Site du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté

Avis relatif à l’interprétariat et à la compréhension des personnes privées de liberté

Pictogrammes d’information sur les objets autorisés et interdits en CRA

3 mai 2022

 

Au Journal officiel du 3 mai 2022, le Contrôleur général a publié un avis relatif à l’interprétariat et à la compréhension des personnes privées de liberté. Cet avis a été transmis aux ministres de la justice, de la santé et de l’intérieur pour qu’ils puissent formuler des observations. Les observations du ministre de la justice, parvenues au CGLPL après la publication, sont accessibles ci-dessous.

Lire l’avis dans son intégralité

Lire les observations du ministre de la justice

 

 

 

Les captifs sont souvent exposés à des difficultés pour appréhender correctement leur situation, judiciaire, médicale ou administrative. Pour que chacun puisse exercer ses droits les plus élémentaires – maintien des liens avec ses proches, exercice de la défense, accès aux soins –, l’administration doit utiliser une langue et des termes que la personne privée de liberté comprend.

 

L’interprétariat est essentiel à la compréhension des personnes étrangères

 

  • Interprètes professionnels : une présence insuffisante et un manque de contrôle des compétences

Quand la personne enfermée est étrangère, la compréhension de sa situation passe par la traduction de propos et documents. Or, il est fréquent que les traductions soient réalisées sur le vif par des agents ou d’autres personnes privées de liberté et ces traductions bancales ne garantissent pas la fidélité des informations. Quant au recours à des interprètes par téléphone, il doit rester subsidiaire.

D’autre part, il arrive trop souvent que les traductions souffrent d’une qualité médiocre. Le CGLPL est régulièrement averti de l’intervention d’interprètes non agréés ou non formés, maîtrisant mal le vocabulaire juridique, voire la langue qu’ils ont pourtant mission de traduire. Ce manque de compétence est en partie dû à la faiblesse des exigences de recrutement. Les candidatures sont validées auprès des cours d’appel après avis de la compagnie des experts, sans qu’il soit à ce jour possible de déterminer ni les pièces ni les critères exigés.  S’y ajoutent les retards de versement des rémunérations, par ailleurs, faibles, sans parler des horaires élargis. Le tout aboutissant à décourager beaucoup de professionnels assermentés. D’où le recours à des interprètes non agréés dont la compétence n’a pas été vérifiée, pas plus que les liens avec les autorités en charge d’un lieu d’enfermement et, surtout, avec les autorités de l’Etat d’origine des personnes étrangères privées de liberté.

 

  • Interprétariat et traduction doivent être mis en œuvre à tous les moments cruciaux de la privation de liberté

Dès son arrivée, la personne doit être placée dans des conditions lui permettant de comprendre sa situation et le fonctionnement du lieu dans lequel elle se trouve. Or, la question de la langue parlée par l’étranger arrivant dans un lieu d’enfermement n’est pas toujours traitée par les textes.

En CRA, le retenu doit indiquer à son arrivée une langue qu’il comprend mais cette formalité est souvent expéditive et il arrive qu’il désigne alors une langue qu’il ne maîtrise pas ou mal et qui, ensuite, reste la même tout au long de la procédure, au risque de laisser perdurer une totale incompréhension. En prison et dans les centres hospitaliers, faute de texte, les autorités prennent parfois l’initiative de déduire la langue parlée par l’étranger de sa nationalité. Or, cette langue n’est pas nécessairement celle de la personne concernée. Il revient aux autorités de porter leur attention au-delà des déclarations et des présupposés liés à la nationalité.

Par ailleurs, le premier contact entre les personnes et l’autorité en charge de leur enfermement se fait bien souvent par des documents soumis à la lecture de la personne privée de liberté. Certaines administrations, telles que celles en charge des centres et locaux de rétention administrative, ont augmenté le nombre de traductions disponibles, mais les autres lieux d’enfermement limitent le plus souvent la traduction de leurs documents aux six langues officielles de l’ONU. Il est impératif que l’ensemble des administrations mette à disposition des personnes privées de liberté des documents traduits dans un nombre élargi de langues. Des services informatiques de traduction doivent en outre mis à disposition du personnel, afin qu’il puisse traduire un document en cas de besoin.

Au-delà de l’arrivée, le recours aux services d’un interprète doit être substantiellement développé aux moments importants de la privation de liberté, que sont notamment les rendez-vous pour une prise en charge sanitaire, les comparutions judiciaires ou disciplinaires, ou encore la mise en œuvre du droit au maintien des liens familiaux. Ces situations suscitent des questionnements qui restent souvent sans réponse, faute d’interprète. Or, de ces doutes peuvent naître des atteintes aux droits.

De même, il ne saurait être admis que des consultations médicales de personnes étrangères se déroulent sans possible intervention d’un interprète. Dans chaque lieu de privation de liberté, une convention avec un service d’interprétariat devrait être conclue.

 

L’administration doit se faire comprendre par tout moyen

 

  • Employer des termes compris de la personne privée de liberté

Le parcours des personnes privées de liberté est souvent marqué par l’incompatibilité des langages employés par l’administration et la personne privée de liberté. Les autorités emploient fréquemment un vocabulaire et un type de langage auxquels nombre de personnes n’ont pas accès. Pourtant, ce sont précisément dans ces échanges avec les autorités que des questions sensibles sont abordées. Il n’est donc pas acceptable que leur compréhension soit entravée et il est impératif que les autorités trouvent un équilibre entre un excès d’administrativité ou un langage inadapté d’une part, et une vulgarisation à outrance qui fausserait l’information d’autre part.

L’ensemble des autorités et intervenants doivent s’employer à adapter minutieusement leur propos pour le rendre intelligible en s’assurant que leur formulation n’en demeure pas moins juste. Dans le cas où les informations transmises sont particulièrement denses ou complexes, des écrits consignant ce qui a été dit doivent être remis aux personnes privées de liberté.

 

  • Recourir à des formes d’information non verbales en cas de besoin

Le CGLPL a été plusieurs fois interpellé sur la situation de personnes sourdes ou qui ne savent ou ne peuvent pas lire. Il est chaque fois question de l’absence d’outils permettant de garantir leur compréhension mais également de l’absence de sensibilisation du personnel des lieux d’enfermement à leurs situations.

L’administration doit redoubler d’inventivité pour se faire comprendre et multiplier les supports d’expression plutôt que de les réduire. L’utilisation de toutes formes d’information non verbale (vidéos, pictogrammes, signalétique, langage corporel, etc.) devra servir ce dessein. Par exemple, un livret rassemblant des pictogrammes symbolisant les besoins et demandes urgentes, tels que les soins, la demande d’avocat ou encore le signalement de violences subies pourrait utilement être remis aux personnes sourdes, muettes ou illettrées à leur arrivée.

 

  • S’assurer de la compréhension effective de la personne privée de liberté

Le CGLPL reçoit de nombreux témoignages de personnes privées de liberté de tous lieux qui, bien qu’ayant reçu notification de la mesure qui les vise et de leurs droits, n’ont en réalité pas compris le sens de la situation dans laquelle elles se trouvent. Or, si l’information reçue s’éloigne de l’information initialement donnée, on peut considérer qu’un ou plusieurs des vecteurs de l’information – langue, ton, gestes, vocabulaire utilisés –   a été défaillant. Les autorités, aussi bien que les interprètes, doivent chercher à être bien compris de la personne à laquelle ils s’adressent spécifiquement.

La privation de liberté place les personnes enfermées dans une situation de vulnérabilité, conduisant certaines à un silence tel qu’elles se font oublier. Elles ne sortent pas en promenade, ne participent à aucune activité, ne se soignent pas. Face à ce silence, le CGLPL rappelle l’obligation qui pèse sur les autorités non seulement de donner les moyens à toute personne privée de liberté de se faire entendre mais également de se soucier de son silence. Dès lors, des entretiens, en présence d’un interprète si nécessaire, doivent être organisés à intervalles réguliers pour vérifier que l’absence de besoins formulés n’est pas liée à l’incapacité d’y procéder.