Le CGLPL a réalisé une visite du centre de santé mentale Jean-Baptiste Pussin à Lens (Pas-de-Calais) du 10 au 14 janvier 2022. Au regard des constats effectués sur place, la Contrôleure générale avait considéré établie une violation grave des droits fondamentaux des personnes hospitalisées et publié au Journal Officiel du 1er mars 2022 des recommandations en urgence, sans attendre la finalisation du rapport de visite, conformément à l’article 9 de la loi du 30 octobre 2007.
Rapport de visite du centre de santé mentale Jean-Baptiste Pussin à Lens (Pas-de-Calais)
Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, aux ministères de la santé et de la justice auxquels un délai de quatre semaines a été fixé pour produire leurs observations. A la date de publication de ce rapport, aucune observation n’a été produite.
Synthèse
La première visite du centre de santé mentale Jean-Baptiste Pussin de Lens, réalisée par six contrôleurs du 10 au 14 janvier 2022, a donné lieu au constat d’un nombre important de dysfonctionnements graves que le CGLPL a formulés sous la forme de recommandations en urgence publiées au Journal officiel le 1er mars 2022, et adressées au ministre de la Justice et au ministre de la Santé et des solidarités.
Le rapport provisoire adressé le 27 avril 2022 a mis en évidence des atteintes à la dignité des patients concernant plusieurs aspects de leur prise en charge.
Les patients, en soins libres ou sans consentement sans distinction, étaient enfermés dans une enceinte grillagée, dans un bâtiment clos en dehors des horaires d’ouverture de la cafétéria, dans des unités ouvertes de manière restrictive et enfin dans leur chambre puisque des mesures d’isolement y étaient pratiquées à grande échelle.
Les pratiques d’isolement et de contention, décisions de dernier recours encadrées strictement par la loi, étaient mises en œuvre dans toutes les unités, en chambre d’isolement ou en chambre hospitalière, pour des patients majeurs ou mineurs, en soins sans consentement ou en soins libres, parfois en dépit d’une décision médicale, sans évaluation médicale régulière et sans contrôle effectif du juge des libertés et de la détention. Ces pratiques, dénoncées avec vigueur depuis plusieurs années par la commission départementale des soins psychiatriques sans consentement, étaient banalisées par les soignants et validées par la direction et l’encadrement du pôle de psychiatrie.
Aucune alternative à l’isolement n’était recherchée, alors que les locaux disposent d’espaces disponibles pour les mettre en œuvre. Le projet de soin, non défini, ne permettait pas l’association du patient ni de la personne de confiance.
Les deux chambres d’isolement « officielles » étaient indignes, en l’absence des équipements nécessaires à la préservation de l’intégrité, de l’intimité et de la dignité de la personne, et les patients isolés étaient soumis à la vue de tous. Au mépris des règles de sécurité, le service incendie n’était pas avisé en temps réel du placement des personnes en isolement et/ou contention.
L’intégrité des patients n’était pas préservée en l’absence de verrou de confort permettant de fermer la chambre et la salle d’eau. Les patients se sentaient en insécurité, ne pouvaient pas appeler à l’aide en cas de besoin, le système des boutons d’appel ayant été désactivé, et certains d’entre eux avaient dénoncé des agressions.
Les personnes en soins sans consentement ne recevaient aucune information claire concernant les règles de vie ni aucun document énonçant leurs droits et les coordonnées des autorités susceptibles d’être saisies pour les faire valoir. Compte tenu de la désorganisation qui régnait au sein de l’établissement de santé mentale, les décisions relevant du directeur étaient prises tardivement, voire étaient antidatées.
Lors de l’audience, le juge des libertés et de la détention ne disposait pas systématiquement d’un dossier complet et l’échéance des six mois impliquant une nouvelle décision judiciaire était parfois oubliée. Le juge des libertés et de la détention n’appliquait pas nécessairement la convention signée par la juridiction avec les établissements de soins de son ressort et définissait le lieu de l’audience le matin même. La publicité des débats, l’accès des proches à l’audience, les droits de la défense et l’information du patient, n’étaient, dans ce contexte, pas garantis.
Les patients mineurs étaient hospitalisés dans les unités de psychiatrie adulte en l’absence d’unité d’hospitalisation complète spécifique et cette promiscuité avec les adultes pouvait les mettre en danger. Certains d’entre eux avaient évoqué des tentatives d’agressions sexuelles et d’autres subissaient des isolements et contentions de durées et de fréquences préoccupantes. Leurs représentants légaux n’étaient pas rigoureusement informés et associés aux prises en charge.
Le rapport provisoire précisait que les dysfonctionnements, graves et anciens, résultaient d’une absence de pilotage global. Les intervenants reconnaissaient leur désorganisation et les privations de liberté irrégulières.
Le rapport provisoire recommandait que le centre de santé mentale Jean-Baptiste Pussin à Lens fasse l’objet de mesures correctives urgentes. Les dysfonctionnements étant aggravés par le manque de formation du personnel, l’établissement devait être étroitement accompagné par les autorités de tutelle.
Le CGLPL prend acte que le centre hospitalier de Lens a immédiatement mesuré l’ampleur des transformations à opérer. Des actions concrètes ont permis, dès fin janvier 2022, l’ouverture des unités et du portillon extérieur, l’allongement des horaires d’ouverture de la cafeteria, l’actualisation et l’affichage de documents relatifs aux droits des patients.
Sans attendre l’adresse du rapport provisoire, dès connaissance des constats énoncés oralement lors de la réunion de restitution du 14 janvier 2022, le centre hospitalier de Lens a accompagné la formalisation d’un plan d’action qui a été présenté devant le directoire le 4 février 2022 et fait l’objet d’une supervision mensuelle par le directeur général avec l’appui de la cheffe de pôle de psychiatrie, de la directrice référente de pôle et de la direction des affaires juridiques.
Ce plan se décompose en quatre thématiques : droit des patients, logistique et travaux, isolement, contention et soins sous contrainte, prise en charge des mineurs. Il est accompagné d’un suivi des recommandations avec la mise en place de plusieurs réunions du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail spécifiques et de réunions d’information aux représentants du personnel. Ce plan fait également l’objet de groupes de travail et de réflexion au sein des services afin d’assurer l’effectivité de sa mise en œuvre.
Une formation pour l’ensemble des professionnels médicaux et non médicaux a débuté depuis le mois de mars 2022, un livret d’accueil spécifique aux services de psychiatrie a été réalisé et l’organisation du quotidien des patients a été clarifiée.
Des travaux ont débuté afin de réhabiliter en totalité les chambres d’isolement, modifier le système de fermeture des portes et placards, améliorer la température de l’eau et le système de chauffage.
S’agissant des droits des personnes, une nouvelle procédure de gestion des soins sans consentement a été mise en place et une formation spécifique a débuté afin de rappeler le cadre légal des pratiques d’isolement et de contention et préciser le rôle de chacun dans leur mise en œuvre. Un logiciel adapté est en cours de déploiement.
L’autorité judiciaire a été sollicitée et a appuyé la réalisation de nouveaux circuits de communication et de nouvelles pratiques. Le dialogue se poursuit en bonne coopération.
L’établissement doit poursuivre sa mobilisation afin d’adapter le service des urgences psychiatriques, assurer les examens médicaux somatiques dans les unités, améliorer le circuit du médicament et l’analyse des prescriptions et garantir des effectifs qui permettent la mise en œuvre des activités thérapeutiques.
Le projet de soin individualisé, l’éducation thérapeutique, le consentement aux soins et les directives anticipées doivent faire l’objet d’une analyse dans la durée. L’aide du comité d’éthique a été sollicitée.
S’agissant des mineurs, un projet médical est en cours d’écriture pour formaliser un accueil de pédopsychiatrie. Leur place en psychiatrie adulte ainsi que celle de leurs représentants légaux connaît un début de clarification.
L’autorité judiciaire doit veiller à la mise en œuvre effective de la convention du 8 novembre 2018 qui prévoit la tenue des audiences du juge des libertés et de la détention au sein d’un établissement public de santé mentale et non pas au siège du tribunal judiciaire.