Ce rapport a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, aux ministères de la justice et de la santé auxquels un délai de quatre semaines a été fixé pour produire leurs observations.
SYNTHÈSE
La maison d’arrêt de Vannes (Morbihan) ‒ relevant de la direction interrégionale des services pénitentiaires de Rennes (Ille-et-Vilaine) et située dans les ressorts du tribunal judiciaire de Vannes et de la cour d’appel de Rennes ‒ offre 44 places pour les hommes prévenus et condamnés. Les places de semi-liberté, fermées en 2020, font l’objet de travaux avec une perspective de réouverture en 2023.
Quatre contrôleurs ont examiné les conditions de la prise en charge dans l’établissement du 11 au 14 octobre 2022. Lors de cette visite, 91 détenus étaient hébergés.
Selon les informations recueillies, l’établissement est voué à la fermeture, dès lors que le centre pénitentiaire projeté dans le quartier du Chapeau Rouge à Vannes sera mis en service, à l’horizon 2027.
1. L’établissement connaît une surpopulation chronique, particulièrement élevée ces six derniers mois
1.1 La suroccupation de l’établissement atteint un taux historique
Le CGLPL relève 44 places de détention selon les termes de la circulaire du directeur de l’administration pénitentiaire JUSE88400016C du 17 mars 1988 (et non 45 comme le communique l’administration), sous réserve que les superficies des cellules telles que relevées sur le plan de masse récent consulté par les contrôleurs soient justes.
Ces 44 places présentent un taux d’occupation de 207% lors de la visite.
L’encellulement individuel est une exception qui ne concerne qu’une personne dans une cellule de 5,88m². La majorité des détenus cohabite à trois, quatre, cinq ou six dans des cellules de tailles très variables, allant de 8,33m² en moyenne pour les plus petites à 23,82m² pour la plus grande. Un détenu sur six n’a qu’un couchage de fortune, ne consistant parfois qu’en un matelas au sol.
1.2 Les quelques écrous hebdomadaires concernent majoritairement des hommes de plus de trente ans condamnés à l’issue d’une procédure judiciaire rapide et voués à être transférés
Les détenus hébergés proviennent – à raison d’une moyenne de quatre par semaine – du TJ de Vannes, auquel ils sont présentés dans le cadre de la comparution immédiate deux fois par semaine, majoritairement pour des affaires de violences intrafamiliales, stupéfiants et délits routiers qui entraînent des condamnations fermes dont le quantum serait en augmentation.
Francophones, majoritairement âgés de trente ans et plus, pour un tiers sans ressources suffisantes, les personnes séjournent en moyenne moins de cinq mois à la MA avant d’être transférés ou libérés.
Le nombre de personnes écrouées simultanément a augmenté de 18% en un an en dépit d’un relativement faible nombre d’incarcérations et des nombreux transferts, accroissant la surpopulation.
2. La surpopulation, à laquelle s’ajoute l’absence durable de plus d’un tiers des surveillants, dégrade la qualité de la prise en charge
La charge de travail des surveillants est doublée, en proportion de la suroccupation des places de prison.
Dans le même temps, la multiplication des absences accroit le temps de présence des agents restants. Les modalités de surveillance la nuit sont dégradées. Certaines des mesures prises pour alléger leur charge de travail ont des conséquences sur les conditions de vie des détenus : regroupement dans des cellules voisines pour faciliter les mouvements au risque de faire dormir par terre un travailleur du service général, report de la reprise d’activités de groupe – déjà interrompues en 2020 – par la crise sanitaire pour réduire la circulation des détenus vers les activités et les entretiens au rez-de-chaussée.
Postérieurement à la visite, à partir de novembre 2022, du personnel mis à disposition a renforcé le nombre d’agents travaillant en roulement en détention et des affectations pérennes de surveillants sont annoncées après avril 2023.
3. Malgré des efforts sur les conditions d’hébergement, la surpopulation rend l’encellulement indigne
3.1 L’espace individuel en cellule est indigne pour tous en raison de la suroccupation des lieux
Eu égard à leur superficie, les 34 cellules doivent être considérées comme simples, doubles, triples ou quadruples. Dans chaque catégorie, les cellules sont presque toutes différentes : 5,88 à 8,83m² pour les simples, 11,14 à 11,84m² pour les doubles, 14,13m² pour la triple, 19,02 à 23,82m² pour les quadruples. Moins d’une cellule sur quatre dispose d’une douche.
L’indignité des conditions de détention concerne toutes les personnes détenues dans l’établissement du fait de l’espace insuffisant accordé à chacune en cellule, en raison de la surpopulation. Sous réserve de l’exactitude des superficies des cellules relevées sur le plan de masse récent consulté par les contrôleurs, au moins 16 personnes disposent d’un espace individuel insuffisant au regard des critères du CGLPL (en soustrayant le mobilier) et de ceux de la CEDH, cet espace étant compris entre 2,51 et 0,17m².
3.2 Le personnel veille à rendre accessibles à chacun des meubles en bon état et en nombre suffisant, à l’exception des lits et des armoires
Le mobilier des cellules est de qualité homogène et en bon état. La volonté est de doter chaque occupant d’une table ou d’un bout de table, d’une assise et d’une étagère. Faute de place, il n’y a toutefois aucune armoire et la troisième couchette du lit superposé n’est qu’un sommier de fortune soudé aux deux autres et au ras du sol.
3.3 Malgré l’attention portée à l’entretien général des lieux et à l’hygiène individuelle, la lumière, l’aération, la propreté des murs et le lavage des couvertures sont insuffisants
Sauf exception, aucun système de ventilation n’équipe les cellules, qui disposent sur la façade Sud de fenêtres de moins d’un demi-mètre carré, de surcroît bouchées par un barreaudage et un caillebotis. L’air et la lumière naturelle y pénètrent difficilement. La lumière artificielle provient d’un unique plafonnier, le cas échéant allumé aussi la nuit pour la surveillance ; il n’y a aucune lampe individuelle à la tête de lit notamment.
L’établissement est entretenu mais la surpopulation use et dégrade les peintures des cellules en même temps qu’elle complique leur remise en état.
Enfin, le nettoyage de la cour de promenade n’est pas assez fréquent et le lavage des couvertures n’est pas organisé.
4. Enfermés dans leur cellule, les détenus y passent en moyenne plus de vingt heures
4.1 Le seul régime appliqué est en permanence celui des portes fermées
4.2 Le temps hors cellule est constitué pour moitié de temps de promenade, à laquelle tous les détenus n’accèdent pas dans les mêmes conditions
En moyenne, l’offre de temps hors cellule est constituée pour moitié de promenade, pour plus d’un quart de travail ou formation professionnelle et pour moins d’un quart d’enseignement, d’activités socioculturelles, bibliothèque, sport. Elle atteint théoriquement 3 heures 42 minutes en moyenne, par jour et par détenu. A contrario, plus de 20 heures sont passées en cellule.
Certaines personnes détenues n’accèdent pas à cette offre moyenne en raison de l’incapacité de l’administration à assurer leur sécurité autrement qu’en les regroupant et en les séparant du reste de la population carcérale. D’autres ne sont qu’en attente d’accéder aux différentes activités (16,5% des détenus attendent d’accéder aux enseignements, 42,9% attendent un poste de travail).
Enfin, tous les détenus restent près de treize heures d’affilée enfermés en cellule la nuit, en violation de l’article R.213-5 du code pénitentiaire (cf. §.2).
5. La qualité des relations humaines et l’accessibilité des soins hospitaliers sont réelles, mais il existe des risques structurels et des atteintes permanentes à l’intimité
5.1 L’état de la structure ne permet pas de garantir l’intégrité physique des détenus et du personnel
La qualité des relations entre le personnel et les détenus contribue, à l’unanimité des avis recueillis, à faire supporter les conditions matérielles d’incarcération difficiles. Mais des violences entre détenus sont perceptibles et seule la partie visible par le personnel est régulée.
Surtout, la sous-commission départementale pour la sécurité, contre les risques d’incendie et de panique a émis un avis défavorable « à la poursuite de l’activité de la maison d’arrêt de Vannes » pour des motifs liés au développement et à la propagation du feu, à l’absence de désenfumage et à la difficulté d’intervention.
5.2 L’intimité est constamment bafouée
L’aménagement des cellules et des douches protège les détenus du regard direct des surveillants mais la promiscuité qui y règne et l’absence de porte devant la plupart des WC et des douches empêchent toute intimité des détenus les uns vis-à-vis des autres. S’y surajoute l’absence d’intimité dans la salle de parloir collective (cf. §.6.1).
5.3 La majorité des soins est prodiguée sur place mais, au centre hospitalier, les modalités des soins ne respectent pas la confidentialité
L’unité sanitaire en milieu pénitentiaire (USMP) dispense au sein de l’établissement des soins variés et de qualité dans des délais raisonnables, sauf en matière d’ophtalmologie et d’optique. Toutefois, les parcours de soin sont mis à mal par la pratique de désencombrement massive.
Au centre hospitalier, les consultations et soins s’effectuent au mépris de la confidentialité et du secret médical en raison de la présence systématique de l’escorte, même si le personnel soignant continue à porter une attention à la garantie de ces principes. L’utilisation systématique de moyens de contrainte porte par ailleurs atteinte à la dignité humaine.
6. La sortie des détenus n’est pas suffisamment préparée
6.1 L’absence d’intimité tant au parloir qu’au téléphone porte atteinte au maintien et au réinvestissement des relations familiales
Les créneaux de parloir ne sont en nombre suffisant que parce que deux visites par semaine sont organisées pour les prévenus et une seule pour les condamnés (contre respectivement trois et une, garanties par les articles L341-2 et L341-3 du code pénitentiaire) et parce que seule la moitié des détenus dispose d’au moins un permis de visite.
L’organisation des parloirs dans une grande salle unique, malgré la qualité du mobilier choisi lors de la rénovation de la zone, ne permet pas aux personnes détenues de maintenir leurs liens avec leurs proches dans des conditions de confidentialité et d’intimité respectueuses de leurs droits fondamentaux. La même atteinte à l’intimité existe dans les cellules lorsqu’il est fait usage du téléphone, en raison de l’absence d’encellulement individuel (à une exception près).
6.2 La quasi-totalité des sorties de l’établissement s’effectue en transfert et en sortie sèche
L’aménagement des peines est résiduel, alors que les requêtes en application de l’article 712-6 du CPP sont légion. La volonté de ne pas être transféré explique probablement une part de ces nombreuses requêtes. L’indisponibilité des places de semi-liberté et de placement extérieur ainsi que le transfert rapide des condamnés expliquent quant à eux une partie du faible nombre de sorties de prison en aménagement. Une autre explication tient au rejet de principe de la libération sous contrainte (LSC) par les détenus, l’information par le SPIP n’atteignant pas son public et n’entraînant pas d’adhésion. La préparation de la sortie et la prévention de la récidive perdent en efficacité ; des maintiens en détention jusqu’à la libération ou au transfert augmentent le nombre des journées de détention.
7. La mise à l’écart s’exécute dans deux cellules disciplinaires
7.1 Le quartier disciplinaire, peu utilisé, offre des conditions matérielles de vie qui appellent peu d’observations
Le quartier disciplinaire offre des conditions matérielles d’encellulement acceptables et la prise en charge y est individualisée. La cour de promenade, entièrement encagée, offre, certes, un accès à l’air libre, mais elle ne dispose d’aucun abri, point d’eau potable ou mobilier. Par ailleurs, des fouilles intégrales sont systématisées pendant l’exécution de la punition.
7.2 Il n’existe pas de quartier ou de cellule d’isolement
8. Les conditions de détention sont connues de tous mais ne donnent pas lieu à des recours motivés par leur indignité
8.1 Les autorités sont informées des conditions de détention
8.2 Non informés de leurs droits, les détenus n’ont encore exercé aucun recours contre l’indignité de leurs conditions de détention
Le caractère indigne des conditions de détention est connu des autorités, qui en sont conscientes au point que certaines qualifient l’acte d’incarcérer de « charge mentale ». Le nouvel établissement projeté est attendu.
Les conditions de détention n’ont pas encore été contestées devant la justice. Si aucune information n’a été faite aux détenus, le greffe dispose des éléments pour accompagner l’expression d’une demande. La prise en charge attentive et la proximité des familles et des avocats prennent le pas sur les défauts matériels de l’établissement, que la surpopulation aggrave.