Rapport de la deuxième visite du centre pénitentiaire de Borgo (Haute-Corse)
Observations du ministère de la justice – CP de Borgo (2e visite)
Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, aux ministères de la justice et de la santé auxquels un délai de quatre semaines a été fixé pour produire leurs observations.
Synthèse
Six contrôleurs ont effectué un contrôle inopiné du centre pénitentiaire de Borgo (Haute-Corse), du 1er au 11 mars 2021. Cette mission constituait une deuxième visite, après celle réalisée du 7 au 11 avril 2014.
Le rapport provisoire adressé le 7 juillet 2021 à la direction du centre pénitentiaire de Borgo, à celle du centre hospitalier de Bastia (Haute-Corse), à l’agence régionale de santé de Corse, au président du tribunal judiciaire de Bastia et au procureur de la République près le même tribunal, a donné lieu en retour à des observations de la part des directions du centre pénitentiaire et de l’établissement hospitalier.
Le centre pénitentiaire, en gestion publique, dénombre toujours 246 places de détention ainsi réparties :
- 172 places dont 10 pour les arrivants en quartier maison d’arrêt pour hommes (MAH), dans sept unités ;
- 17 places dont 1 pour les arrivantes en quartier maison d’arrêt pour femmes (MAF) ; une cellule peut accueillir une femme et son enfant ;
- 4 places en quartier pour mineurs (QM), au rez-de-chaussée d’une aile de bâtiment à l’entrée de l’établissement ;
- 48 places en quartier centre de détention (CD), dans une unité de 28 places dite « CD historique » et une unité de 20 places dite « CD 2 » ouverte en 2011 dans l’ex-unité 5 de la MAH ;
- 5 places en quartier de semi-liberté (QSL), au 1er étage de l’aile de bâtiment qui accueille le QM au rez-de-chaussée.
S’y ajoutent 4 places de quartier disciplinaire (QD) et 6 places de quartier d’isolement (QI) pour les hommes, ainsi qu’une cellule disciplinaire pour les femmes.
A l’exception des QM et QSL où l’architecture est exclusivement minérale, le bâti se caractérise agréablement par des patios arborés reliés par des galeries couvertes ainsi que par la vue offerte depuis les cellules. L’établissement n’est toutefois pas accessible aux personnes détenues à mobilité réduite (PMR), l’hébergement n’étant accessible que par des escaliers étroits.
Lors de la visite, le taux d’occupation de l’établissement est de 89,4 %, soit 96 % en MAH et QSL, 47 % à la MAF, 87,5 % au CD. La suroccupation n’est pas une préoccupation. L’encellulement individuel est majoritaire. L’incarcération de mineurs est exceptionnelle.
En 2020, malgré des mesures sanitaires appliquées de mars à mai qui ont réduit les arrivées, près de 15 % des entrants sont venus d’un autre établissement situé en Corse ou sur le continent, ce qui éloigne les détenus de la juridiction de leur résidence, de leur famille et compromet le travail d’insertion.
Une nouvelle cheffe d’établissement a pris ses fonctions en décembre 2020 et s’applique depuis à mettre en œuvre les mesures correctives dictées par les instances de contrôle de l’établissement qui n’avaient pas été suivies d’effet auparavant. Les relations partenariales avec le service pénitentiaire d’insertion et de probation et avec le centre hospitalier de Bastia ont également été renforcées par des changements parmi leur personnel.
La première impression sur la vie très libérale dans la plupart des unités de l’établissement est positive, comme cela a été dit aux contrôleurs par les personnes détenues elles-mêmes : « Ici, il n’y a que la privation de liberté », « Les conditions de vie sont bonnes » ou « Il y a une certaine liberté apparente ». La liberté de circulation au sein de l’unité est un principe effectivement appliqué dans trois quarts des unités de la MAH et la totalité des unités du CD, mais qui est exclu à la MAF.
Les portes ouvertes facilitent la vie quotidienne dans un établissement où les conditions matérielles sont vétustes, particulièrement à la MAH : mobilier disparate et en mauvais état que la débrouillardise des occupants ne compense pas, absence de verrou de confort aux portes des cellules et de coffre, portes de gaines techniques détériorées, rambardes de coursive manquantes, salles de douches collectives aux murs moisis et à la ventilation insuffisante, cours de promenade insuffisamment équipées, etc. S’y ajoutent des modalités de distribution des repas inefficaces et, pour l’ensemble des quartiers, l’absence de dispositif d’appel aux surveillants depuis les cellules. A la suite de la visite, ce dernier point a été corrigé par la mise en service d’un numéro vert qui aboutit 24h/24 au poste central d’information (PCI) et peut être composé sur le poste de téléphone qui équipe chaque cellule. Les détenus accèdent tous à des machines pour entretenir leur linge.
Mais les portes ouvertes donnent aussi libre cours à l’autogestion dans un établissement où l’absentéisme du personnel de surveillance est important et chronique, où la question des régimes n’a pas été pensée, où les décisions d’affectation en unité ne sont pas prises par une commission pluridisciplinaire unique (CPU). Dans la majorité des unités de la MAH, la fermeture des portes est brandie comme une menace collective que les agents ne mettent pas en œuvre, comme ils ne parviennent pas à mettre en œuvre la plupart des consignes alors qu’ils peuvent montrer au quotidien un humanisme sincère dans la prise en charge de la population pénale. Dans ces conditions, les violences entre détenus ne sont pas traitées par le personnel, qui ne remonte pas d’information à sa hiérarchie. Les arrivants, les personnes vulnérables, les femmes sont au contraire soumis à un fonctionnement en portes fermées. A la suite de la visite, deux régimes ont été identifiés à la MAH (régime fermé et régime de respect) et le rôle de la CPU semble avoir été renforcé ; les notes de service et les fiches de poste diffusées, ainsi que l’adoption d’un rythme de travail commun pour les surveillants en roulement, devraient aussi être de nature à clarifier le rôle du personnel de détention ; la direction énonce sa volonté de voir émerger et traiter les difficultés, en lien avec sa hiérarchie et les autorités judiciaires ; le personnel hospitalier s’engage à proposer systématiquement un certificat médical constatant les coups et blessures et à retracer ses constats dans le dossier médical.
Parallèlement, le quartier disciplinaire a longtemps été inutilisé, faute de pouvoir réunir la commission de discipline et en raison de la systématisation d’avis médicaux énonçant l’incompatibilité de l’état de santé des détenus punis avec le régime disciplinaire. La commission de discipline s’est réunie à nouveau pendant la visite. Un médecin se déplace maintenant auprès des punis deux fois par semaine selon ce qui a été annoncé après la visite.
Des recommandations portent également sur les offres de formation et de travail, insuffisantes, même si le projet d’une structure d’insertion par l’activité économique (SIAE) a éclos après la visite.
De plus, les activités socioculturelles étaient à l’arrêt. Le devenir de la médiathèque, dont le fonctionnement était suspendu par des mesures sanitaires, était en questionnement.
L’intervenant de l’Éducation nationale sous-traite le repérage de l’illettrisme à des acteurs pénitentiaires. L’offre d’enseignement est trop limitée en matière de français langue étrangère et n’est pas accessible aux femmes dans les filières générales. Comme ailleurs, les ressources en ligne sont inaccessibles aux détenus.
Les activités sportives en extérieur se pratiquent sur un terrain dangereux quand il n’est pas inondé. La présence de moniteurs de sport, déjà réduite lors de la visite, a encore diminué depuis.
L’offre de soins somatiques au sein de l’établissement est limitée par l’étroitesse des locaux dévolus à l’unité sanitaire en milieu pénitentiaire ; certaines des extractions médicales au centre hospitalier de Bastia en découlent. Des difficultés de communication sur les situations médicales entre les services portent préjudice aux détenus. Les extractions font l’objet d’annulations par le personnel pénitentiaire en proportion importante, l’individualisation des moyens de contrainte y est insuffisante et les surveillants maintiennent leur présence pendant les consultations. A l’issue de la visite, la réactivation d’un projet d’extension basée sur une nouvelle expression des besoins est annoncée et le déploiement des systèmes d’information du centre hospitalier au sein du centre pénitentiaire est engagé.
La mise en œuvre des soins psychiatriques se caractérise par des hospitalisations durables dans la clinique San Ornello habilitée à l’accueil de patients en soins sans consentement. Ces prises en charge sont entrecoupées de va-et-vient d’une journée entre la clinique et la prison, sans motif clair ou acceptable. Ces détenus hospitalisés n’accèdent pas à l’application des peines.
L’application des peines est pourtant un point fort de la politique judiciaire menée dans l’établissement. Elle associe pleinement le service pénitentiaire d’insertion et de probation, dont les conseillers sont connus des détenus et qui peut s’appuyer sur des ressources familiales et sociales qui persistent en général pendant et après l’incarcération. Un parcours d’exécution de peine (PEP) individualisé se dessine. Le recrutement par l’établissement d’un psychologue chargé du PEP devrait renforcer cet axe.