La Contrôleure générale a publié, au Journal officiel du 21 septembre 2021, des recommandations relatives aux conditions matérielles de garde à vue dans les services de police. Le Premier ministre ainsi que le ministre de l’intérieur et le ministre de la justice ont été destinataires de ces recommandations. Le ministre de l’intérieur a apporté des observations, également publiées au Journal officiel.
Lire les recommandations du CGLPL accompagnées des observations du ministre de l’intérieur
Lire les observations du ministre de la justice
Depuis sa nomination en octobre 2020, la Contrôleure générale des lieux de privation de libertés s’est attachée à s’assurer que les conditions d’accueil des personnes privées de liberté dans les commissariats de police sont conformes aux prescriptions gouvernementales dans ce contexte sanitaire d’épidémie de Covid-19.
Entre novembre 2020 et juillet 2021, le CGLPL a contrôlé les commissariats de police de Tergnier-la-Fère (Aisne), Montpellier (Hérault), Tourcoing (Nord), Calais (Pas-de-Calais), Villefranche-sur-Saône (Rhône) et Auxerre (Yonne) sur le ressort de la direction centrale de la sécurité publique, et les commissariats des Xème, XVIème et XIXème arrondissements (Paris) et ceux d’Aubervilliers, Clichy-Montfermeil, Epinay-sur-Seine, Les Lilas, Neuilly-sur-Marne et Stains (Seine-Saint-Denis), Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), et Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), sur le ressort de la préfecture de police de Paris.
Ces visites ont, à de très rares exceptions près, mis en avant la totale indignité des conditions d’accueil dans les locaux de garde à vue et de dégrisement de la police nationale, singulièrement sur le ressort de la préfecture de police de Paris. Ces situations, parfaitement connues de tous, persistent en dépit des recommandations répétées du CGLPL et d’autres autorités de contrôle, et parfois malgré les annonces d’amélioration faites à la suite de visites précédentes. C’est pourquoi le CGLPL a saisi le Gouvernement des présentes recommandations.
Les locaux, souvent inadaptés et sous-dimensionnés induisent des conditions d’accueil indignes
Dans la plupart des commissariats contrôlés, la conception et le nombre des cellules ne sont pas en rapport avec le nombre de mesures de privation de liberté mises en œuvre : plusieurs personnes sont amenées à partager la même cellule dans des conditions de promiscuité indignes (jusqu’à six personnes dans 5 m²). Faute de place ou du fait de l’étroitesse du bat-flanc, les personnes ne peuvent s’étendre ou sont contraintes de se coucher à même le sol.
Cette promiscuité rend par ailleurs impossible le respect des règles de distanciation sociale pourtant imposées dans les lieux clos dans le contexte de crise sanitaire, au risque permanent de porter atteinte, non seulement à la santé publique, mais également à la santé des personnes gardées à vue et du personnel auquel elles sont confiées.
Les conditions d’hygiène, structurellement indignes, sont attentatoires à la sécurité des personnes privées de liberté en période de crise sanitaire
Le constat dressé par le CGLPL en matière de propreté des locaux est accablant : les cellules, souvent dégradées, sont dans un état de saleté innommable et dégagent des odeurs pestilentielles. Les prestations de ménage sont insuffisantes et aléatoires puisque les cellules sont nettoyées uniquement lorsqu’elles ne sont pas utilisées – ce qui relève de l’exception dans les services à forte activité judiciaire.
Aucun protocole particulier n’a été mis en place dans le cadre de la crise sanitaire : pas de nettoyage spécifique des zones de contact, pas de désinfection régulière, pas de ventilation, pas de période de latence entre deux utilisations d’une cellule.
Les toilettes sont régulièrement bouchées, elles dégagent la plupart du temps une odeur insoutenable et l’accumulation de crasse rend leur nettoyage impossible et leur utilisation totalement indigne.
Les matelas, souvent dégradés et en nombre insuffisant, ne sont quasiment jamais nettoyés et encore moins désinfectés. Dans l’immense majorité des cas, les couvertures sont en laine et ne sont pas changées entre deux utilisations. Du fait de l’absence de stocks, du désintérêt des policiers pour ces questions et du rythme insuffisant ou irrégulier du nettoyage, les couvertures sont successivement utilisées par plusieurs dizaines de personnes et traînent au sol durant plusieurs jours, voire plusieurs semaines.
Un masque de protection individuelle est remis aux personnes qui en sont dépourvues. Toutefois, contrairement aux préconisations gouvernementales qui imposent d’en changer toutes les 4 heures, ce masque n’est quasiment jamais renouvelé durant la mesure de privation de liberté (jusqu’à 48 heures, voire 96 heures) alors-même que, du fait de la promiscuité en cellule, les personnes concernées sont contraintes de le porter en permanence. L’accès au gel hydroalcoolique n’est possible que lors des auditions.
L’accès à l’eau potable est souvent très limité : lorsque les points d’eau sont à l’extérieur des cellules, il dépend de la disponibilité et de la bonne volonté des policiers. Lorsqu’un point d’eau est installé en cellule, aucun gobelet n’est mis à disposition.
L’hygiène corporelle élémentaire est inaccessible. Les douches, quand elles existent, ne sont jamais proposées et sont hors d’usage dans la plupart des commissariats. Les kits d’hygiène ne sont qu’exceptionnellement remis aux personnes retenues, au motif qu’elles n’en feraient pas la demande : on ne saurait s’en étonner, dès lors qu’elles ne sont généralement pas informées de leur existence.
Ces conditions sont régulièrement dénoncées par le CGLPL depuis de nombreuses années sans qu’aucune disposition ne soit réellement prise par le ministère de l’intérieur pour y remédier
Le caractère indigne des conditions d’accueil en garde à vue, notamment sur le ressort de la préfecture de police, est parfaitement connu du ministère de l’intérieur et régulièrement dénoncé dans les rapports du CGLPL depuis 2008.
Malgré les réponses du ministère et de la préfecture de police à ces différents rapports, aucune réelle amélioration n’a été apportée. Si les questions immobilières relèvent de réponses de moyen terme, l’absence totale de prise en compte des sujets portant sur l’hygiène (nettoyage des cellules, matelas, couvertures, distribution effective des kits d’hygiène, accès au gel hydroalcoolique, renouvellement des masques, etc.) démontre une absence manifeste de volonté d’évolution, que les seules considérations budgétaires ne sauraient justifier.
Inadmissibles en temps ordinaire, ces conditions de promiscuité et d’hygiène le sont plus encore en période de crise sanitaire. L’administration ne respecte pas les prescriptions gouvernementales que la police est pourtant chargée de contrôler.
Ces constats conduisent le CGLPL à formuler les recommandations suivantes :
- Les locaux de garde à vue et de retenue dans les commissariats doivent être dimensionnés en proportion de l’activité judiciaire. Le nombre de personnes hébergées ne doit jamais excéder le nombre de personnes pouvant être effectivement accueillies dans le respect de leur dignité et, tant qu’elles s’imposent, des mesures de distanciation sanitaire.
- Ces locaux de garde à vue doivent être maintenus dans un bon état d’entretien, de maintenance et d’hygiène. Ils doivent être propres à l’arrivée des personnes privées de liberté et tout au long de la mesure. A cette fin, les prestations de ménage doivent être adaptées pour permettre un entretien complet et au moins quotidien, y compris et a fortiori lorsque les cellules sont occupées.
- Les conditions de couchage doivent être respectueuses de la dignité des personnes. Chacune doit disposer d’une banquette aux dimensions adaptées, d’un matelas et, a minima, d’une couverture, propres et à usage individuel.
- Les personnes gardées à vue doivent être informées dès leur arrivée de la possibilité d’accéder à des installations sanitaires, à tout moment, sur simple demande. Elles doivent disposer en permanence de nécessaires d’hygiène pour hommes et pour femmes, qui leur sont remis systématiquement et sans aucune restriction.
- Toute mesure de santé publique imposée à la population générale, tels que les gestes-barrière et les règles de distanciation sociale, doivent être déclinés au sein des locaux de garde à vue : distanciation, mise à disposition de masques renouvelés toutes les quatre heures, accès permanent à du gel hydroalcoolique, désinfection régulière des locaux et des zones de contact, aération des locaux.
- Nul ne doit rester enfermé dans un local et dans des conditions non conformes aux présentes recommandations. Le cas échéant, les autorités judiciaires doivent ordonner le transfert en un autre lieu de la personne gardée à vue ou la levée de la mesure.
Le caractère récurrent des manquements relevés ainsi que l’absence d’amélioration de cette situation au cours des dix dernières années imposent que soit aujourd’hui mise en place une politique globale de réhabilitation des locaux de police et d’amélioration de l’hygiène.