Rapport de la deuxième visite des hôpitaux de Saint-Maurice (Val-de-Marne)
Observations du ministère de la santé – Hôpitaux de Saint-Maurice (2e visite)
Synthèse
Sept contrôleurs ont effectué une seconde visite des hôpitaux de Saint-Maurice (HSM) du 2 au 10 novembre 2021. Une première visite s’était déroulée du 11 au 20 mai 2011, peu après la fusion de l’Hôpital national de Saint-Maurice et de l’établissement public de santé Esquirol. Cette visite, comme la première, avait été annoncée.
A l’issue, un rapport provisoire a été adressé à la directrice générale des HSM, à l’agence régionale de santé d’Ile de France (ARS), au préfet du département, à la direction du CHU Henri Mondor et de l’hôpital Saint-Antoine, au président et à la procureure de la République près le tribunal judiciaire de Créteil. Seule la direction de l’établissement a émis des observations et demandes de corrections d’erreurs matérielles qui sont intégrées dans le présent rapport définitif.
La visite a concerné neuf unités d’hospitalisation complète situées sur le site des HSM à Saint-Maurice (Val-de-Marne) réparties sur quatre pôles – Paris 11, Paris 12, Paris Centre et 94G16 – couvrant sept secteurs, à raison de deux unités par pôle et une unité de réhabilitation dans l’un des pôles parisiens, étant précisé qu’elles accueillent toutes des patients en soins sans consentement, un centre d’accueil psychiatrique situé dans le 11èmearrondissement de Paris, le centre communautaire d’accueil et de soins pour adolescents (CCASA) situé à Montreuil (Seine-Saint-Denis), les deux services des urgences les plus pourvoyeurs de patients soit le SAU de l’hôpital Saint-Antoine (Paris 11ème) et le service des urgences d’Henri Mondor.
A titre liminaire, la mission s’est déroulée dans d’excellentes conditions, à l’exception de l’unité Manet du pôle Paris 12 – qui a été fermée le 14 janvier 2022 – au sein de laquelle les contrôleurs ont été confrontés à une hostilité à la limite de l’entrave à l’exercice de leurs missions. A l’issue de la visite, la Contrôleure générale a adressé une lettre au ministre des Solidarités et de la Santé en date du 16 novembre 2021 signalant la situation particulièrement problématique de ce pôle en termes de ressources humaines et des dysfonctionnements au sein de l’unité Manet relevant d’atteintes graves aux droits fondamentaux des patients (annexe 1). Le ministre des Solidarités et de la Santé a saisi l’ARS Ile-de-France du signalement, laquelle a sollicité le 26 novembre 2021 la direction de l’établissement. Cette dernière a informé le CGLPL, par courrier du 21 janvier 2022, des actions mises en œuvre depuis la visite et qui sont prises en compte dans le présent rapport. Le ministre des Solidarités et de la Santé a adressé un courrier à la Contrôleure générale reçu le 21 mars 2022 (annexe 2).
Sur les principaux constats :
L’établissement compte cent soixante-treize lits d’hospitalisation complète, une chambre d’isolement dans sept unités, une chambre d’apaisement dans une unité. La part des patients en soins sans consentement est de 50% au moment du contrôle.
Les équipes sont particulièrement investies auprès des patients malgré un état de fatigue lié à la crise sanitaire et à un sous-effectif aggravé très préoccupant depuis cette crise, malgré des actions de la direction d’attractivité des emplois.
Ce sous-effectif a en partie conduit à la fermeture d’unités. Plus largement, il ne permet plus de faire fonctionner normalement des dispositifs pertinents comme le centre d’accueil et de crise du pôle Paris Centre ou encore le centre d’accueil psychiatrique CAP Bastille alors qu’il s’agit de dispositifs sas entre les urgences et l’hospitalisation complète ou entre l’ambulatoire et l’hospitalisation complète. Ces structures doivent pourtant être valorisées et développées, tout comme les équipes mobiles qui sont un point fort du dispositif de prévention de l’hospitalisation ou de la crise.
Les pôles de psychiatrie parisiens couvrent des secteurs prenant en charge des patients qui très souvent cumulent de nombreuses difficultés : isolement social et familial, grande précarité, difficultés administratives avec de nombreux patients sans domicile fixe orientés par le centre psychiatrique d’orientation et d’accueil.
La composition pluridisciplinaire des équipes est à saluer avec notamment l’intervention d’assistants de service social, de psychologues, d’ergothérapeutes, d’éducateurs spécialisés ou encore de psychomotriciens qui interviennent pour beaucoup à l’intra et à l’extra hospitalier dans l’intérêt de la continuité de la prise en charge du patient.
En revanche, il a été constaté un important retard de l’établissement sur les systèmes d’informations que la direction s’emploie à combler, notamment pour le dossier informatisé du patient, le registre d’isolement et de contention et les données de l’activité.
I. Les conditions de vie des patients sont disparates et certains locaux relèvent de l’indignité ce qui sera corrigé dans le cadre d’un projet immobilier d’ampleur
Les locaux, qui sont classés bâtiments de France, présentent un état de vétusté avancé. Le service technique en charge de la maintenance peut se heurter aux contraintes imposées par les architectes des bâtiments de France et à la lenteur des autorisations de réparation.
Certaines unités ne sont pas dans un état d’hygiène satisfaisant malgré la mobilisation des agents de service hospitaliers qui se heurtent à des difficultés dans l’exercice de leurs missions en raison de matériaux vétustes.
L’équipement des chambres n’est pas harmonisé. De plus, certaines unités disposent majoritairement de chambres doubles et parfois des chambres triples. Les hublots des portes des chambres ne permettent aucune intimité du patient.
En conséquence, le projet immobilier en cours permettra d’harmoniser l’offre hôtelière et de mettre fin aux conditions indignes d’hébergement constatées dans certaines unités.
II. Sur le patient sujet de droit
- La dynamique engagée sur la liberté d’aller et venir est encouragée et connaît depuis le début de l’année 2022 une traduction effective dans l’ensemble des pôles
Les unités du pôle G16 94 sont ouvertes depuis plusieurs années tandis que celles du pôle Paris Centre sont ouvertes depuis le 9 octobre 2018, cinq heures quotidiennement ; celles du pôle Paris 11 ont ouverts en fin d’année 2021. Dans le cadre de la restructuration en cours du pôle Paris 12, particulièrement résistant à l’ouverture des portes des unités, une unité reste à ce jour encore fermée.
La restructuration du Pôle Paris 12 doit donc conduire à l’achèvement du programmé d’ouverture des unités car, notamment, il n’est pas admissible que des patients en soins libres se trouvent en unité fermée.
- Les restrictions dans la vie quotidienne sont individualisées et la communication avec l’extérieur est assurée
Les restrictions – notamment relatives au téléphone portable, au tabac, aux outils numériques – sont individualisées et décidées par le médecin.
L’accès aux familles est facilité par les modalités très libres des visites même si l’aménagement de salons familiaux dans l’ensemble des unités apparaît incontournable.
- L’information des patients est disparate
L’information générale délivrée aux patients sur la vie quotidienne est très faible, le livret d’accueil n’est pas remis et il n’y a pas de formalisation des règles de vie, ce qui n’est pas toujours compensé par un affichage, à l’exception d’un pôle qui a développé des outils relevant de la bonne pratique permettant d’informer le patient de manière pertinente et lisible. Les HSM sont en cours de développement de tels outils d’information dans les autres pôles.
Globalement, les professionnels sont bien formés aux droits des patients en soins sans consentement et le service juridique a créé des outils intéressants de formation à l’attention des agents. Ainsi, la notification des décisions et la remise des convocations est-elle globalement bien organisée mais il demeure une disparité dans les pratiques des pôles qui mérite une discussion inter pôles.
L’organisation des gardes des administrateurs les week-ends et jours fériés pour les décisions en soins sans consentement du directeur est pertinente et les agents disposent d’un guide méthodologique complet.
En revanche, les certificats médicaux qui fondent les décisions du directeur ou arrêtés du préfet ne sont pas joints à la notification au patient. Or, ces décisions ne sont pas toujours motivées, ce qui prive le patient d’un accès aux motifs de son hospitalisation sous contrainte.
III. Les prises en charge psychiatrique et somatique sont satisfaisantes
- La prise en charge psychiatrique
Dans la très grande majorité des unités, la présence médicale est quotidienne permet un suivi régulier des patients en consultations et favorise l’étayage des équipes. Les familles sont associées et reçues les médecins et soignants sont très accessibles. Les patients sont associés à leur projet de soins individualisé et aux décisions les concernant par le biais de réunions soignant/soigné. Dès que le patient est stabilisé et n’est plus dans le refus de se soigner, la mesure de soins sans consentement est levée.
Le travail en pluridisciplinarité est riche. Les activités thérapeutiques sont variées et adaptées à l’état clinique du patient.
Cependant, en raison du manque de lits dans certains pôles parisiens, des sorties anticipées peuvent être décidées avec des projets plus fragiles et en conséquence des ré-hospitalisations.
- Les sorties et projets de sortie
S’agissant de l’aval, le territoire dispose de structures minimum pour l’ambulatoire et il manque des structures sociales et médico-sociales pour permettre à plusieurs patients de sortir d’hospitalisation au sein de structures adaptées à leur problématique.
Les projets de sorties sont anticipés et s’appuient sur des permissions de sortie rapidement accordées. Les assistants de service social qui interviennent à l’intra et à l’extra hospitalier sont mobilisés. Néanmoins, le sous-effectif des équipes soignantes ne leur permet pas d’assurer l’accompagnement des patients qui est donc effectué par d’autres professionnels.
Au sein de trois pôles, l’intervention de pair aidant patient ou famille est considérée comme une bonne pratique qui mériterait d’être diffusée dans d’autres établissements.
- Les soins somatiques
Malgré la fermeture de l’unité somatique innovante durant l’été 2021, la permanence et l’accès aux soins somatiques restent garantis grâce au pôle de médecins somaticiens qui interviennent dans les unités. Un projet d’hôpital de jour somatique est en cours qui serait ouvert à des patients suivis en ambulatoire et à des patients hospitalisés qui pourraient s’y rendre seuls, le cas échéant, dans un souci d’autonomisation.
IV. Le registre de l’isolement n’est pas fiable et la contention reste très exceptionnelle
La mesure d’isolement semble être utilisée dans une proportion raisonnable au regard des données chiffrées communiquées, avec la réserve que le registre n’est pas fiable. Des pratiques différentes selon les pôles et les unités ont été constatées et des durées parfois longues d’isolement ont été relevées.
- Les chambres d’isolement
L’architecture et l’équipement des sept chambres d’isolement sont disparates ; le projet immobilier permettra une harmonisation et un accès à un espace extérieur qui fait actuellement défaut.
- La traçabilité des mesures
Depuis la précédente visite en 2011, une amélioration de la traçabilité des mesures est relevée. Néanmoins, le registre ne peut pas constituer un outil fiable pour l’analyse du recours à l’isolement et à la contention, même si l’utilisation de la contention demeure toujours très exceptionnelle, ce qui est à saluer. Dans le cadre d’un programme de modernisation des systèmes d’information, l’établissement déploie actuellement un outil permettant de remédier à cette difficulté afin de disposer d’une base fiable d’analyse des pratiques.
V. La prise en charge en pédopsychiatrie est exemplaire mais des mineurs peuvent être hospitalisés dans les unités pour adultes à défaut de structures adaptées pour la gestion de la crise
Le maillage territorial des structures ambulatoires de pédopsychiatrie est conséquent et est à préserver au regard d’une file active qui ne cesse d’augmenter.
La prise en charge des patients mineurs au centre communautaire d’accueil et de soins pour adolescents (CCASA) est exemplaire. L’équipe pluridisciplinaire est très investie, un travail avec les familles permet d’appréhender l’histoire du patient, des activités variées sont proposées.
Néanmoins, faute de structure adaptée pour la gestion de la crise des patients mineurs, ils peuvent être transférés en chambre d’isolement en unité pour adultes du HSM ou encore être directement hospitalisés en unité pour adultes depuis les services d’urgences, ce qui n’est pas admissible.
En conclusion, le respect des droits fondamentaux des patients est un souci partagé par les professionnels des HSM, malgré un sous-effectif très préoccupant des équipes soignantes. Les projets en cours dans l’intérêt de l’amélioration de la prise en charge des patients démontrent un fort engagement malgré une période difficile pour les établissements de santé mentale.
Soucieux de faire évoluer les pratiques, les professionnels des HSM ont été très attentifs aux observations émises, certaines recommandations sont déjà mises en œuvre et d’autres sont en cours de prise en compte effective.