Site du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté

Rapport de la troisième visite de la maison d’arrêt Bonne-Nouvelle à Rouen (Seine-Maritime)

Rapport de la troisième visite de la maison d’arrêt Bonne-Nouvelle à Rouen (Seine-Maritime)

Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, aux ministères de la justice et de la santé auxquels un délai de quatre semaines a été fixé pour produire leurs observations. A la date de publication de ce rapport, aucune observation n’a été produite.

 

Synthèse

La Contrôleure générale des lieux de privation de liberté a missionné une équipe constituée de sept contrôleurs pour effectuer un contrôle inopiné de la maison d’arrêt (MA) de Rouen (Seine-Maritime), du 6 au 15 novembre 2023. Cette mission constituait une troisième visite, faisant suite à deux contrôles réalisés pendant les mois de septembre 2008 et de janvier 2016.

La MA a fait l’objet du constat politique[1] de la nécessité de sa destruction, jamais mise en œuvre, au motif de difficultés concernant le choix d’un nouveau site d’implantation d’un établissement de remplacement. L’établissement n’a ainsi pas bénéficié des opérations de réhabilitation nécessaires pendant plusieurs années. Le contexte surajouté d’une non-priorisation liée à son changement de direction interrégionale des services pénitentiaires (DISP)[2] et l’insuffisance notable, voire l’absence de rigueur s’agissant de sa maintenance, ont été relevés. L’établissement a fait l’objet d’un diagnostic indiquant un plan de restructuration totale en 2019 mais les décisions de financement et la planification de la réalisation des travaux, pilotées par la direction de l’administration pénitentiaire (DAP) et la DISP, font toujours défaut.

Les constats du CGLPL confirment que l’état bâtimentaire de la MA de Rouen ne permet plus de garantir le droit à la dignité des conditions d’hébergement et à la sécurité des personnes détenues, notamment dans les divisions de la MA des hommes, ni l’ergonomie et la dignité des conditions de travail de l’ensemble du personnel. La résilience des personnes détenues qui effectuent peu de demandes de transfert et n’introduisent aucun recours « conditions indignes de détention »[3], et celle du personnel, ont été soulignées. La MA des hommes fait l’objet d’une suroccupation qui s’élève à 112 % sans matelas au sol.

Au-delà des constats relatifs à l’état bâtimentaire, les conditions fonctionnelles de l’hébergement complètent ce préoccupant tableau d’indignité : 531 des 620 êtres humains, soit 86 %, sont enfermés 23 heures par jour dans des cellules doublées ou triplées, et 265 d’entre eux, soit 48,6 %, disposent d’un espace vital restreint entre 1,79 et 2,72 m². Les cellules ne permettent aucun accès à l’eau chaude, à des WC respectant l’intimité, à une luminosité naturelle ou électrique suffisante, et il est impossible d’y disposer d’un réfrigérateur.

Le droit à la protection physique et psychique est insuffisamment assuré et de nombreux détenus sont en proie à un sentiment d’insécurité. Des postes d’agents de surveillance sont vacants, les niveaux d’escorte ne sont pas individualisés, aucun système d’interphonie ni dispositif de vidéosurveillance dans les coursives ne contribuent à la garantie de la sécurité, et certains détenus vivent dans ce cadre des situations de violences qui mettent en jeu leur vie. Les modalités de fouille à corps des femmes détenues lors de leurs périodes menstruelles sont inacceptables. Les détenus ont accès à des soins généralistes qui répondent à leurs besoins, mais le manque de psychiatre et le délai de consultation des psychologues complexifient l’accès à ces soins spécialisés La mise en œuvre des modalités de la prévention du suicide requiert des améliorations.

Une majorité de détenus font l’objet d’un désœuvrement et d’un sentiment d’ennui presque continu, 150 d’entre eux, soit 23 % seulement, étant occupés. Les semi-libres sont également contraints à une oisiveté notable, aux motifs d’horaires de sortie insuffisants et incompatibles avec la recherche d’un emploi, d’absence complète de contenu lors des longues heures de maintien dans le quartier, et de l’absence d’autorisation de conservation de leur téléphone comme de l’accès à une cabine. L’accès au sport se limite à un créneau horaire hebdomadaire pour les détenus hommes majeurs et aucun accès libre à une pratique sportive n’est permis.

Le parcours d’exécution de la peine ne répond pas à la nécessité de mise en œuvre d’aménagements favorisant la réinsertion. Les réductions de peine supplémentaires ne sont pas accordées en considération des besoins des personnes et des possibilités mises à leur disposition. Les faibles nombre et diversité des permissions de sortir octroyées ne permettent pas l’investissement dans un processus efficace de préparation de la sortie. La libération sous contrainte (LSC) n’est pas valorisée de façon à constituer une modalité pertinente de parcours d’exécution de la peine.

La MA de Rouen fait face à un défi d’une rare ampleur pour parfaire le respect des droits fondamentaux des personnes détenues et les conditions de travail de ses professionnels. La direction et la grande majorité des agents, soucieux d’un exercice professionnel investi et de qualité, constituent aujourd’hui la clef de l’amélioration des constats relevés par le CGLPL, s’agissant des droits relatifs à la protection physique et psychique et du parcours d’exécution de la peine. Le CGLPL souligne avec fermeté la nécessité d’un soutien politique, organisationnel et financier de la DAP et de la DISP, pour accomplir l’indispensable restructuration bâtimentaire, dont l’établissement a besoin pour garantir la réalisation adéquate de ses missions auprès des personnes privées de liberté qui lui sont confiées.

[1] Cf. question posée au gouvernement n°1451, par le député de Seine-Maritime (publiée au journal officiel le 10 mai 2011, page 4 629) et réponse du ministre de la Justice (publiée au journal officiel le 18 mai 2011, page 3 109).

[2] La tutelle de la MA de Rouen, exercée par la DISP de Lille, a été transférée à la DISP de Rennes en 2016.

[3] Cf. Article 803-8 du code de procédure pénale (CPP).