Le CGLPL a réalisé une troisième visite du centre pénitentiaire de Bois-d’Arcy du 7 au 16 septembre 2022. Au regard des constats effectués sur place, la Contrôleure générale avait considéré établie une violation grave des droits fondamentaux des personnes incarcérées et publié au Journal Officiel du 16 décembre 2022 des recommandations en urgence, sans attendre la finalisation du rapport de visite, conformément à l’article 9 de la loi du 30 octobre 2007.
Rapport de la troisième visite du centre pénitentiaire de Bois-d’Arcy (Yvelines)
Observations du ministère de la justice – Centre pénitentiaire de Bois-d’Arcy (3e visite)
Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, au ministère de la justice auquel un délai de quatre semaines a été fixé pour produire ses observations.
Synthèse
La Contrôleure générale et sept contrôleurs ont effectué un troisième contrôle, inopiné, du centre pénitentiaire (CP) de Bois d’Arcy (Yvelines) en septembre 2022.
La gravité des constats effectués a conduit à saisir en urgence le garde des sceaux, ministre de la Justice, afin de mettre un terme à l’indignité constatée.
Le présent rapport a été soumis aux échanges contradictoires avec le directeur de cet établissement, le directeur général du centre hospitalier (CH) de Versailles, les chefs de juridiction du tribunal judiciaire de Versailles et le directeur général de l’agence régionale de santé d’Ile-de-France. Le directeur du CH et celui de l’établissement ont adressé des observations insérées dans le présent rapport. Aucune réponse n’a été apportée à de nombreuses recommandations portant sur le respect des droits des personnes détenues.
Le CP, ouvert en 1980, comporte une maison d’arrêt (MA) pour les hommes et un quartier de semi-liberté (QSL). La capacité théorique opérationnelle actuelle s’élève à 564 places : 503 en MA et 61 en QSL. Le centre pénitentiaire reçoit des détenus hommes adultes, prévenus ou condamnés, placés presque exclusivement en détention par les juridictions de première instance et d’appel de Versailles.
La prison se caractérise par le cumul de trois constats majeurs objectivant un non-respect de la dignité de tous les détenus présents au moment du contrôle.
1 – La surpopulation engendre des conditions indignes de détention et la situation se dégrade
L’établissement dispose de 503 cellules individuelles de 9,98 m² transformées en cellule de deux personnes pour 466 détenus et en cellules occupées par trois personnes pour 201 détenus. Le taux d’occupation était de 165% au moment du contrôle. L’espace laissé aux détenus pour vivre en cellule est ainsi de 2,92m² par personne dans les cellules de deux et 1,4 m² par personne dans les cellules de trois, ce qui est constitutif d’un traitement inhumain et dégradant.
Outre cette surpopulation, un tiers des détenus est de nationalité étrangère sans qu’un système de traduction accessible pour tous les professionnels ne soit organisé. Aucune information pratique sur la vie quotidienne du CP n’est donnée, y compris en français.
Cette surpopulation n’est pas prise en compte au titre de la sécurité incendie puisque le procès-verbal de la commission départementale de sécurité indique un nombre de détenus théorique sans rapport avec le nombre de lits réellement installés.
Les conditions de détention au quotidien ajoutent aux atteintes à la dignité. Les détenus ne peuvent pas tous disposer de plaque électrique, sauf au QI et curieusement sur prescription médicale, avec parallèlement un trafic de plaque et des retraits arbitraires par les surveillants. Par ailleurs il n’y a aucun réfrigérateur mais uniquement des glacières de camping cantinées et onéreuses dont la durée de vie est courte et la température aléatoirement basse. Les repas étant servi à 17h, la plupart ne peuvent manger chaud. L’eau chaude n’est pas distribuée le matin pour le petit déjeuner. Les cantines proposent l’achat de pâtes, de pommes de terre et de boites de conserve ne pouvant être consommées sans cuisson ainsi que de produits nécessitant une réfrigération continue. Les détenus confectionnent ainsi des chauffes artisanales accentuant le risque d’incendie.
La sécurité sanitaire alimentaire n’est pas respectée, tant du fait de la température non contrôlée des glacières ou de l’absence de réfrigérateurs, que du fait d’une cuisine insalubre.
Les détenus n’ont accès qu’à trois douches par semaine y compris pour ceux qui font du sport en cours de promenade et pour les travailleurs du grand quartier.
En absence d’eau chaude en cellule, les détenus doivent laver leur linge ainsi que la cellule à l’eau froide. Des taies d’oreillers sont données mais pas les oreillers.
Tous ces éléments liés aux infrastructures, associés aux autres désordres constatés comme les revêtements muraux y compris extérieurs, ne font actuellement l’objet d’aucun schéma directeur immobilier.
2 – Ces conditions indignes de détention sont aggravées par la gestion de la détention.
Le temps passé en cellule indigne n’est pas atténué par le temps passé à l’extérieur. L’offre de travail ne concerne que 220 détenus avec des priorités de classement arbitraires. De plus, les concessionnaires gardent le financement à la pièce et certains auxiliaires ont vu leur classement et rémunération modifiés, sans information. Les contrats ne précisent pas les jours travaillés ni la durée de travail garantie.
Il n’y a que très peu de détenus qui bénéficient d’activités culturelles organisées et seule la bibliothèque est accessible une fois par semaine. Il n’y a plus de repérage de l’illettrisme à l’arrivée. L’accès aux sports est très limité. Il n’y a que peu d’information écrite ou orale donnée aux détenus sur les possibilités offertes. La formation professionnelle est seulement en cours de déploiement.
L’accès aux soins somatiques comme psychiatriques est limité pour un nombre élevé de patients, du fait des difficultés de mouvements. Par ailleurs, les blocages incessants de ces mouvements les obligent à attendre souvent plus d’une heure pour regagner leur cellule. Les locaux sont inadaptés et trop exigus pour permettre les soins: les soignants manquent de bureaux et de salles pour activité de groupe ; quant aux surveillants, ils sont au milieu du couloir des soins de l’unité somatique. Par ailleurs, les soignants ne disposent pas encore de dossiers médicaux informatisés.
L’accès aux examens spécialisés est contrarié par la présence systématique des escortes durant les examens médicaux au CH de Versailles et de Poissy, cette présence étant constitutive d’une atteinte à la dignité et au secret médical.
L’accès aux familles n’est pas facilité. Les parloirs sont exigus et leurs durées écourtées à trente minutes. Les parloirs doubles ne sont plus autorisés.
Les modalités d’approvisionnement des comptes nominatifs pour les prévenus empêchent l’accès à la cantine et au téléphone. En effet, la possibilité de bénéficier du virement d’argent par une personne extérieure est conditionnée à ce que celle-ci dispose d’un droit de visite ; or le permis n’est pas accordé avant deux à trois mois. Une grande partie des arrivants ne dispose pas d’argent pendant plus d’un mois, ce qui alimente le trafic et les tentatives de corruption.
Plus généralement, les requêtes ne font l’objet d’aucune traçabilité et de nombreux détenus ne sont pas informés des suites de leurs demandes.
3 – Les mesures d’ordre et de sécurité sont contestables et accentuent l’indignité
L’établissement est caractérisé par une absence d’organisation de la détention. Il n’y a pas de fiche de poste, pas de réunion d’organisation et coordination. Les directives ne sont pas expliquées et l’information ne circule pas entre surveillants, encadrement et direction. Le travail au quotidien est désorganisé et les surveillants ou les gradés sont déplacés en permanence d’un poste à un autre. Les contrôleurs ont ainsi été confrontés à l’expression d’une réelle souffrance au travail de très nombreux fonctionnaires, tout grade confondu.
Les contrôleurs constatent une situation associant un sous-effectif à un absentéisme élevé, et un volume de congés bonifiés important non compensé par des agents supplémentaires. Durant le contrôle, de nombreuses coursives se sont retrouvées sans aucun surveillant, souvent plusieurs heures par jour en cumulées. Cette pénurie majeure de surveillants en détention empêche tout mouvement rationnel et est source de tension chez les détenus.
La gestion de la sécurité est non respectueuse des droits. Les fouilles à nu sont très nombreuses, ne sont pas exhaustivement tracées et l’absence de salles spécifiques amène à les effectuer dans les douches ou les salles d’activité. En revanche, il n’a pas été rapporté de pratiques déviantes lors de ces fouilles.
Les moyens de contrainte au sein de la détention ne sont pas tracés. Pour les escortes à l’extérieur de la détention, 88% des détenus sont en niveau d’escorte systématisant les contraintes et il n’y a pas de réévaluation régulière de ces niveaux, y compris pour les détenus bénéficiant de permissions de sortir ou âgés.
La gestion des incidents développe l’infra-disciplinaire. Ainsi plus de 1 300 CRI sont en attente de traitement depuis deux ans ; les enquêtes semblent n’être faites qu’en cas de mise en prévention et de passage en commission de discipline Toutefois, ces CRI juridiquement invalides sont cités dans l’ensemble des commissions décidant des affectations et sont indiqués aux magistrats dans le cadre des aménagements ou suspension de peine.
Concernant les quartiers spécifiques, le QI dispose de cours de promenade indignes et aucune promenade à deux ou trois n’est permise ; il n’y a aucune activité proposée aux personnes placées dans ce quartier hormis une petite salle de musculation.
Il n’y a pas de dispositif de parcours d’exécution des peines (PEP) et une commission PEP est en place depuis un mois organisée à un an de la CPU arrivants. Les détenus n’y sont pas conviés. La prise en charge des personnes prévenues n’est toujours pas effectuée ; le suivi d’exécution de peine des condamnées se contente du rythme des aménagements de peine.
Les audiences tenues en visioconférence sont encore nombreuses mais ne concernent pas l’application des peines. Pour ces audiences, l’avocat n’est jamais présent aux côtés de son client.