Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, au ministère de la santé auquel un délai de quatre semaines a été fixé pour produire ses observations. A la date de publication de ce rapport, aucune observation n’a été produite.
Synthèse
Quatre contrôleurs ont effectué une visite des services de psychiatrie de l’union sanitaire et sociale Aude-Pyrénées (département de l’Aude) du 23 au 27 novembre 2020. Cette visite prévue et annoncée pour le début du mois de novembre a été retardée en raison de la situation sanitaire du département.
Le rapport provisoire établi après cette visite a été adressé le 30 mars 2021 à la directrice générale de l’union sanitaire et sociale Aude-Pyrénées (USSAP), à la présidente du tribunal judiciaire de Carcassonne et au procureur de la République près ce tribunal, au directeur de l’agence régionale de santé d’Occitanie et au préfet de l’Aude. Seule la directrice générale a présenté par courrier du 24 avril 2021 des observations. Celles-ci, ainsi que les éléments des documents fournis à leur appui, ont été prises en compte dans le présent rapport de visite.
L’USSAP réunit quatre associations œuvrant dans les deux départements de l’Aude et des Pyrénées-Orientales, trois d’entre elles sont orientées vers le médico-social (MAS, FAM, USLD, SSR, etc.), la dernière, l’Association Audoise Sociale et Médicale (ASM), vers les soins psychiatriques.
L’ASM est en charge des patients de quatre des cinq secteurs psychiatriques de l’Aude, le cinquième secteur (11G05), qui occupe la façade méditerranéenne du département, étant rattaché au service de psychiatrie de l’hôpital de Narbonne.
L’ASM a fait le choix de répartir ses structures, sectorielles comme intersectorielles, sur l’ensemble du département : chaque secteur offre une unité ouverte d’admission de vingt-cinq lits destinée aux patients en soins libres – situées à Narbonne et Carcassonne –, un ou deux hôpitaux de jour (HJ) et un à trois centre médicopsychologiques (CMP) selon les secteurs ainsi qu’un centre d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP). S’ajoutent à ces unités sectorielles une unité intersectorielle fermée de cinquante lits qui accueille à Limoux les patients en soins sans consentement de l’ensemble des quatre secteurs, voire certains patients en soins sur décision du préfet du secteur 11G05, et deux unités intersectorielles de vingt-cinq lits chacune qui reçoivent des patients aux pathologies particulières : l’une à Lézignan est destinée aux patients souffrant de troubles graves des fonctions de relation et de communication, l’autre, à Limoux, prend en charge des patients présentant une pathologie psychiatrique chronique, sévère et invalidante. Par ailleurs, l’intersecteur de pédopsychiatrie comporte une unité d’hospitalisation de dix lits, située à Carcassonne, ainsi que trois CMP et trois HJ.
La capacité d’hospitalisation plein temps plein en psychiatrie est de 200 lits pour adultes et dix lits de pédopsychiatrie.
- Le souci de respect des droits des patients imprègne les procédures et les comportements du personnel, à tous les niveaux rencontrés, soignants comme administratifs
Les patients sont correctement informés de leur statut d’admission et de ses conséquences juridiques, les décision, notification des droits et certificats médicaux leurs sont communiqués.
Les lois de 2011-2013 sont consciencieusement appliquées : aux services d’urgence – dont l’ASM assure tout (Carcassonne) ou partie (Narbonne) de la présence psychiatrique, le souci d’éviter l’hospitalisation est prégnant, avec si nécessaire la prolongation du séjour à l’unité d’hospitalisation de courte durée (UHCD) le temps de gérer la crise ou d’obtenir le consentement aux soins. La recherche de tiers est active pour éviter les admissions sur le fondement du péril imminent. Le collège des professionnels se réunit effectivement, reçoit et entend les patients avant de statuer sur leur situation.
Le patient est également pris en considération dans sa personne et sa citoyenneté : la confidentialité sur la présence est respectée, la personne de confiance est désignée et prévenue de sa désignation ce qui est rare, la protection juridique est organisée avec cette bonne pratique que le coût de l’expertise psychiatrique pour le placement sous protection juridique est pris en charge par le conseil départemental, l’accès au vote, à l’exercice d’un culte sont assurés.
- Cependant, la conjonction des choix organisationnels, de l’architecture des lieux d’hébergement et de la situation des ressources humaines fait perdre l’effet bénéfique pour les patients de la qualité des procédures et de l’investissement des acteurs à tous les niveaux.
Sur les choix organisationnels, on citera en premier lieu les effets négatifs de concentrer sur une seule unité – subdivisée en trois ailes – les patients en soins sans consentement de tout le département.
L’éloignement du secteur du domicile complique les visites des familles, allonge le trajet du patient depuis les urgences (souvent attaché et sédaté), rend difficile voire impossible la venue des interlocuteurs de l’extra hospitalier.
Les tâches administratives des procédures de tous les patients en SSC du département pèsent sur les équipes d’une seule unité.
Le mode de fonctionnement, ou une interprétation erronée de la loi, associe à tort soins sans consentement et enfermement et conduit à fermer chaque aile de l’unité, portant gravement atteinte à la liberté d’aller et venir des patients. S’y ajoutent des règles de vie qui prévoient des contraintes généralisées, sans individualisation au regard l’état clinique du patient : accès au téléphone et tabac retreints et réglementés, pas d’Internet, pas d’accès libre aux affaires personnelles dans la journée (placards fermés à clef par les soignants ou chambre inaccessible).
L’état et l’architecture des locaux rend l’enfermement des patients particulièrement pénible :
Si les locaux sont respectueux du confort individuel en offrant des chambres agréables, correctement entretenues et dotées de sanitaires personnels, les espaces collectifs sont réduits, pour chaque aile, à deux pièces contiguës : une « petite » salle de télévision-baby-foot mais où ni l’une ni l’autre ne servent et une « plus grande » salle de vie-réfectoire-activités et de télévision, bruyante. Il s’ensuit une promiscuité constante, avec une impossibilité, pour un patient, de trouver un endroit apaisant ou calme.
Et le problème des ressources humaines avive la déshérence :
Les médecins psychiatres manquent comme partout en France mais ceux de l’ASM ont déserté l’unité de soins sans consentement pour rester dans les unités d’admission de patients en soins libres. Aussi, le droit à des soins de qualité est mis en péril en raison de la faiblesse de l’effectif médical et ce tant du point de vue de sa présence que de sa composition puisqu’il est souvent recouru à des praticiens en contrats courts qui ne peuvent assurer un suivi des patients. Jusque 15 jours avant la visite, l’unité de soins sans consentement ne fonctionnait depuis des mois qu’avec des médecins intérimaires.
L’effectif des équipes de soignants est également fort bas avec deux infirmiers, et parfois un aide-soignant, pour douze ou dix-neuf patients par roulement. Les soignants sont très occupés par les procédures de soins sans consentement, les arrivées ou les transferts depuis l’aile d’admission, la distribution des traitements, la gestion des contraintes (tabac, téléphone, accompagnements hors de l’unité). L’infirmier est souvent perçu comme le gendarme plutôt que le soignant quelle que soit sa bienveillance.
Pourtant, des programmes de soins individualisés sont élaborés, les staffs sont tenus, de même que les synthèses. Les activités thérapeutiques sont assurées par une « sociothérapie » qui accueille tous les patients sauf contre-indication médicale.
Les autres aspects de la prise en charge médicale sont très correctement assurés : accès au généraliste, dentiste, spécialités accessibles pour l’essentiel à proximité. La prise en charge médicamenteuse est correcte avec le souci d’obtenir le consentement du patient au traitement, en prenant le temps qu’il faut. La vigilance pharmaceutique est réelle et efficace.
- L’isolement et la contention sont également concentrés sur l’unité de soins sans consentement.
Toutes les autres unités disposent de chambres d’isolement mais dès que la durée d’isolement dépasse 12 heures, le statut d’admission du patient est changé et il est transporté vers l’unité de soins sans consentement de Limoux, attaché s’il est agité.
Les mesures d’isolement sont réalisées dans des conditions matérielles portant atteinte au droit à l’intimité et à la dignité, notamment par le recours à une vidéosurveillance, et dans une proportion que nul n’est capable de quantifier de façon fiable, de sorte que toute réflexion collective sur les pratiques d’isolement est impossible faute d’outil d’observation.
Il convient de relever que l’établissement s’est montré très réactif aux recommandations du rapport provisoire qui lui a été communiqué, mettant en œuvre immédiatement des mesures correctives et organisant un plan d’action autour de trois axes : resectoriser les patients en soins sans consentement, redéfinir un projet architectural adapté à ces patients et revoir le projet de service et les règles de vie. Il demeure que cette dynamique se heurtera aux limites de la faisabilité matérielle des solutions dans le contexte financier très serré qui est le sien.