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Rapport de deuxième visite de l’hôpital Pierre Janet – Pôle de psychiatrie du centre hospitalier du Havre (Seine-Maritime)

Rapport de deuxième visite du centre hospitalier du Havre (Seine-Maritime)

Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, au ministère de la santé auquel un délai de quatre semaines a été fixé pour produire ses observations. A la date de publication de ce rapport, aucune observation n’a été produite.

 

Synthèse

Quatre contrôleurs ont effectué une visite inopinée du centre hospitalier Pierre Janet du Havre, département de Seine-Maritime (76) du 3 au 13 juillet 2023.

Dans ce département, les hospitalisations complètes en psychiatrie reposent sur trois sites hospitaliers : le centre hospitalier (CH) du Rouvray, le CH de Dieppe et le centre hospitalier Pierre Janet (CHPJ) du Havre comprenant 177 lits pour adultes et 8 lits pour adolescents.

Au CHPJ, l’état matériel des unités est particulièrement hétérogène. Un projet de rénovation des unités, initié en 2019, a permis à ce jour de restructurer et rénover uniquement le service des urgences et l’unité d’accueil et de crise (UAC) et ses six lits. Une unité (Délos) n’est pas incluse dans ce plan de rénovation au motif que sa dernière rénovation date de 2011 alors même que ce pavillon montre des signes de vétusté manifestes. Quant aux unités Alizé et Caravelle, elles sont apparues dans un état de vétusté et de dégradation important, accumulant défauts de maintenance et non-respect des normes d’hygiène, rendant certaines chambres hospitalières indignes. Seule l’unité Equinoxe accueillant les mineurs est épargnée.

De plus, l’absence de projet médico-soignant risque de compromettre l’effort financier consenti pour la rénovation par un résultat non adapté à la prise en charge de publics spécifiques envisagée dans le projet d’établissement 2023-2027 : personnes âgées et jeunes de 18 à 25 ans.

La suroccupation des locaux est préoccupante, les chambres sont parfois triplées, des patients restent en attente à l’UAC qui s’avère saturée, des patients sont hébergés hors secteur avec un suivi médical confus. Les patients changent très souvent de chambre et d’unité. De plus, l’obligation légale de conserver une chambre miroir en cas de placement à l’isolement n’est pas respectée. A cela s’ajoute la carence de places en structures médico-sociales adaptées pour trouver des solutions de sortie. Sur 50 patients hospitalisés au long cours, 36 sont en attente de place dans une structure sociale ou médico-sociale.

L’effectif médical est insuffisant pour remplir toutes les missions, seule la moitié des besoins en médecins titulaires est pourvue. L’organisation des soins telle que mise en œuvre génère une planification désorganisée de la présence des soignants et des médecins. Ce phénomène s’aggrave en cas d’absence inopinée, laissant des unités entièrement dégarnies de personnel soignant à certains moments de la journée.

Si les soins psychiatriques à proprement parler sont bien assurés avec des consultations régulières dès l’admission et un suivi des projets de soins individualisés en staff clinique fréquent et pluridisciplinaire, il est regrettable qu’il n’y ait pas de réunion soignants-soignés, d’intervention de pair-aidant, ni d’infirmier en pratique avancée (IPA) en intra hospitalier. L’accès aux soins d’addictologie n’est pas organisé.

Les soins somatiques sont suivis et les médecins généralistes participent régulièrement aux réunions cliniques. En revanche, ils ne développent pas l’éducation thérapeutique du patient et n’animent pas de séances d’éducation à la santé.

La qualité de la prise en charge des mineurs à Equinoxe, notamment dans l’organisation des soins mais aussi la place accordée aux parents, contraste avec l’absence de possibilité d’accès à l’extérieur, des restrictions qui ne sont pas individualisées et surtout un recours au placement à l’isolement excessif (19,4 % des patients), ce d’autant que presque tous sont en soins libres (sur décision des titulaires de l’autorité parentale), statut qui interdit le recours à de telles pratiques. L’unité ne dispose pas d’un réel espace dédié à l’apaisement.

 

Pour les hospitalisations adultes, le recours à la contention dans les unités est peu fréquent. Le recours à l’isolement est maîtrisé, mais des écarts de pratique importants subsistent entre les différentes unités. Certaines pratiquent des enfermements en chambre la nuit et en journée dits « temps calmes » sur « prescription médicale », en dehors tout cadre puisqu’aucune de ces mesures n’est enregistrée au titre de l’isolement.

Le bureau des soins sans consentement (SSC) veille scrupuleusement au respect des délais légaux relatifs à l’isolement et à la contention et anticipe auprès des services le respect de la mise en œuvre des délais de renouvellement. Les audiences du JLD sont bien organisées et se déroulent dans de bonnes conditions, les décisions sont explicitées au patient au cours de l’audience et l’avocat est présent.

En revanche, dans les unités, les informations sur les SSC ne sont pas ou peu délivrées, la formation des soignants est insuffisante sur ce point et il existe une carence d’information pour les patients non seulement à l’admission mais tout au long de leur parcours d’hospitalisation. Il manque également un livret d’accueil dédié pour les patients hospitalisés à Pierre Janet. En outre, il n’y a pas suffisamment de recherche du consentement au soin. Les directives anticipées ne sont pas mises en place, la personne de confiance soit n’est pas désignée, soit lorsqu’elle l’est, n’est pas associée aux soins.

Les restrictions de la vie quotidienne sont nombreuses, non homogènes entre les services et ne sont pas non plus toujours individualisées, particulièrement au sein des UP et ne semblent pas faire l’objet d’une réflexion institutionnelle. Elles peuvent être attentatoires à la dignité des patients (port du pyjama, par exemple).

Les activités thérapeutiques sont très diversement inscrites dans les projets de soin entre les deux secteurs Est et Ouest et le plateau technique de thérapie du centre d’activités et d’animation (CAA), qui représente un atout indéniable, n’est pas suffisamment utilisé par les patients de l’intra hospitalier. Les conditions matérielles pour les visites ne sont pas adaptées à l’exception de Délos, et les communications téléphoniques ne permettent ni confidentialité ni intimité.

Les dysfonctionnements relevés par les contrôleurs pourraient trouver leur résolution dans l’élaboration d’un réel projet médico-soignant de pôle, sous réserve que ses modalités d’élaboration garantissent son appropriation par toute la communauté. L’accueil reçu par les contrôleurs pendant leur visite leur laisse à penser qu’une réelle volonté de questionnement institutionnel des pratiques est possible afin de garantir une prise en charge adaptée à la réglementation et à l’éthique des professionnels de santé.

Le rapport provisoire a été adressé, le 3 novembre 2023, au centre hospitalier, aux autorités judiciaires du tribunal du Havre et à l’agence régionale de santé de Normandie pour une période d’échange contradictoire d’un mois. A l’issue de cette période, la direction du centre hospitalier a formulé le 22 novembre des observations qui sont annexées au présent rapport. Les observations du préfet de la Seine-Maritime en date du 30 novembre et du procureur de la République du 22 novembre sont intégrées dans le corps du rapport définitif.