Site du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté

Rapport de la troisième visite du centre de rétention administrative de Pamandzi, des locaux de rétention administrative de Petite-Terre et du commissariat de Mamoudzou (Mayotte)

Le CGLPL a réalisé en octobre 2023 des missions de contrôle des lieux de privation de liberté de Mayotte (centre pénitentiaire de Majicavo, centre hospitalier de Mamoudzou, centre de rétention administrative de Pamandzi, locaux de rétention administrative de Petite-Terre et commissariat de Mamoudzou). Dans l’ensemble des lieux visités, les contrôleurs ont fait le constat de conditions d’enfermement et de prise en charge gravement attentatoires aux droits fondamentaux et à la dignité des personnes enfermées.

La gravité des constats et la forte dégradation des conditions de privation de liberté depuis sa précédente visite en 2016 ont conduit le CGLPL à adresser ses rapports de visite et des observations au Premier ministre, en sus des ministres de l’intérieur, de la justice et de la santé.

Rapport de la troisième visite du centre de rétention administrative de Pamandzi, des locaux de rétention administrative de Petite-Terre et du commissariat de Mamoudzou (Mayotte)

Courrier adressé au Premier ministre concernant les lieux de privation de liberté à Mayotte

Observations du ministère de la justice – Lieux de privation de liberté de Mayotte

 

Synthèse

Une équipe de sept contrôleurs a visité de manière inopinée, du 9 au 13 octobre 2023, le centre de rétention administrative (CRA) de Pamandzi (140 places), les deux locaux de rétention administrative (LRA) situés au sein du service territorial de la police aux frontières (STPAF) à Pamandzi (les LRA STPAF et Zone 7), le centre d’évaluation sanitaire initiale (CESI) implanté au sein de l’ancien hôpital de Dzaoudzi ainsi que le LRA attenant dit « le LRA CESI ». Deux visites de nuit, l’une au CRA, l’autre au CESI, ont été effectuées le 12 octobre 2023.

Les contrôleurs ont relevé une forte dégradation des conditions de privation de liberté et de prise en charge des personnes retenues depuis la visite de 2016 alors que les constats étaient déjà alarmants[1]. Le CGLPL, bien conscient que Mayotte cumule des difficultés démographiques, économiques et sociales, déplore la violation des droits fondamentaux des personnes enfermées au mépris du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), pourtant déjà marqué dans ce département par de nombreuses dérogations au droit commun ainsi que par pratique dite de la « mise à disposition », porteuse de ces violations. Pendant la durée de la mise à disposition, les personnes ne jouissent d’aucun des droits afférents aux procédures de retenue pour vérification de séjour ou d’identité. Les mesures d’éloignement assorties de placement en rétention édictées dans la foulée le sont sans vérification de la situation personnelle des intéressés. Le CGLPL déplore également la persistance de pratiques particulièrement graves, telles que le rattachement purement fictif d’enfants à des adultes non apparentés dans le seul but de les éloigner. Il rappelle la condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) de la France pour des faits analogues, le 25 juin 2020[2].

Par ailleurs, plusieurs des demandes des contrôleurs qui n’avaient jusqu’alors posé difficulté dans aucun autre lieu de rétention, se sont heurtées à des refus des autorités ou sont restées lettre morte, empêchant pour partie ceux-ci de mener à bien leur mission.

En 2022, presque 29 000 personnes dont 3 317 enfants, ont intégré le CRA ou un LRA, soit 64 % des placements en rétention sur le territoire français et 97,25 % s’agissant des mineurs. La durée moyenne de séjour était de 1,31 jour en CRA et de moins de 24h en LRA. Les données obtenues pour les neuf premiers mois de l’année 2023 n’attestent d’aucun changement.

Les personnes interpellées sur terre comme en mer, dont des enfants en bas âge, attendent de longues heures dans des conditions particulièrement indignes, enfermées dans une salle de vérification ou au CESI communément dénommé « local de tri sanitaire ». Dans ce local, les personnes épuisées par la périlleuse traversée en kwassa-kwassa[3] et aux vêtements souvent mouillés, sont placées dans deux espaces grillagés évoquant des cages. Alors que destiné aux soins, elles n’ont, dans ce lieu insalubre, accès à aucun point d’eau et qu’à un seul WC. Ni eau ni nourriture ne sont mises à leur disposition. Des personnes de tous âges peuvent passer une partie de la nuit dans la salle de vérification uniquement équipée de quelques matelas au sol et de bancs de bois. L’odeur qui y régnait au moment du contrôle était nauséabonde. Les procès-verbaux des services interpellateurs et les mesures d’éloignement sont tous stéréotypées, motivés de la même façon sans considération de la situation personnelle de l’intéressé, notamment de sa vie privée et familiale. Seul le nom et la date de naissance changent.

La notification de leurs droits aux personnes retenues se limite à leur demander d’apposer leur signature au bas d’une feuille. Le caractère expéditif de l’intégration au CRA ne permet pas de délivrer la moindre information orale, y compris sur les règles de vie. Aux rares questions que certains posent, il est répondu « qu’une assistante sociale », c’est-à-dire un juriste d’une des associations intervenant au sein de l’établissement, les rencontrera et réglera leur situation. Les contrôleurs ont assisté à l’intégration au CRA de plusieurs groupes de 20 à 30 personnes. L’opération qui comprend outre la « notification des droits », la gestion des biens et valeurs dure au maximum 30 minutes pour l’ensemble du groupe, du portique de sécurité à l’installation en zone.

Une fois intégrées au CRA, les personnes privées de liberté sont tributaires, d’une part, du passage de « l’assistante sociale » et des soignants de l’unité médicale qui sont dans l’incapacité de rencontrer tous les entrants et, d’autre part, de leurs familles qui peuvent patienter devant l’établissement des heures, sans aucune information. Il s’agira, pour les proches, de rassembler les nombreux documents exigés pour justifier par exemple de la qualité de parent d’enfant français ou de réfugié, de la minorité, de problèmes de santé et ce dans un délai record. Les services préfectoraux peuvent décider de différer l’exécution de la mesure d’éloignement. Mais ces mises en attente très difficiles à obtenir, d’une durée très brève ne garantissent pas nécessairement la suspension de l’éloignement. Le nombre de pièces exigées place les personnes concernées devant une preuve souvent impossible à rapporter d’autant plus qu’elles sont privées systématiquement de leur téléphone personnel et parfois de tout accès au téléphone, avec des proches craignant parfois eux-mêmes de se déplacer au CRA. Par conséquent, ainsi qu’ont pu le constater les contrôleurs, de nombreuses personnes se prévalant par exemple de la qualité de parent d’enfant français et disposant des pièces d’identité françaises de leurs enfants sont éloignées ce qui laisse ceux-ci sans document d’identité et souvent isolés à Mayotte.

Comme mentionné supra, les pratiques de rattachement des mineurs isolés à des adultes avec lesquels ils n’ont aucun lien, perdurent. Certains, reconduits très rapidement, n’ont même pas la possibilité de rencontrer l’association intervenant en rétention qui seule pourrait contacter les familles. Les intervenants, en nombre insuffisant, ne sont pas toujours informés de la rétention de mineurs et ne les rencontrent donc pas avant leur éloignement expéditif.

De façon générale, pour la grande majorité des personnes retenues, le délai séparant l’édiction de la mesure d’éloignement de son exécution rend ineffectif le droit au recours.

Enfin, les conditions de vie au CRA et dans les LRA portent gravement atteinte aux droits fondamentaux et aux besoins élémentaires des personnes retenues, a fortiori s’agissant des plus jeunes et de ceux restant enfermés jusqu’à 90 jours.

[1] CGLPL, Rapport de visite du centre de rétention administrative de Pamandzi, juin 2016 (en ligne).

[2] CEDH, Moustahi c. France, 25 juin 2020, n°9347/14.

[3] Appellation comorienne de canots de pêche utilisés en l’espèce pour le transport de migrants.