Le CGLPL a réalisé en octobre 2023 des missions de contrôle des lieux de privation de liberté de Mayotte (centre pénitentiaire de Majicavo, centre hospitalier de Mamoudzou, centre de rétention administrative de Pamandzi, locaux de rétention administrative de Petite-Terre et commissariat de Mamoudzou). Dans l’ensemble des lieux visités, les contrôleurs ont fait le constat de conditions d’enfermement et de prise en charge gravement attentatoires aux droits fondamentaux et à la dignité des personnes enfermées.
La gravité des constats et la forte dégradation des conditions de privation de liberté depuis sa précédente visite en 2016 ont conduit le CGLPL à adresser ses rapports de visite et des observations au Premier ministre, en sus des ministres de l’intérieur, de la justice et de la santé.
Rapport de la deuxième visite du centre pénitentiaire de Majicavo (Mayotte)
Courrier adressé au Premier ministre concernant les lieux de privation de liberté à Mayotte
Observations du ministère de la justice – Lieux de privation de liberté de Mayotte
Synthèse
Cinq contrôleurs ont effectué une visite inopinée du centre pénitentiaire (CP) de Majicavo à Mayotte du 2 au 6 octobre 2023. Cette mission constituait une seconde visite faisant suite à un premier contrôle réalisé en juin 2016[1].
Cet établissement, mis en service en décembre 2015 sur le site de l’ancienne maison d’arrêt (contrôlée en mai 2009) qu’il a remplacée, dispose d’une capacité théorique de 278 places, auxquelles s’ajoutent un quartier d’isolement (QI) de 3 places et un quartier disciplinaire (QD) de 4 places. Il compte : un quartier des arrivants (QA) de 14 places ; un quartier maison d’arrêt pour hommes (QMAH) de 76 places ; un quartier centre de détention pour hommes (QCDH) de 152 places ; un quartier des femmes (QF) de 6 places ; un quartier des mineurs (QM) de 30 places.
Cependant, depuis 2017, pour faire face au nombre croissant de personnes placées en détention provisoire, le rez-de-chaussée du QCDH a été transformé en QMAH portant en réalité la capacité de ces deux quartiers à 114 places théoriques chacun.
Depuis sa mise en service, le CP connaît une suroccupation chronique qui ne fait qu’augmenter. Lors du contrôle de 2016, il y avait 284 personnes hébergées (et 25 matelas au sol) ; en 2023, le pic de 620 détenus a été atteint, dont 245 – soit plus d’un tiers – dormaient sur un matelas au sol. Au moment de la visite, avec 555 personnes détenues hébergées, dont 195 sur des matelas au sol, les contrôleurs constataient, de façon inédite, une suroccupation plus importante au QCDH (247 %) qu’au QMAH (200 %). Seules 12 personnes affectées dans ces deux quartiers bénéficient d’un encellulement individuel, soit 2,3 % de l’effectif.
Si l’organigramme est au complet, l’absentéisme est élevé, atteignant 23 % lors de la visite et la compétence comme l’investissement de certains membres de l’encadrement intermédiaire notoirement insuffisants, entraînent des postures professionnelles inadaptées, empreintes de xénophobie tant vis-à-vis des détenus, dont 64 % sont étrangers, qu’au sein même du personnel de surveillance et vis-à-vis de l’encadrement non mahorais.
Dans ce contexte, aucun des quartiers ou régimes de prise en charge ne remplit sa fonction. Au quartier des arrivants, quatre des huit cellules accueillent des arrivants, les quatre autres étant allouées à d’autres profils. En raison du flux incessant, les arrivants ne restent au sein de ce quartier qu’une ou deux journées maximum. Le régime de détention du QCDH, supposé permettre un travail sur le passage à l’acte et la prévention de la récidive, est dévoyé au point que l’on ne peut considérer le centre pénitentiaire de Majicavo que comme une vaste maison d’arrêt surpeuplée.
Un tel niveau de surpopulation carcérale entraîne la dégradation des conditions de détention de l’ensemble de la population pénale. Avec 35 % de la population dormant par terre, les détenus doivent renoncer à disposer d’espace pour se mouvoir a minima dans des cellules trop encombrées et insuffisamment meublées ; l’accès aux soins et aux activités est ralenti, entravé, voire impossible, faute de place, faute de personnel, faute de locaux en nombre suffisant, faute de temps et d’organisation des mouvements également, entraînant attente, retards et annulations.
Les conséquences de la promiscuité en cellule sont encore aggravées par les coupures d’eau imposées aux détenus de 18h à 7h30 et l’inactivité quasi généralisée.
Largement livrés à eux-mêmes, mal nourris et mal vêtus, les détenus peinent d’autant plus à se percevoir comme sujets de droit qu’ils sont rarement traités comme tels. Le point justice dysfonctionne, les permanences du délégué de la Défenseure des droits n’étaient toujours pas effectives au moment de la visite et aucune association spécialisée en droit des étrangers n’intervient au CP. Alors que 64 % de la population est étrangère, la plupart des documents ne sont pas traduits dans les langues les plus représentées (notamment le shimaoré) et aucun interprète n’intervient au sein de l’établissement (sauf à l’unité sanitaire). Les avocats, en nombre très insuffisant sur l’île, n’interviennent pas dans l’établissement, y compris en commission de discipline ; situation d’autant plus problématique qu’aucun assesseur extérieur n’y participe.
Dans ces circonstances, qui mettent en péril l’intégrité physique et psychique des détenus, l’accès aux soins somatiques est aléatoire et les possibilités de consultations psychiatriques pratiquement nulles, le psychiatre n’intervenant que deux ou trois demi-journées par mois et les hospitalisations en psychiatrie étant inexistantes.
Enfin, plus généralement, les contrôleurs ont reçu un nombre incalculable de témoignages de détenus disant qu’ils n’ont jamais aucune réponse à leur requêtes, écrites ou orales, y compris lorsqu’ils sonnent aux interphones la nuit pour signaler des problèmes de santé graves ou des violences. Ils en conçoivent un sentiment d’amertume et d’abandon insuffisamment perçu par les autorités.
Un rapport provisoire a été adressé, le 11 juin 2024, au chef d’établissement, au directeur du centre hospitalier de Mayotte, aux chefs de la juridiction judiciaire, au préfet de Mayotte, au directeur général de l’Agence régionale de santé du département et au bâtonnier de l’ordre des avocats de Mayotte pour une période d’échange contradictoire d’un mois. Aucun des destinataires n’a adressé d’observation au CGLPL.
[1] CGLPL, Rapport de visite du centre pénitentiaire de Majicavo, juin 2016 (en ligne).