Rapport de deuxième visite de l’établissement de santé mentale de la Somme (Somme)
Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, aux ministères de la santé, de la justice et de l’intérieur auxquels un délai de quatre semaines a été fixé pour produire leurs observations. A la date de publication de ce rapport, aucune observation n’a été produite.
Synthèse
En application de la loi du 30 octobre 2007 qui a institué le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), sept contrôleurs ont effectué la seconde visite de l’établissement public de santé mentale (EPSM) de la Somme, situé route de Paris à Dury (Somme), en périphérie d’Amiens (Somme). La première visite datait du mois de novembre 2008[1].
L’EPSM dessert la population adulte et mineure de plusieurs secteurs de psychiatrie du département de la Somme. Il est aussi chargé de l’hospitalisation des patients du secteur de psychiatrie de Montdidier-Roye (Somme).
Les principaux bâtiments érigés à la fin du XIXème siècle sont toujours en usage à ce jour. Quelques constructions plus récentes les complètent sur le vaste domaine hospitalier.
L’EPSM a surmonté l’importante crise sociale qui l’a marqué à partir de 2016, grâce à des réformes. L’activité sanitaire est dorénavant répartie dans quatre pôles (psychiatrie générale, « filières et réhabilitation psycho-sociale », pédopsychiatrie, médico-pharmaceutique) et un cinquième gère l’activité médico-sociale.
Lors de la visite, les patients adultes étaient pris en charge dans l’un des 192 lits de :
- l’unité d’accueil et d’orientation (UAO)[2] avant de l’être le cas échéant dans l’une des sept unités d’hospitalisation, dont deux ayant vocation à accueillir des patients en crise et une ayant vocation à accueillir ceux de moyenne et longue évolution. Toutes ces unités sont susceptibles d’accueillir des patients en soins sans consentement (SSC) ;
- en soins libres (SL) ou SSC, dans l’unité de psycho-gériatrie ; en SL exclusivement, dans une unité dédiée aux troubles anxieux et dépressifs ou dans une unité dédiée aux addictions.
Les enfants sont pris en charge dans deux unités totalisant 17 lits, dont une partie en hospitalisation de semaine, par tranches d’âge de 4 à 17 ans et sans filière structurée au-delà.
Aucune suroccupation récente des lits n’a été constatée mais la réponse est insuffisante vis-à-vis des patients nécessitant une prise en charge longue : 86 patients présents depuis plus de 292 jours occupent 61 % des lits du pôle de psychiatrie générale. La moitié d’entre eux sont en SSC, dont une majorité en soins sur décision du directeur de l’établissement (SDDE). La commission sur les séjours longs et complexes ne suffit pas à trouver des solutions. Une unité concentre sans perspectives des prises en charge particulièrement épuisantes pour son équipe.
44 % des patients de l’EPSM sont hospitalisés selon une procédure de SSC, dont plus de trois-quarts en SDDE, parmi lesquels les soins à la demande d’un tiers (SDT) sont exceptionnels : les procédures dérogatoires prises sur l’avis d’un seul médecin atteignent 98 % des SDDE.
L’équipe de l’UAO réalise un premier entretien d’accueil, l’unité d’hospitalisation en fait un second. Le livret d’accueil – particulièrement bien fait – est remis et des règles de fonctionnement sont affichées. En revanche, un exemplaire de la décision de SSC est rarement donné aux patients, a fortiori les certificats médicaux qui la motivent, et la liste de leurs droits ne l’est pas non plus. La preuve de la notification n’est pas reportée dans le registre de la loi.
La commission départementale des soins psychiatriques (CDSP) a repris ses missions et la commission des usagers (CDU) exerce activement ses compétences.
Le juge des libertés et de la détention (JLD) tient son audience de contrôle des mesures de SSC deux fois par semaine et se rend régulièrement dans les unités quand le patient est empêché. Les patients reçoivent un exemplaire de sa décision, rendue sauf exception sur le siège.
S’agissant des conditions matérielles d’hébergement, elles sont, sauf exceptions signalées dans le rapport, homogènes et adaptées : les chambres, majoritairement individuelles et fermables de l’intérieur, offrent une salle d’eau privative ; les besoins liés à l’hygiène individuelle sont accompagnés et la propreté des locaux est assurée ; au moins un jardin est largement accessible dans chaque unité. Les patients sont plutôt satisfaits des repas qui leur sont servis.
Les restrictions sont peu nombreuses dans la vie quotidienne mais l’inventaire des effets personnels n’est pas réalisé dans une des unités d’admission. La volonté des patients de participer à un scrutin électoral est prise en compte. Il est possible d’exercer son culte mais seuls les aumôniers catholiques sont actifs. Comme souvent, le droit à la vie affective et sexuelle des patients est envisagé de façon très diverse selon les unités et selon les professionnels.
Alors que la porte d’entrée de la majorité des unités pour adultes est ouverte en journée, la liberté d’aller et venir est restreinte par un système d’autorisation médicale pour sortir de l’unité et de l’établissement, qui s’applique à tous les patients, y compris en SL. Les autorisations de sortie des patients en soins sur décision du représentant de l’Etat (SDRE) ne sont accordées pour moitié d’entre elles qu’après une deuxième demande ou un deuxième avis médical, le préfet exigeant un parcours complet de préparation à la sortie, sans individualisation.
S’agissant des soins psychiatriques, les praticiens hospitaliers (PH) sont sursollicités et leur temps de présence dans certaines unités est particulièrement insuffisant, au point d’obérer concrètement la qualité des soins et la qualité du travail institutionnel, en rendant moins fréquente l’évaluation médicale – ce qui, pour le moins, ralentit les prises en charge – et en limitant l’étayage des équipes. D’autres aspects des soins et de la réponse aux besoins induits par les caractéristiques des patients accueillis (accompagnements hors de l’unité, procédures de SSC, isolement, contrôle du juge, etc.) sont limités par la présence réduite des infirmiers diplômés d’Etat (IDE) et aides-soignants (AS) dans quelques unités. Leur bonne connaissance des patients compense un peu ces retards et la réalisation abrupte de certaines tâches.
Des ressources spécialisées[3] sont largement associées aux soins. Un service de réhabilitation psycho-sociale regroupe des activités thérapeutiques de qualité et diversifiées.
Dans chaque unité, des psychologues sont facilement accessibles aux patients mais accompagnent aussi à la demande les équipes soignantes, l’établissement n’ayant pas organisé l’intervention d’un tiers pour superviser les équipes ou encourager l’analyse des pratiques. Le comité d’éthique se réunit mais influence trop peu les pratiques.
Les soins somatiques sont prodigués sans difficulté grâce à deux médecins généralistes assistés d’internes et à l’intervention de spécialistes, dont une gériatre dans l’unité de psycho-gériatrie, ainsi que par des rendez-vous à l’extérieur, au CHUAP notamment. Dans ce dernier cas, l’accompagnement des patients n’est pas toujours possible.
Le service de la pharmacie investit activement la conciliation médicamenteuse et l’éducation thérapeutique. Une consultation avec un pharmacien est proposée à l’entrée et à la sortie.
Des assistantes de service social (ASS) se saisissent dans toutes les unités des problématiques sociales dans leur ensemble.
Alors que la prise en charge en pédopsychiatrie est particulièrement structurée et investie et ne concerne plus, en pratique, que des jeunes patients en SL, les deux titulaires de l’autorité parentale ne consentent pas par écrit à l’hospitalisation, des jeunes confiés à l’aide sociale à l’enfance (ASE) sont hospitalisés sur le fondement administratif de la demande écrite d’un éducateur et les jeunes de 17 à 18 ans sont accueillis dans les unités de psychiatrie générale sans lien institutionnalisé avec un pédopsychiatre.
Quant aux patients détenus, ils sont systématiquement et de façon pérenne accueillis dans une chambre d’isolement (CI) d’une unité, sans motivation clinique, en pyjama, sans effets personnels et accès au tabac. Si le droit à des contacts avec l’extérieur est prévu, sa mise en œuvre s’accompagne d’une sécurisation et de mesures de contrôle disproportionnées.
Concernant l’isolement et la contention, les treize CI implantées dans six unités pour adultes et une unité de pédopsychiatrie ont été aménagées il y a plus de quinze ans. Leurs matériaux et équipements sont dépassés. Des espaces d’apaisement se développent, mal nommés « chambres ».
Alors que des outils informatiques défaillants n’ont pas permis d’établir avant le 14 novembre 2023 le registre prévu par le législateur depuis 2016, les travaux d’une sous-commission pluridisciplinaire émanant de la commission médicale d’établissement (CME) ont permis la mise en œuvre d’une politique de moindre recours. Le taux de recours est très mesuré, même si des disparités existent en pratique entre les unités et que deux unités concentrent des mesures de plusieurs mois. Le rôle des espaces d’apaisement n’est pas démontré, leur aménagement n’étant accompagné que rarement d’une définition de leur usage et d’une analyse. Quoique rarement, des mineurs sont isolés alors que leur statut d’hospitalisation en SL ne le permet pas. En raison du nombre insuffisant de médecins, l’examen du patient par un psychiatre à chaque début et renouvellement des mesures n’est pas toujours assuré en temps utile.
Le principe de l’information du patient isolé et de ses proches ainsi que le recueil de sa volonté sont mis en œuvre, à l’oral et à l’écrit, alors que, parallèlement, la désignation de la personne de confiance est incomplète et que la personne n’est pas associée en tant que telle aux soins. Les problèmes informatiques ont durablement empêché le contrôle du JLD sur les mesures d’isolement en cours ; effectif depuis le mois de novembre 2023, il exclut encore, par convention locale, certaines mesures.
Si la crise que l’établissement a traversé à partir de 2016 a largement été évoquée auprès des contrôleurs, les constats opérés lors de la visite de 2024 témoignent d’un établissement résilient.
Le rapport provisoire relatif à cette seconde visite a été transmis au directeur de l’EPSM, au directeur du centre hospitalier universitaire Amiens-Picardie (CHUAP), au préfet de la Somme, aux chefs de juridiction du tribunal judiciaire (TJ) d’Amiens ainsi qu’au directeur de l’agence régionale de santé (ARS) des Hauts-de-France, pour un échange contradictoire d’un mois. Les observations des directeurs généraux de l’EPSM et du CHUAP ont été intégrées au présent rapport définitif.
[1] CGLPL, Rapport de visite de l’établissement public de santé mentale de la Somme, nov. 2008 (en ligne).
[2] La fermeture de l’UAO était programmée à la fin du mois de février 2024, remplacée par une unité de 6 lits aménagée près du service d’accueil d’urgence (SAU) du CHUAP.
[3] Ergothérapeute, éducateur sportif adapté, éducateur, infirmiers formés à des prises en charge spécifiques.