5 juillet 2023
Au Journal officiel du 5 juillet 2023 et en application de la procédure d’urgence, la Contrôleure générale a publié des recommandations relatives au centre pénitentiaire de Perpignan (Pyrénées-Orientales).
L’article 9 de la loi du 30 octobre 2007 permet au Contrôleur général des lieux de privation de liberté, lorsqu’il constate une violation grave des droits fondamentaux des personnes privées de liberté, de saisir sans délai les autorités compétentes de ses observations en leur demandant d’y répondre.
Le ministre de la justice a apporté ses observations en réponse, également publiées au Journal officiel.
Lire les recommandations du CGLPL accompagnées des observations du ministre de la justice
Voir des photographies de la visite
Du 6 au 10 mars 2023, quatre contrôleurs ont visité, de manière inopinée, le quartier maison d’arrêt des hommes (QMAH) du centre pénitentiaire de Perpignan, dans le cadre d’un contrôle portant uniquement sur la dignité des conditions de détention. Cette mission a révélé de telles atteintes aux droits fondamentaux qu’un nouveau contrôle portant sur le fonctionnement général du centre pénitentiaire a été diligenté dès le mois suivant, du 3 au 14 avril 2023.
Ces deux visites ont mis au jour un nombre important de dysfonctionnements graves et des conditions de détention attentatoires aux droits fondamentaux et à la dignité des personnes détenues surpopulation endémiques, conditions matérielles d’hébergement indignes, insalubrité, prolifération de nuisibles, fouilles systématiques, usage disproportionné de la force et des moyens de contrainte). Ces constats peuvent être analysés comme la conséquence directe de la dégradation d’une situation déjà jugée alarmante à l’issue de la première visite du centre pénitentiaire par le CGLPL, en 2014.
Surpopulation et conditions de détention indignes
La surpopulation endémique aggrave l’indignité des conditions matérielles. Les détenus ne disposent pas d’un espace suffisant pour vivre et se mouvoir en cellule. Le 3 avril, le QMAH hébergeait 315 personnes pour 132 places (239% d’occupation), 67 détenus dormaient sur un matelas au sol, et 58 % des cellules étaient occupées par trois personnes. En outre, le QMAH dispose de quatre cellules « dortoir » de 19 m2 : prévues pour trois personnes, elles disposent de cinq lits et hébergent régulièrement six voire sept personnes. Le quartier maison d’arrêt des femmes (QMAF) hébergeait 50 femmes détenues pour 28 places (179 % d’occupation). Seuls les détenus du quartier mineurs (QM) bénéficient d’un encellulement individuel.
Le niveau de la surpopulation carcérale au sein du centre pénitentiaire de Perpignan et ses conséquences sur la prise en charge des détenus sont inacceptables. Il doit être mis fin immédiatement aux encellulements à trois et au recours à des matelas au sol. Des mesures associant les différents acteurs de la chaîne pénale doivent être prises sans délai pour réduire la pression carcérale sur l’établissement.
La maintenance est défaillante. Les cellules du quartier centre de détention (QCD) et du QMAH accusent une usure et des dégradations plus importantes que ne pourrait le laisser espérer leur année de construction (1987). La maintenance est insuffisante, générant des besoins exponentiels qui ne peuvent être couverts, faute de moyens humains et matériels. A la date du 14 avril 2023, 108 demandes d’intervention de maintenance étaient en attente de traitement, et le mois précédent plus de 470 demandes de plus de six mois avaient été supprimées car jugées trop anciennes pour avoir une chance d’être prises en compte. Le nombre d’interventions en attente et la probabilité qu’un certain nombre ne soient tout simplement jamais effectuées laissent la population pénale trop souvent sans recours face à l’indignité de ses conditions d’hébergement : fuites d’eau, moisissures sur les murs, problèmes d’étanchéité des fenêtres, bâti dégradé. Dans un grand nombre de cellules, les cloisons latérales censées séparer les sanitaires du reste de la pièce sont dégradées, partiellement manquantes voire absentes et remplacées par des rideaux artisanaux confectionnés avec des draps ou des serviettes. Dans certaines cellules, les fenêtres sont manquantes, les plafonniers hors d’usage, les placards partiellement ou totalement inutilisables faute d’étagères. De nombreuses postes téléphoniques en cellule sont en panne, de même que nombre d’appareils de télévision et boutons d’appel.
L’établissement est infesté de punaises de lit. L’état des lieux réalisé par le CGLPL dans 455 cellules révèle que 63% des cellules du QMAH et 22% des cellules du QCD étaient infestées de punaises de lit lors de la visite de l’établissement. Si les contrôleurs ont pu relever les efforts financiers croissants consentis par l’établissement, ils n’ont pu qu’en constater l’absence de résultats. Les solutions mises en œuvre ne sont pas à la hauteur du problème et ne parviennent pas à endiguer le phénomène.
Il convient de prendre sans délai toute mesure utile pour éradiquer les punaises de lit, y compris des mesures exceptionnelles de désencombrement pour permettre le traitement en profondeur des espaces concernés.
L’intégrité physique et psychique des détenus n’est pas assurée
Des fouilles intégrales systématiques ont longtemps été mises en œuvre sur l’ensemble de la population détenue. Lors de sa visite de mars 2023, le CGLPL avait constaté un recours massif et systématique à des mesures de fouilles intégrales mises en œuvre selon des modalités non conformes au droit. Les contrôleurs avaient pris connaissance de décisions de fouilles non individualisées et renouvelées sans discontinuité depuis 2019. Si les décisions faisaient référence à un incident pour chaque période et lieu de la détention concerné, l’indigence de leur motivation et leur application juxtaposée revenait à instaurer un régime de fouilles intégrales systématiques, sans que ne soit matériellement établi de lien avec des impératifs de sécurité. Bien que les contrôleurs qui ont mené la visite d’avril 2023 aient constaté que les recommandations émises à cet égard le mois précédent avaient été prises en compte par la direction, ils relevaient néanmoins la persistance de divers manquements : traçabilité non systématique et réalisation des fouilles dans des lieux inadaptés (douches, bureaux ou salles d’activités inutilisées).
Le CGLPL rappelle que le recours aux moyens de contrôle en général, et aux fouilles à nu particulièrement, doit toujours être nécessaire et proportionné. La réglementation relative aux fouilles doit être strictement respectée en tous lieux et en toutes circonstances.
L’usage de la force et des moyens de contrainte n’est pas tracé et la posture professionnelle des agents affectés aux quartiers d’isolement et disciplinaire (QID) n’est pas conforme à la déontologie. L’usage de la force et des moyens de contrainte en détention n’est pas tracé, ce qui fait obstacle à tout contrôle de la proportionnalité des moyens employés. Or, le recours aux menottes est systématique en cas de mise en prévention au quartier disciplinaire. Le QID relève d’une équipe dédiée dont la posture professionnelle a été unanimement dénoncée par les détenus comme maltraitante. Les contrôleurs ont recueilli de multiples témoignages faisant état de propos déplacés voire insultants et de brimades : privation de douche ou de promenade, non remise de papier toilette, privation de nourriture (délivrance d’un repas sur deux), impossibilité d’accéder à des vêtements de rechange, fouilles intégrales réalisées avec violence, etc.
La sécurité des personnes détenues n’est pas assurée. L’organisation de la détention au QCD ne garantit pas la protection de l’intégrité physique des détenus. Menacées par d’autres détenus, certains se privent de promenade, de douche, de sport, de culte, de parloir, et limitent autant que possible tous leurs mouvements, craignant pour leur sécurité. L’abandon, dans les ailes, des kiosques latéraux par le personnel de surveillance au profit du seul kiosque central accroît la vulnérabilité des personnes menacées. Au QMAH, lors des mouvements vers les promenades, tous les étages sont dégarnis de personnel pour une période de vingt minutes au minimum et ce quatre fois par jour, fragilisant la détention en cas de nécessité d’intervention dans les étages. L’absence d’interphonie en détention ordinaire au QMAH et QCD ajoute au risque d’impossibilité de détection d’un problème, le bouton d’appel visuel, lorsqu’il fonctionne, ne permet pas de pallier cette carence. Enfin, la sécurité incendie est compromise dans un tiers des cellules du QMAH, où les prises électriques sont dégradées, des fils électriques dénudés, ce qui constitue un risque majeur d’incendie. Avec un tel niveau de surpopulation, les risques d’incidents augmentent considérablement alors que dans nombre de situations de danger, la rapidité d’intervention est décisive.
L’organisation de la détention au QCD doit être repensée afin de garantir la protection de l’intégrité physique des détenus. Il convient de prendre sans délai toute mesure utile pour mettre les cellules du QMAH en conformité avec les normes de sécurité en matière de prévention du risque d’incendie.