Site du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté

Recommandations en urgence relatives au centre de détention de Bédenac (Charente-Maritime)

18 mai 2021

Au Journal Officiel du 18 mai 2021 et en application de la procédure d’urgence, la Contrôleure générale a publié des recommandations relatives au centre de détention de Bédenac (Charente-Maritime).

L’article 9 de la loi du 30 octobre 2007 permet au Contrôleur général des lieux de privation de liberté, lorsqu’il constate une violation grave des droits fondamentaux des personnes privées de liberté, de saisir sans délai les autorités compétentes de ses observations en leur demandant d’y répondre.

Le ministre de la justice, le ministre de la solidarité et de la santé ainsi que le ministre de l’intérieur ont été destinataires de ces recommandations. Le ministre de la justice et le ministre de la solidarité et de la santé ont apporté des observations communes, également publiées au Journal officiel.

Lire les recommandations du CGLPL accompagnées des observations des ministres de la justice et de la santé

 

La visite du centre de détention de Bédenac, réalisée du 29 mars au 2 avril 2021 par six contrôleurs, a donné lieu au constat d’atteintes graves aux droits fondamentaux des personnes incarcérées au sein de l’« unité de soutien et d’autonomie » (ou bâtiment G), initialement conçue pour accueillir des personnes détenues vieillissantes nécessitant d’être hébergées en cellule pour personnes à mobilité réduite.

En raison du transfert de patients en perte d’autonomie depuis toute la France au cours des deux dernières années, les prises en charge, pénitentiaire et sanitaire, ne sont adaptées ni aux besoins concrets de ces personnes détenues âgées et lourdement handicapées, ni à l’évolution de leur état de santé. Les constats les plus graves d’atteintes à la dignité, à la santé et à la sécurité ont conduit la Contrôleure générale à mettre en œuvre cette procédure d’urgence.

 

Des personnes âgées, lourdement handicapées et souffrant de pathologies graves, sont maintenues en détention au mépris de leur dignité et en violation de leur droit à l’accès aux soins

Les contrôleurs ont rencontré de nombreuses personnes détenues dans l’unité de soutien et d’autonomie (constituée de vingt cellules individuelles) et ont observé leurs conditions de détention.  Quinze personnes nécessitent et disposent d’un lit médicalisé. Huit personnes se déplacent en fauteuil roulant, trois se déplacent avec une canne ou un déambulateur et une personne aveugle ne peut se déplacer qu’avec une aide humaine. Quatre personnes souffrent d’obésité. Trois personnes souffrent de démence à différents stades et quatre autres ont des séquelles d’accidents vasculaires cérébraux. Trois personnes souffrent d’incontinence et ne bénéficient d’une tierce personne pour la toilette que deux à trois fois par semaine.

Malgré les alertes régulières des soignants depuis quatre ans, les autorités sanitaires n’ont pris aucune mesure d’adaptation de l’offre de soins.

Au regard des situations individuelles observées par les contrôleurs (six personnes bénéficient effectivement de l’ADMR deux fois par semaine pour le ménage et l’aide à la toilette mais auraient besoin d’une assistance quotidienne), les personnes n’ont pas accès à des aides-soignants en nombre suffisant pour assurer l’aide au ménage, à la toilette et la gestion de l’incontinence. De nombreux patients nécessitent de la kinésithérapie et de l’ergothérapie a minima trois fois par semaine pour l’entretien des fonctions motrices ; elles n’en bénéficient qu’une fois par semaine au mieux et parfois jamais.

Il doit être mis un terme sans délai aux conditions indignes de détention des personnes souffrant de pathologies et handicaps incompatibles avec les prises en charges proposées ; leur droit d’accès aux soins doit être respecté et l’assistance personnelle qu’elles nécessitent doit être immédiatement mise en place.

 

Les conditions d’hébergement portent atteintes à la sécurité des personnes détenues

Le bâtiment, certes récent et permettant l’accès des personnes à mobilité réduite aux espaces collectifs, a vu sa fonction transformée et n’est plus adapté au public accueilli, portant atteinte à la sécurité des personnes qui y sont détenues. Les cellules PMR ne sont pas adaptées au public accueilli qui nécessite des chambres répondant aux normes de sécurité exigées dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et les hôpitaux de long séjour. Le nombre de surveillants affectés aux escortes n’est pas adapté aux besoins d’extractions médicales forcément élevés pour ce public ; les surveillants ne sont pas présents en permanence en détention et aucun n’est formé sur ces types de prise en charge.

L’administration pénitentiaire doit garantir la sécurité des personnes détenues qui lui sont confiées, quels que soient leurs besoins particuliers ou leur état de santé. A cette fin, l’hébergement doit répondre aux normes de sécurité relatives aux structures hébergeant des personnes en perte d’autonomie. Les surveillants doivent être régulièrement présents dans les espaces collectifs et doivent être formés à la prise en charge de ce public.

Malgré l’impossibilité qui lui était signalée de prendre en charge ces situations, la direction de l’administration pénitentiaire a adressé à l’établissement des personnes de moins en moins autonomes, depuis la France entière. Au moment du contrôle, trois détenus nécessitant des cellules PMR étaient inscrits sur liste d’attente, en provenance du centre pénitentiaire de Mont de Marsan et du centre pénitentiaire de Nancy-Maxéville.

L’administration pénitentiaire doit d’urgence suspendre toute nouvelle incarcération au centre de détention de Bédenac de personnes dont l’état de santé n’est pas compatible avec les prises en charge proposées.

 

Les possibilités judiciaires d’adaptation de la peine aux situations individuelles ne sont pas suffisamment exploitées

En juin 2020, le médecin de l’unité sanitaire a établi huit certificats médicaux préconisant une suspension de peine. Sur les huit personnes concernées, une seule a bénéficié d’une suspension de peine (mars 2021), une autre est sortie en libération conditionnelle médicale, une troisième personne a vu sa demande de libération conditionnelle et suspension médicale rejetée par le tribunal d’application des peines alors qu’une place en EHPAD avait été trouvée ; les cinq autres demandes étaient en cours d’examen.

Contrairement à ce qui était prévu lors de l’inauguration du bâtiment en 2013, le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) n’a pas développé de partenariat lui permettant de proposer une prise en charge extra-carcérale des personnes âgées ou handicapées, que ce soit en termes d’hébergement ou de suivi en soins ambulatoires. Les magistrats sont confrontés à une pénurie de médecins experts surtout psychiatres et à des délais d’expertise trop longs. Les notions de « dangerosité » et de « risque de récidive », souvent mises en avant par les experts et régulièrement retenues par les juges comme motif prépondérant de rejet, ne sont pas toujours analysées au regard de l’état physique de la personne détenue.

Toutes les possibilités judiciaires d’adaptation de la peine aux situations individuelles doivent être mobilisées et les personnes détenues doivent, dans toute la mesure du possible, pouvoir assister physiquement aux audiences les concernant.

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L’ensemble de ces dysfonctionnements entraîne le maintien au sein de cette unité de personnes dont l’état de santé est, pour certaines, incompatible avec l’incarcération et dans des conditions attentatoires à la dignité.

Aucune mesure d’enfermement ne devrait être mise en œuvre dans des conditions qui ne permettent d’assurer le respect ni de la dignité ni des droits des personnes qu’elle concerne, quel que soit leur âge ou leur état de santé. Les ministères de la santé et de la justice doivent définir et mettre en œuvre une politique permettant de mettre fin à ces mesures lorsqu’elles concernent des personnes dont l’état physique ou psychique ne permet pas de garantir l’effectivité de ce principe. Dans l’intervalle, l’administration pénitentiaire et les services de santé doivent mettre en place l’ensemble des moyens leur permettant d’assurer le respect de l’intégrité physique des personnes concernées, leur accès aux soins et à l’hygiène la plus élémentaire.