Site du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté

Rapport de visite du centre hospitalier du Rouvray à Sotteville-lès-Rouen (Seine-Maritime)

Le CGLPL a réalisé une visite du centre hospitalier du Rouvray à Sotteville-lès-Rouen du 7 au 18 octobre 2019. Au regard des constats effectués sur place, la Contrôleure générale avait considéré établie une violation grave des droits fondamentaux des personnes hospitalisées et publié au Journal Officiel du 26 novembre 2019 des recommandations en urgence, sans attendre la finalisation du rapport de visite, conformément à l’article 9 de la loi du 30 octobre 2007.

Rapport de visite du centre hospitalier du Rouvray à Sotteville-lès-Rouen (Seine-Maritime)

Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, au ministère de la santé auquel un délai de huit semaines a été fixé pour produire ses observations. A la date de publication de ce rapport, aucune observation n’a été produite.

 

Synthèse

La Contrôleure générale des lieux de privation de liberté et douze contrôleurs ont effectué du 7 au 18 octobre 2019 la première visite des unités d’hospitalisation à temps complet du centre hospitalier du Rouvray (CHR) situé à Sotteville-lès-Rouen (Seine-Maritime).

A l’issue, des recommandations en urgence ont été publiées le 26 novembre 2019 au journal officiel de la République française, la Contrôleure générale estimant qu’un nombre important de dysfonctionnements et d’atteintes graves aux droits fondamentaux des personnes hospitalisées avaient cours dans cet établissement, au regard notamment de la liberté d’aller et venir, des conditions d’hébergement, des pratiques d’isolement, de l’information délivrée aux patients et de la prise en charge de certains enfants hospitalisés.

La ministre des solidarités et de la santé a communiqué des observations le 22 janvier 2020, faisant notamment état d’un comité de pilotage local chargé de proposer un plan d’amélioration prioritaire à l’agence régionale de santé (ARS) de Normandie à la suite de la prise de « conscience de la gravité des dysfonctionnements observés ».

Un rapport provisoire de la visite a été adressé à la direction de l’établissement le 16 juillet 2020, ainsi qu’aux autorités judiciaires et administratives de Seine-Maritime. Les remarques formulées en réponse par le directeur du centre hospitalier dès le 3 septembre suivant ont été intégrées au présent rapport définitif. Les autres autorités n’ont pas adressé d’observations.

La visite a confirmé l’existence d’un climat social local fortement dégradé depuis plusieurs années. Le paroxysme de la crise s’est situé en juin 2018 ; malgré la signature d’un protocole accordant trente postes de soignants supplémentaires, la crise a ressurgi en septembre 2019.

Situé sur la rive gauche de la Seine depuis le début du XIXème siècle, au sud de l’agglomération rouennaise, le grand parc abritant plus d’une trentaine de bâtiments pavillonnaires datant d’époques différentes est désormais ceint d’un tissu urbain dense. La population – dont la prise en charge par le CHR est organisée en dix secteurs de psychiatrie pour adultes (sur dix-sept en Seine-Maritime) et trois de psychiatrie infanto-juvénile (sur sept) – réside pour près des trois-quarts en ville, le quart restant résidant en zone rurale. Le CHR a de plus vocation à hospitaliser les enfants et les adolescents de la région, les seuls autres lits spécialisés se trouvant au Havre.

Vingt-huit unités d’hospitalisation à temps complet (dont une exclusivement pour des patients en soins libres[1] et une pour des malades difficiles à savoir l’UMD), correspondant à 551 lits, sont réparties dans trois pôles depuis 2018 : le pôle Rouen rive droite, le pôle Rouen Seine Caux Bray, le pôle pour enfants et adolescents.

Parmi les vingt-cinq unités contrôlées, l’unité Badinter de sept lits n’accueille que des patients détenus en soins sans consentement, l’unité régionale d’hospitalisation enfants et adolescents Arthur Rimbaud de dix lits n’accueille que des patients mineurs en soins libres ou sans consentement, l’unité Matisse accueille des personnes âgées en soins libres ou sans consentement ; les vingt-deux autres unités sont susceptibles d’accueillir à la fois des patients en soins sans consentement et des patients en soins libres, adultes ou mineurs. 80 % des unités visitées sont fermées totalement, 92 % le sont totalement ou partiellement, y compris lorsqu’une majorité de patients en soins libres y est prise en charge.

L’activité extra hospitalière augmente et la suroccupation des lits d’intra-hospitalier est une problématique récurrente. Le taux d’occupation des lits le 3 octobre 2019 était de 107,7% ; des patients dorment sur des lits de camp dans des bureaux des unités d’hospitalisation. Le délai d’attente pour un rendez-vous médical en centre médico-psychologique (CMP) est supérieur à trois mois. Pour autant, rien n’était fait pour remédier à la double pression s’exerçant sur l’intra et l’extra-hospitalier. L’établissement annonce avoir mis fin à la pratique des lits supplémentaires fin mars 2020 en développant des dispositifs de prise en charge ambulatoire ainsi qu’en activant des solutions d’hébergement d’aval en médico-social. Il s’est également saisi de la question du recrutement et de la fidélisation du personnel médical à la suite du constat de la vacance de postes.

Aucun des documents institutionnels accompagnant l’activité des services n’était à jour lors de la visite (projet médical, projet de soins, projet d’établissement, projet territorial de santé mentale, etc.). Ils sont dorénavant en cours d’élaboration.

La part des hospitalisations en soins sans consentement (SSC) tend à augmenter : jusqu’à 25 % des admissions en 2018. Par ailleurs, pour la même année, 40% des décisions du directeur d’établissement sont prises sur le fondement du péril imminent ; même si cette proportion passe à 34 % en 2019 elle reste préoccupante eu égard au contrôle médical moindre qui accompagne cette modalité d’admission.

Les directives et décisions du préfet contraignent durablement le soin des patients admis sur décision du représentant de l’État : les demandes de sorties temporaires et de mainlevées se heurtent à des refus que la communauté hospitalière ne cherche pas à faire évoluer.

La formation du personnel médical et non-médical ne fait pas l’objet d’un investissement et d’un suivi suffisants, particulièrement s’agissant du droit du soin sans consentement et des droits des patients admis sous ce mode de soins. Les pratiques sont aussi diverses que le nombre d’unités est important. L’information des patients en soins sans consentement s’en ressent, s’agissant de comprendre le cadre de leur hospitalisation, de connaître et exercer leurs droits y compris devant le juge des libertés et de la détention, de recevoir notification de documents. Le collège des professionnels ne reçoit pas le patient concerné lorsqu’il doit se prononcer sur la poursuite de l’hospitalisation en soins sans consentement.

Parallèlement, la procédure de désignation de la personne de confiance n’est pas menée à son terme : le patient reçoit peu d’explications, la personne choisie n’est pas informée de sa désignation et ne la valide pas formellement.

Les patients, enfermés dans la très grande majorité des unités, s’y ennuient. Certaines unités ont des horaires restrictifs d’accès à l’air libre, dans des jardins plus ou moins agréables et équipés ; quatre unités n’offrent aucun accès à l’extérieur. Les conditions dans lesquelles les patients sont amenés à fumer sont parfois déplorables. En lien avec la fermeture des unités, des situations matérielles ne sont pas prises en charge (accès à des vêtements propres, à l’achat de produits d’hygiène ou de tabac, règlement de factures, etc.), d’autant plus que les assistants de service social sont en nombre insuffisant, que la banque des patients a des horaires d’ouverture restreints et que les services spécialisés (buanderie, banque des patients, cafétéria) ne se déplacent pas dans les unités. Pour le même motif, la participation aux activités thérapeutiques n’atteint pas le niveau qui pourrait être la sienne dans un tel établissement.

Les conditions de vie dans certaines unités sont aussi dégradées par l’état des chambres et des sanitaires, sans même évoquer les lits supplémentaires qui constituent une dégradation supplémentaire de ces conditions. Au-delà de la vétusté de certaines unités, des pratiques professionnelles conduisent à enfermer des patients dans des chambres en leur laissant un seau pour faire leurs besoins ou à leur faire revêtir en permanence un pyjama de l’hôpital.

Des évènements graves ne sont pas rapportés par les professionnels dans les fiches d’évènements indésirables. L’analyse des évènements rapportés se solde généralement par l’adoption de mesures sécuritaires sans contextualisation et sans interrogation du sens des pratiques médicales et soignantes. Le comité d’éthique ne parvient pas à influencer ces réflexions.

Des professionnels refusent toute traçabilité informatique de leurs actes, particulièrement celles destinées à alimenter le registre d’isolement et de contention : le dossier du patient n’est pas informatisé, les décisions d’isolement ne sont sauf exceptions ni prises ni levées précisément dans le logiciel, la traçabilité de la surveillance infirmière des patients isolés est aléatoire. Dans ces conditions, le registre d’isolement et de contention et le rapport annuel qui doit s’en suivre ne sont pas fiables. Aucune analyse objectivée des pratiques n’est à l’œuvre à l’échelle de l’établissement, y compris en matière d’isolement et de contention, y compris s’agissant de la mise à nu de patients présentant un risque suicidaire.

Les moyens dévolus à la médecine somatique sont apparus mal intégrés à l’offre de soins au CHR.

La prise en charge des patients détenus dans l’unité Badinter est insuffisamment individualisée, pendant le transport et lors de la phase d’accueil qui induit systématiquement une période d’isolement.

L’établissement ne dispose plus des moyens en propre de financer ses réformes mais le financement de projets par le ministère de la santé et l’ARS s’engage : création de dix lits d’hospitalisation à temps plein pour des adolescents à la suite du constat alarmant de l’hospitalisation de grands enfants dans des unités pour adultes ; mise en conformité en urgence des chambres d’isolement à la suite du constat grave de dispositifs d’hygiène et de secours manquants dans lesdites chambres.

En parallèle de ces constats qui ont fait l’objet des recommandations en urgence, les contrôleurs relèvent l’implication de la commission départementale des soins psychiatriques, l’animation de la cafétéria, la possibilité de circuler librement dans les unités et celle de conserver ses moyens personnels de communication. Deux filières de soins se démarquent de l’ensemble : l’accueil des malades psychiatriques en urgence, organisé à la fois aux urgences et dans des unités d’hospitalisation au centre hospitalier universitaire (CHU) de Rouen (Seine-Maritime) ainsi qu’à l’UNACOR (unité d’accueil et d’orientation) au CHR ; l’accueil des personnes âgées, spécialisé, dans un service offrant notamment une unité d’hospitalisation à temps complet.

La visite, la publication de recommandations en urgence et le rapport qui s’en suivent ont permis de dresser des constats communs dans un établissement où le fonctionnement est profondément divisé. Les observations de la ministre des solidarités et de la santé et de la direction de l’établissement permettent d’en attester et augurent d’évolutions positives sous réserve que l’ensemble des acteurs s’en saisissent.

[1] Unité Jean-Pierre Pot de soins en addictologie au CHR.