Site du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté

Rapport de la deuxième visite de l’hôpital Henri Ey à Paris

Rapport de deuxième visite de l’hôpital Henri Ey à Paris

Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, au ministère de la santé auquel un délai de quatre semaines a été fixé pour produire ses observations. A la date de publication de ce rapport, aucune observation n’a été produite.

 

Synthèse

 

Sept contrôleurs et un stagiaire ont réalisé, du 2 au 9 avril 2024, le contrôle du site Henri Ey (Paris 13ème arrondissement), rattaché au GHU Paris psychiatrie et neurosciences, établissement public de santé multisites créé le 1er janvier 2019 par fusion du centre hospitalier Sainte-Anne, de l’établissement public de santé Maison­Blanche et du groupe public de sante Perray-Vaucluse. L’établissement avait été contrôlé une première fois en avril 2010[1].

Le site Henri Ey accueille plus de 1 000 patients par an et constitue le deuxième site d’hébergement hospitalier à temps plein du GHU, après le site de Sainte-Anne. Il est organisé en sept unités d’hospitalisation à temps complet (six au moment du contrôle, le 3ème étage étant en travaux), pour une capacité totale de 104 lits (100 au moment du contrôle, quatre lits étaient fermés à l’unité 5 au motif d’un manque de personnel). Les unités d’hospitalisation sont gérées par trois pôles du GHU, correspondant aux secteurs de la zone Paris Nord : le pôle 75G05-G06 pour les secteurs des 8ème et 9ème arrondissements, le pôle 75G19 pour celui du 17ème arrondissement Ouest et le pôle 75G20-G21 pour celui du 17ème arrondissement Est.

L’établissement comptait sept chambres d’isolement (CI) opérationnelles sur huit (une était fermée pour travaux au moment du contrôle).  Trois unités fonctionnent avec les portes ouvertes (unités 1, 4, et 5) et trois unités, dites « protégées », ont leurs portes fermées (unités 2, 6 et 7).

Les locaux d’hébergement sont apparus globalement en bon état et bien entretenus, même s’il est apparu que les patients ont froid dans les étages et plus particulièrement dans les CI.

Le GHU est confronté à l’impératif de désencombrer les services d’accueil des urgences (SAU), saturés. Il est apparu des durées trop prolongées dans les structures d’amont (SAU, infirmerie de la préfecture de police de Paris, centre psychiatrique d’orientation et d’accueil du GHU), fragilisant l’adhésion aux soins et leur qualité, ainsi que le statut juridique des patients, les décisions n’étant prises qu’ensuite de l’admission à Henri Ey, ou au contraire les certificats médicaux n’étant établis qu’à leur arrivée sur le site.  Les patients sont ainsi maintenus en soins sans consentement de façon arbitraire.

La suroccupation des lits impose leur gestion de façon très contrainte au sein du GHU, dégradant la cohérence du parcours de soins : les patients peuvent être hébergés hors de leur secteur, parfois dans un autre site. Les différentes cellules de régulation et services de gestion des lits ne peuvent répondre qu’imparfaitement à la situation. La suroccupation conduit à faire des CI une donnée de la gestion des lits, sans conservation d’une chambre hôtelière, avec parfois un maintien du patient en CI portes ouvertes, ou l’utilisation de chambres dites « sécurisées » en chambres hôtelières. Des lits d’appoints peuvent être utilisés.

Le site Henri Ey bénéficie d’un effectif médical et soignant dans l’ensemble suffisant et adapté, permettant la délivrance de soins pluridisciplinaires. Il est toutefois observé un recours croissant au recrutement d’infirmiers intérimaires, qui contribue à fragiliser le lien soigné-soignant, les transmissions, la formation des agents. L’offre de soins paramédicaux est développée, organisée même en cas de placement à l’isolement. Des séances diversifiées et pertinentes d’éducation thérapeutique sont proposées, notamment en sexologie ; toutefois les médecins généralistes n’y sont pas associés.

Une unité intersectorielle d’animation offre une gamme exceptionnelle d’activités. Toutefois, ces activités sont occupationnelles et le déploiement d’activités thérapeutiques reste insuffisant au sein des unités, alors même que des enveloppes budgétaires allouées aux pôles par le GHU y sont spécifiquement consacrées.

Toutes les unités accueillent des patients en soins sans consentement, l’orientation en unité fermée ou ouverte n’étant commandée que par la clinique. Les patients en soins sans consentement en unité ouverte circulent librement au sein de l’établissement mais des patients en soins libres sont soumis à autorisation pour sortir de l’établissement. Ils sont parfois recensés comme fugueurs, voire signalés aux forces de polices s’ils sortent sans « autorisation », parfois accueillis « sous contrat de soins » en unité fermée, où leur sont appliquées les mêmes restrictions qu’aux autres patients.

Ces dernières sont hétérogènes selon les unités. Dans les unités ouvertes, elles sont globalement proportionnées et individualisées, adaptées à la clinique. Dans les unités fermées, elles sont plus ou moins importantes (port du pyjama, soustraction du tabac, des chargeurs de téléphone, limitation des accès aux terrasses).

L’unité intersectorielle de soins intensifs (unité 6) est apparue particulièrement sécuritaire. On y compte quatre CI pour six chambres hôtelières. Les patients y sont systématiquement en pyjama, ne peuvent pas sortir de l’unité et n’ont pas accès à leur tabac. Aucun téléphone portable n’est autorisé. Or, les patients qui y sont accueillis ne répondent pas tous à un profil de « crise ». D’une part, la suroccupation induit que les patients y séjournent dans l’attente d’une chambre dans le secteur d’origine, parfois jusqu’à la sortie. D’autre part, les orientations se font depuis le pôle ou depuis le site, et la dimension intersectorielle n’est plus respectée.

Il n’est pas déployé de politique effective de réduction du recours et des durées des mesures d’isolement-contention. La recherche d’une CI au sein du GHU est entreprise avant celle des mesures alternatives à mettre en place. Des isolements échappent à la traçabilité et sont parfois réalisés dans un espace non dédié. Ainsi, les isolements en chambres « sécurisées » ne sont pas recensés comme tels. Ces dernières ne répondent ni aux exigences d’une CI ni à celles d’une chambre hôtelière. Les isolements séquentiels ne sont pas recensés comme tels dans le registre, qui ne fait l’objet d’aucune analyse statistique. Il a été constaté des durées particulièrement longues d’isolement et de contention. Des mineurs en soins libres sont isolés et parfois contenus.

Si le GHU déploie des espaces d’apaisement dans l’ensemble des unités, il est apparu que les deux espaces déjà aménagés au sein du site Henri Ey n’étaient pas utilisés comme des lieux alternatifs à l’isolement en cas de crise.

Les soignants ne sont pas formés aux droits des patients en soins sans consentement ni aux alternatives à l’isolement et à la contention. Les directives anticipées en psychiatrie sont déclinées selon des plans de prévention partagés en extra hospitaliser exclusivement ; leur mise en œuvre en cas d’hospitalisation n’est pas effective. La pair-aidance connaît un début de déploiement. L’ensemble de ces outils et leviers n’est toutefois pas articulé dans le cadre d’une politique globale.

Les patients sont insuffisamment informés de leurs droits et des règles de vie dans les unités. Les livrets d’accueil correspondent à l’ensemble du GHU et ne sont pas spécifiques du site ; ils ne sont pas systématiquement distribués, ni expliqués aux patients. Les décisions sont notifiées ainsi que les droits, mais sans un temps d’explication renouvelé. Les soignants sont peu formés aux procédures ; les patients connaissent mal le rôle des représentants des usagers, de la commission des usagers, du juge des libertés et de la détention (JLD).

Si les procédures sont correctement renseignées et le livre de la loi parfaitement tenu, les JLD, en sous-effectifs, ne sont pas en mesure d’exercer pleinement leur contrôle. Les audiences ne se tiennent que sur le site du CH Sainte-Anne et les contacts avec des patients isolés ou sous contention, par visio-conférence ou téléphone, inexistants.

Une réunion de restitution a eu lieu le 9 avril 2024 à 11h.

Un rapport provisoire a été adressé au début du mois de juillet au directeur du GHU, à l’agence régionale de santé d’Île de France, au président du tribunal judiciaire de Paris ainsi qu’à la procureure de la République près ce tribunal et au préfet de Paris pour une période d’échange contradictoire d’un mois.

Seul le directeur du GHU Paris psychiatrie et neurosciences a formulé en retour des observations, par courrier du 27/08/2024, auxquelles était joint un tableau récapitulatif détaillé comportant  remarques et plan d’actions afférents à chacune des recommandations, indiquant que certaines avaient  d’ores et déjà été prises en compte par l’établissement. Le directeur soulignait par ailleurs que plusieurs des recommandations formulées et les actions mises en place ou proposées en réponse ne pouvaient être totalement décorrélées du contexte conjoncturel national extrêmement tendu en termes de capacitaire et de personnel, impactant inexorablement l’organisation hospitalière. Ses observations sont insérées dans le corps du rapport, en police spécifique.

 

[1] CGLPL, Rapport de première visite, centre hospitalier Henry Ey Paris 13ème, 26 au 30 avril 2010 (en ligne).