Rapport de la troisième visite du centre pénitentiaire de Lorient-Ploemeur (Morbihan)
Observations du ministère de la justice – centre pénitentiaire de Lorient-Ploemeur (3e visite)
Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, aux ministères de la justice et de la santé auxquels un délai de quatre semaines a été fixé pour produire leurs observations.
Synthèse
Sept contrôleurs et une stagiaire ont effectué une visite inopinée du centre pénitentiaire de Lorient-Ploemeur (Morbihan), du 28 mars au 1er avril 2022. Cette mission constituait une troisième visite après un premier contrôle réalisé en mai 2009 et un deuxième en juillet 2018.
Dans le cadre de la procédure contradictoire, un rapport provisoire a été adressé le 16 septembre 2022, à la cheffe d’établissement, au directeur général du centre hospitalier de Bretagne sud, au directeur de l’établissement public de santé mentale J.M. Charcot, à l’agence régionale de santé de Bretagne, à la présidente du TJ de Lorient et au procureur de la République près ce tribunal. Le paragraphe 6.1 a été transmis par mail à la mairie de Ploemeur, s’agissant de l’accès à l’établissement.
Ouvert en 1982, l’établissement est situé en zone rurale sur la commune de Ploemeur (20 000 habitants), à environ 6 km au nord de Lorient. Construit sur une emprise de 87 366 m2, il est situé en zone police et dans le ressort de la cour d’appel de Rennes et du tribunal judiciaire (TJ) de Lorient ; il est rattaché à la direction interrégionale des services pénitentiaires (DISP) Rennes-Grand Ouest. Le centre pénitentiaire (CP) fonctionne presque intégralement en gestion publique ; il est abonné au centre de production alimentaire du centre pénitentiaire de Nantes, en gestion déléguée.
Le CP compte un quartier maison d’arrêt (QMA de 147 places théoriques et 278 personnes hébergées au moment du contrôle dont 5 matelas au sol), un quartier centre de détention (QCD de 40 places, 37 personnes hébergées au moment du contrôle) et un quartier de semi-liberté (QSL de 40 places, 17 semi-libres au moment du contrôle) ; soit une capacité théorique de 227 places pour 394 lits installés. L’établissement se caractérise toujours par des conditions matérielles d’hébergement particulièrement indignes, aggravées par une surpopulation pénale chronique.
Par ailleurs, les services doivent être organisés avec 25 % des effectifs en moins quotidiennement. L’effectif est stable et l’établissement n’est pas touché par un turn over excessif ; néanmoins, les contrôleurs ont constaté un épuisement du personnel en sortie de crise sanitaire. Depuis la dernière visite, le niveau d’encadrement est satisfaisant, ce qui favorise la mise en cohérence progressive des pratiques. Les contrôleurs ont constaté un réel souci des agents de tous corps d’améliorer les conditions de détention, notamment par une certaine souplesse dans l’application des règles de vie. L’un des indicateurs est que malgré la promiscuité, la surpopulation et les conditions d’hébergement, indignes, peu d’incidents graves sont déplorés.
Par ailleurs, le CP s’inscrit dans un partenariat de qualité avec les partenaires présents en détention ce qui facilite la prise en charge des personnes détenues.
Les contrôleurs déplorent que la dynamique positive impulsée par la direction depuis 2020, trouve ses limites dans l’absence de projet ambitieux de rénovation de l’établissement. La continuité du bon fonctionnement de l’établissement en dépend.
1. Les locaux restent particulièrement indignes malgré les efforts réalisés localement
L’architecture de l’établissement – construit sur le même modèle que l’ancien CP de Draguignan et que le CP de Moulins-Yzeure – est particulièrement biscornue et totalement inadaptée ; l’ensemble est vétuste, mal entretenu et de nombreux éléments du bâti (dalles de sol, colles, peintures, menuiseries, etc.) répartis sur l’ensemble des bâtiments contiennent de l’amiante. Les recommandations émises en 2018 et d’ailleurs dès 2009 restent d’actualité. La vétusté des locaux ne permet pas actuellement d’assurer une prise en charge digne des personnes détenues.
A cela s’ajoute une surpopulation continue, qui pourra difficilement être résorbée en l’absence d’un dispositif de régulation carcérale ; la surpopulation contribuant à la dégradation plus rapide de l’établissement.
En réponse aux deux rapports précédents du CGLPL, le ministère de la justice s’était engagé à réaliser des travaux d’ampleur, engagements non respectés depuis 2011. Cela oblige les acteurs locaux à engager des travaux de manière ponctuelle qui sont plus coûteux que des travaux de grande ampleur et qui surtout ne permettront pas de résoudre à long terme l’indignité des locaux qui se dégradent très rapidement. Un projet à hauteur de 19 millions d’euros soumis par la DI au ministère de la justice a été rejeté en 2019.
Des projets sont programmés et portés par une direction dynamique (désamiantage, réfection des douches, changement des chauffe-eau, etc.) ; cependant, un chantier de rénovation complète du système électrique doit être engagé au regard du risque important en matière de sécurité incendie, et n’est actuellement pas d’actualité faute de crédit alloués. Or, les installations électriques ne sont pas conformes. De plus, dans plusieurs cellules les détenus ont installé, de manière artisanale, trois multiprises dans la mesure où la seule prise se trouve dans la partie sanitaire de la cellule.
De plus, il est urgent de procéder à une rénovation complète des canalisations. En effet, le système d’évacuation des eaux usées est vétuste, l’évacuation centrale est dégradée. En conséquence, les canalisations se bouchent régulièrement et dégorgent dans le sous-sol. De l’eau de couleur marron peut s’écouler et entraîne des réactions cutanées chez certains détenus.
Par ailleurs, une réfection complète des cellules devrait être réalisée à court terme. Un rafraîchissement de la peinture est programmé et le mobilier est en cours de renouvellement mais ces mesures sont insuffisantes.
Outre les murs sales et dégradés avec, à certains endroits de l’humidité, des infiltrations, parfois des champignons, le matériel est très de qualité médiocre et donc se dégrade vite. Au QSL et au QMA le bloc sanitaire comprend une ouverture au-dessus de la porte ne préservant pas l’intimité de la personne détenue. Dans les cellules du QMA, les oscillo-battants ne ferment pas, ils sont cassés, créant des courants d’air. De plus, le système d’interphonie dysfonctionne dans certains quartiers (notamment au QCD), même si ce constat est pris en compte par la direction qui a engagé des démarches pour la réalisation de travaux.
De plus, le nombre de cellules et leur taille ne permettent pas en réalité d’accueillir dignement plus de personnes détenues que la capacité théorique de l’établissement, qui devrait donc être respectée. Le principe de l’encellulement individuel est l’exception et n’existe qu’au QCD ce qui est inadmissible. Au moment de la visite le taux d’occupation du QMA était de 139 %.
Avec une telle suroccupation, les normes fondamentales minimales du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) ne sont pas respectées et le respect de la dignité des personnes est bafoué. Dans les cellules doublées, les personnes disposent (hors espace sanitaire) d’à peine 3m2 d’espace vital individuel, quand un matelas supplémentaire est posé au sol, le chiffre tombe à 2,1m2, pour 4m2 minimum requis par le CPT. Dans les cellules « triples », dans le meilleur des cas (quand elles sont quatre), de 3,6 m2 d’espace vital individuel, le chiffre passant à 2,9m2 quand elles sont cinq, ce qui est inacceptable, d’autant plus que l’état matériel des cellules est dégradé.
2. L’organisation de la vie en détention a été globalement améliorée
a) Les quartiers spécifiques
Les conditions matérielles du quartier des arrivants sont meilleures qu’en 2018 avec des cellules repeintes et un état des lieux est réalisé systématiquement. En revanche, les promenades sont organisées dans les cours du quartier disciplinaire qui sont indignes et les arrivants n’ont pas accès à des activités.
Si les conditions d’hébergement sont meilleures au quartier centre de détention (QCD) qu’au QMA et l’encellulement individuel le principe, il ne s’agit pour autant pas d’un véritable QCD. Le régime porte ouverte est partiel (7h30-11h30 et 13h30-18h00). Depuis la visite, des espaces d’activité y ont été aménagés afin de dynamiser la prise en charge.
Le quartier sortant n’en a que le nom en raison de l’architecture de l’établissement qui ne permet pas une étanchéité avec le QSL. Il n’est pas admissible que les détenus volontaires pour y être affectés doivent renoncer à toute activité, à l’intervention de Pôle-emploi et de tout autre interlocuteur à même de favoriser leur insertion.
Le quartier de semi-liberté offre des conditions d’hygiène plus favorables qu’au QMA mais le problème de système électrique y est identique.
b) L’accès aux activités est assuré
L’organisation des mouvements permet le respect de l’emploi du temps du détenu. Sont constatés : une variété de l’offre d’activités, la fréquentation de bibliothèque, l’accès au sport pour tous, une offre d’enseignement adaptée à différents niveaux.
Par ailleurs, le développement de l’offre de travail et de formation est une préoccupation de l’établissement. Des projets sont en cours mais leur mise en place peut se heurter aux contraintes immobilières.
c) Les modalités d’organisation des relations avec l’extérieur ont été améliorées depuis la visite
Les constats dressés lors du contrôle ont globalement été pris en compte par la direction de l’établissement : les créneaux de parloir organisés avant la crise sanitaire ont été remis en place, la plage horaire pour la prise de rendez-vous téléphonique a été augmentée, des boîtes aux lettres ont été installées en détention. En revanche, si toutes les cellules sont équipées d’un téléphone, la promiscuité ne permet pas d’échanges confidentiels et ainsi le respect de l’intimité des personnes détenues. Le même problème perdure, à l’exception du QI et du QD, pour les points-phones, compte tenu de leur emplacement.
d) La discipline est gérée dans un délai raisonnable et la procédure disciplinaire est globalement lisible et cohérente mais les fouilles ne peuvent pas faire l’objet d’une analyse des pratiques faute de données fiables
La direction impulse une dynamique de gestion des incivilités par des entretiens de recadrage et des mesures infra disciplinaires afin de réserver les poursuites aux faits les plus graves ce qui limite les retraits de CRP pour les condamnés. S’il y a peu d’incidents graves, les contrôleurs ont constaté que de nombreux incidents sont liés à la promiscuité (comme des refus de réintégrer).
Si les fouilles sont tracées, les données ne sont pas centralisées et le régime des fouilles n’est pas toujours renseigné. Il n’y a pas de formalisation de décision pour les fouilles individuelles et pas de notification de décision. Les fouilles réalisées sur le fondement du régime exorbitant ne sont pas notifiées aux personnes détenues. Ces constats ont été pris en compte par l’établissement.
e) La préparation à la sortie et l’accès aux droits sont garantis
L’accès au droit est bien organisé avec l’intervention de différentes associations et administrations. En revanche, sur le droit des étrangers, il est déploré l’inexistence d’un dispositif pertinent.
La politique d’application des peines est dynamique et les magistrats du parquet comme du siège sont attentifs à la situation du CP. Le lien dedans/dehors est travaillé dans le cadre d’un parcours de sortie avec l’intervention d’une assistante de service social et d’un psychologue.
3. L’organisation des soins est satisfaisante
L’accès aux soins et la continuité des soins sont assurés et des initiatives innovantes ont émergé depuis 2018.
La coordination entre les deux services reste à améliorer en particulier le week-end. Par ailleurs, les locaux de l’unité sanitaire n’ont toujours pas fait l’objet de rénovation ou de restructuration comme cela était préconisé. L’équipement est à remplacer et la configuration des locaux ne permet toujours pas d’assurer la confidentialité des consultations.
Sur les soins somatiques, l’équipe soignante est plus stable. De plus, une souplesse dans l’organisation de la prise de rendez-vous est observée et les urgences sont traitées rapidement. L’arrivée récente d’une professionnelle chargée du parcours de soins en addictologie est une piste encourageante pour ce type de prise en charge, eu égard à la proportion importante de personnes souffrant d’addictions. L’unité sanitaire accepte de recevoir les personnes en semi-liberté en consultation ce qui est rarement observé.
Néanmoins, les extractions médicales sont encore souvent annulées en raison de problèmes d’escorte. Les conditions des extractions à l’hôpital ne respectent pas la confidentialité des soins et le respect du secret médical en raison de la présence des escortes lors des consultations.
Enfin, la préparation à la sortie, en coordination avec le SPIP, pourrait être améliorée.
Sur les soins psychiatriques, tous les arrivants sont rencontrés par un infirmier de psychiatrie.
La mise en place de « réunions psy » une fois par mois avec des représentants de l’équipe psychiatrique de l’US, du SPIP, de la direction et de la détention favorise le repérage des détenus relevant d’établissements dotés d’un SMPR ou d’une UHSA.
Cependant, le temps de psychiatre reste insuffisant et les conditions d’hospitalisation au CHS J.M. Charcot sont inadaptées indignes, le patient détenu étant placé systématiquement en chambre d’isolement malgré une recommandation du CGLPL en 2021, à l’issue de la dernière visite de cet établissement. En conséquence, le placement du patient en crise en cellule de protection d’urgence (CProU) est privilégié afin d’éviter des hospitalisations traumatisantes.
L’établissement a pris en compte de nombreuses recommandations et la mise en œuvre de celles relatives à la rénovation de l’établissement dépend du ministère de la justice.