mesures d’isolement et de contention sont une pratique de dernier recours et les professionnels ne peuvent pas les analyser. Ceci est d’autant plus problématique que la consultation des dossiers des patients révèle que l’isolement est indiqué comme étant une prescription et non une décision médicale. Aucune politique d’alternative aux pratiques d’isolement et de contention n’est mise en œuvre dans l’établissement, dépourvu d’espace d’apaisement.

Le contrôle du juge des libertés et de la détention en matière d’isolement et de contention est inexistant ce qui place le CHM dans une situation d’illégalité manifeste.

Un rapport provisoire de visite a été adressé le 21 février 2024 au directeur de l’établissement, au préfet de Mayotte, au président et au procureur du tribunal judiciaire (TJ) de Mayotte et à l’agence régionale de Mayotte. Aucune observation n’a été formulée en retour durant la phase contradictoire d’un mois.

[1] Ce chiffre est fondé sur le dernier recensement exhaustif mené en 2017, actualisé chaque année à partir des données d’état civil sur les naissances et les décès ainsi que par la prolongation de la tendance en matière de flux migratoires.

[2] Pour avancer ces chiffres, il est fait état des statistiques basées sur la consommation de riz, aliment de base local.

[3] Décret n°2022-1264 du 28 septembre 2022 relatif aux conditions techniques de fonctionnement de l’activité de psychiatrie.

[4] Quatre chambres individuelles et trois à deux lits.