Rapport de deuxième visite du centre hospitalier spécialisé Saint-Ylie Jura à Dôle (Jura)
Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, au ministère de la santé auquel un délai de quatre semaines a été fixé pour produire ses observations. A la date de publication de ce rapport, aucune observation n’a été produite.
Synthèse
Six contrôleurs ont effectué une visite, annoncée la semaine précédente, du centre hospitalier spécialisé (CHS) Saint-Ylie Jura, département du Jura (39) du 6 au 17 novembre 2023.
Construit à partir de 1877 sur un site de plus de 110 hectares, il représentait jusqu’en 2021 la seule offre de soins psychiatriques du département, une clinique privée ayant ouvert depuis à Lons-le-Saunier. Hôpital départemental, il s’adresse à l’ensemble de la population jurassienne, soit environ 260 000 habitants, répartie géographiquement sur quatre secteurs de psychiatrie.
Appartenant au groupement hospitalier de territoire (GHT) Centre Franche-Comté et ayant pour établissement support le CHU de Besançon, le CHS est organisé en cinq pôles adulte – dont un pôle intersectoriel de gérontopsychiatrie de 52 lits répartis sur deux unités – totalisant 244 lits répartis sur neuf unités d’hospitalisation complète (HC), et un pôle infanto-juvénile couvrant deux inter-secteurs totalisant 11 lits en HC. Le projet d’établissement 2023-2027 prévoit la réorganisation complète des pôles : un pôle ambulatoire, un pôle hospitalisation complète, un pôle de réhabilitation psycho-sociale. Cette réorganisation des pôles n’était pas encore effective au moment du contrôle.
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Le parc immobilier du CHS n’est pas homogène, des bâtiments du 19ème siècle côtoient d’autres érigés au début des années 2000. Sur les 55 164 m2 de bâti total, plus de 6 000 m2 sont inutilisés dont 4 611 m2 doivent être démolis. Si la maintenance est encore assurée malgré des moyens humains et financiers de plus en plus limités, les chambres des patients dans les bâtiments historiques n’offrent pas des conditions hôtelières d’hospitalisation satisfaisantes, avec entre autres l’absence de sanitaires individuels. L’unité de psychiatrie infanto-juvénile est la plus dégradée, qu’il s’agisse du bâtiment ou de ses équipements. Enfin, il n’y a ni bouton d’appel ni verrou de confort dans aucune des chambres des unités, même dans les bâtiments récents.
L’établissement connaît, depuis 2018, des difficultés financières importantes pour lesquelles une politique de réduction des dépenses et de maîtrise des coûts est mise en œuvre. Pour autant, les effets de l’inflation sur les coûts d’hébergement et les revalorisations salariales résultant du Ségur de la Santé ont réduit l’impact des mesures engagées pour réduire le déficit. L’ARS accompagne l’établissement depuis 2019 pour le redressement de sa situation financière, notamment via un plan de sécurisation de la trajectoire financière que le CHS a élaboré depuis 2022. Il convient également de préciser que les difficultés financières se concentrent sur les cinq établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) du groupement psychiatrique et médico-social (GPMS) tandis que la situation du CHS commence très légèrement à s’améliorer.
La fermeture, le 6 avril 2023, de l’unité d’admission des Acacias (25 lits), annoncée comme provisoire mais qui perdurait au moment du contrôle, faute du personnel médical suffisant pour son fonctionnement, a réduit d’autant la capacité d’accueil du CHS. Cette fermeture témoigne, d’une part, des difficultés de recrutement de personnel médical et, d’autre part, explique en partie la suroccupation constatée par les contrôleurs tant au sein des unités d’admission qu’au sein des unités d’hospitalisation complète. Les effets de la pénurie médicale se font sentir dans la plupart des unités avec un temps de psychiatre qui reste insuffisant eu égard aux besoins, surtout dans les unités d’hospitalisation au long cours. La tension capacitaire sur les unités d’admission oblige régulièrement à utiliser les chambres d’isolement (CI) comme chambre hôtelière pour héberger des patients et ne permet pas de conserver la chambre du patient lorsque celui-ci est placé à l’isolement.
Si la prise en charge des patients est assurée et globalement de qualité, avec parfois une prise en charge innovante notamment dans les unités d’hospitalisation au long cours, le cadre juridique encadrant les soins sans consentement n’est pas compris, voire méconnu, et rarement respecté.
Les mesures d’isolement et de contention hors espaces dédiés sont plus nombreuses que celles réalisées en CI. Plus préoccupant encore, les isolements en chambre, hors de tout cadre légal, ont concerné 149 patients depuis le début de l’année 2023, chiffre certainement en dessous de la réalité sans traçabilité fiable de ces pratiques. En effet, une partie des isolements en chambre sont réalisés « à la demande du patient », pratique locale mise en place en dehors de tout cadre légal, ne faisant l’objet d’aucune traçabilité ni d’aucune voie de recours.
Une faille informatique[1] autorise la modification de l’horodatage des décisions de placement et de renouvellement de l’isolement et de la contention. Cette possibilité est largement utilisée avec pour objectif de ne pas déranger les médecins la nuit ou alors pour régulariser des situations d’isolement ou de contention antérieures. Les internes et faisant fonction d’interne sont majoritairement laissés seuls pour la décision et la gestion de ces procédures, surtout en service de nuit.
Par ailleurs, plus de 300 patients en soins libres (SL) ont subi des mesures d’isolement ou de contention sans modification de leur statut. Ces patients en SL sont également restreints dans la plupart des unités pour leur liberté d’aller et venir au motif que d’autres patients de leur unité sont en soins sans consentement (SSC). Les mineurs n’échappent pas à cette atmosphère de non-sécurisation juridique en étant quotidiennement enfermés en chambre à chaque relève et régulièrement placés à l’isolement et contentionnés.
L’établissement s’est engagé depuis fin 2020, dans une « politique de prévention des mesures d’isolement et de contention mécanique ». Les trois unités d’admission disposent d’un espace d’apaisement mais, hormis l’unité des Mimosas, les unités pour les patients au long cours n’en sont pas équipées.
Le recours au juge des libertés et de la détention (JLD) est effectif, de même que l’accès à un avocat pour être assisté à l’audience. Une difficulté subsiste sur les délais légaux lorsqu’ils interviennent le week-end, ayant conduit le JLD à lever plusieurs mesures d’isolement au motif d’un délai dépassé.
Les réunions soignants-soignés ne sont pas organisées dans toutes les unités. La supervision est inexistante et l’analyse des pratiques trop ponctuelle. Les activités thérapeutiques bénéficient d’une diversité de propositions importante grâce à une association œuvrant dans l’établissement et qui dispose de moyens financiers conséquents. Cependant, le personnel mis à la disposition de l’association par le CHS doit être pérennisé au risque de voir l’ensemble des activités thérapeutiques péricliter.
Les restrictions de la vie quotidienne sont peu nombreuses, néanmoins, les contrôleurs ont constaté un système local d’amende tarifée pour les patients qui fument dans les locaux qui fait l’objet d’une recommandation.
La gestion des valeurs des patients, au cours de leur hospitalisation et au moment de leur sortie, est problématique en raison d’une organisation manquant de souplesse et de disponibilité.
Un rapport provisoire a été adressé le 29 février 2024 au centre hospitalier, aux autorités judiciaires du tribunal de Dole et à l’Agence régionale de santé de Bourgogne-Franche-Comté pour une période d’échange contradictoire d’un mois. A l’issue de cette période, seule la direction du centre hospitalier a formulé des observations, datées du 4 avril 2024, qui sont intégrées dans le corps du présent rapport définitif.
[1] Dans ses observations en réponse au rapport provisoire, la direction du CHS Saint-Ylie précise : « On ne peut pas parler de faille informatique dans le DPI Cortexte mais de l’absence de contrôle qui autorise l’anticipation d’une prescription d’isolement/contention (comme pour toute autre prescription). Ce dysfonctionnement trouve son origine dans l’absence de spécifications fonctionnelles données aux éditeurs de logiciels. »