Rapport de la troisième visite du centre pénitentiaire de Villefranche-sur-Saône (Rhône)
Observations du ministère de la justice – centre pénitentiaire de Villefranche-sur-Saône (3e visite)
Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, aux ministères de la justice et de la santé auxquels un délai de quatre semaines a été fixé pour produire leurs observations.
Suivi des recommandations à 3 ans – Centre pénitentiaire de Villefranche-sur-Saône (3e visite)
Synthèse
Une équipe de neuf contrôleurs a effectué un contrôle inopiné du centre pénitentiaire (CP) de Villefranche-sur-Saône (Rhône) du 30 novembre au 7 décembre 2020. Cette mission constituait une troisième visite faisant suite à des contrôles réalisés du 23 au 25 septembre 2008, et du 12 au 16 novembre 2012.
Au regard de la gravité des constats relatifs au climat de violence de l’établissement déjà relevé lors des deux premières visites, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté a adressé une lettre au ministre de la justice pour solliciter une inspection, à laquelle il a été répondu favorablement. Par ailleurs, la Contrôleure générale a également adressé au procureur de la République près le tribunal judiciaire (TJ) de Villefranche-sur-Saône un signalement, sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale, relatif à la situation d’une personne détenue.
En vue du recueil de leurs observations, un rapport provisoire a été adressé, le 14 avril 2021, au directeur du CP de Villefranche-sur-Saône, à la présidente et au procureur de la République du TJ de Villefranche-sur-Saône, au premier président et à la procureure générale de la cour d’appel (CA) de Lyon, au directeur du centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône, au directeur général du centre hospitalier de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or et au sous-préfet de Villefranche-sur-Saône. Le directeur général du centre hospitalier de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or et le président de la commission médicale d’établissement (CME), le premier président et la procureure générale de la CA de Lyon, le directeur du CP de Villefranche-sur-Saône ont fait parvenir leurs observations en date, respectivement, des 18 mai, 20 mai et 18 juin 2021, qui sont intégrées dans le présent rapport. Par ailleurs, le procureur de la République du TJ de Villefranche-sur-Saône a adressé un courrier le 14 mai 2021 précisant ne pas formuler d’observations. Dans un courrier reçu le 26 mai 2021, le sous-préfet de Villefranche-sur-Saône fait état des relations partenariales de qualité avec la direction du CP de Villefranche-sur-Saône.
- Présentation de l’établissement
L’établissement est situé dans le ressort de la direction interrégionale des services pénitentiaires de Lyon (DISP), du tribunal judiciaire (TJ) de Villefranche-sur-Saône et de la cour d’appel (CA) de Lyon.
Situé en périphérie de la ville, il a été construit dans le cadre du « Programme 13 000 » et est entré en service le 29 novembre 1990. Il fonctionne en gestion déléguée, avec le même prestataire – la société Sodexo Justice Services – depuis le 1er janvier 2010. L’économie générale de la structure n’a pas évolué depuis les deux précédentes visites.
Elle est composée d’un quartier maison d’arrêt des hommes (QMAH) dont la capacité opérationnelle est de 599 places dont 19 au quartier des arrivants (QA), et d’un quartier de semi-liberté (QSL) de 39 places soit au total 638 places et 564 cellules ; 250 lits supplémentaires ont été ajoutés.
Lors de la visite, 510 personnes écrouées étaient hébergées, sous-occupation en lien avec la crise sanitaire dans la mesure où l’établissement connaît habituellement un phénomène de surpopulation permanente. En effet, l’effectif moyen mensuel, entre les années 2015 et 2019, est de 710 personnes détenues écrouées hébergées, illustrant ainsi la surpopulation permanente au QMAH. Tandis que le QSL connaît une sous-occupation constante depuis son ouverture (dix personnes hébergées en moyenne).
Le CP accueille, depuis sa création, les personnes détenues transférées en désencombrement d’autres établissements de l’interrégion pénitentiaire de Lyon[1] et depuis le 1er décembre 2011, il reçoit deux fois par semaine (mardi et jeudi) les « écrous liberté »[2] lyonnais. Ce processus entraîne une permanence de la surpopulation pénale sans qu’il n’y ait de réflexion interinstitutionnelle locale efficiente sur ce point, sous la responsabilité de l’autorité judicaire pourvoyeuse des écrous. Ainsi, la semaine précédant la visite, l’arrivée de quatorze personnes la même nuit a conduit à l’utilisation ponctuelle de matelas ce qui paraît paradoxal au regard des restrictions introduites dans la vie en détention du fait de la crise sanitaire.
Par ailleurs, l’effectif du personnel est à flux tendu et pâtit de l’insuffisance d’encadrement intermédiaire.[3] La planification du service des agents se heurte de manière continue à un cumul de difficultés entraînant des postes découverts au quotidien et donc un service dégradé (20 % des effectifs en moins quotidiennement). De plus, une grande partie du personnel de surveillance présente une faible expérience. A cela s’ajoute un important turn-over du personnel, comme lors de la précédente visite. Néanmoins, depuis l’année 2020 une stabilisation des effectifs serait constatée dans la mesure où l’établissement bénéficie de la prime de fidélisation accordée aux agents qui restent cinq années au moins au sein d’un établissement.
- Les principaux constats
Les principaux constats réalisés s’articulent, comme lors des précédentes visites, autour de l’organisation de la vie en détention et de l’ordre intérieur. Par ailleurs, la qualité de la prise en charge des personnes détenues par les services partenaires est un point fort, leur action étant facilitée par le réseau partenarial tissé par l’établissement.
- Les conditions de vie en détention
- Le quartier des arrivants (QA)
Depuis la dernière visite, des améliorations notables sont constatées s’agissant de la prise en charge des personnes détenues au quartier des arrivants. Des informations complètes leur sont délivrées sur l’organisation de la vie au quotidien et sur leurs droits. Les affectations en détention ne sont plus opaques comme décidées en CPU. Néanmoins, depuis le début de la crise sanitaire, la mise à l’écart d’une durée excessive de quatorze jours imposée à tout nouvel entrant (arrivant ou retour de permission de sortir), allonge et morcelle le processus arrivant ce qui le vide de sens.
- Le quartier maison d’arrêt des hommes (QMAH)
Depuis la dernière visite, des améliorations sont constatées, notamment : la zone d’hébergement est dans un bon état d’hygiène, des cabines téléphoniques ont été installées en cellule y compris au quartier d’isolement, le fonctionnement de la cantine et de la restauration est globalement satisfaisant, les conditions de visite des familles sont fluides, un régime « module respect » a été mis en place, l’établissement a développé des instances de concertation avec les partenaires dans l’intérêt de la prise en charge des personnes détenues.
Cependant, l’état dégradé et le sous-équipement des cours de promenade, l’état de vétusté des douches collectives, la saleté des pieds de bâtiment, à nouveau constatés, affectent les conditions de vie des personnes détenues.
Par ailleurs, l’organisation du quotidien de la personne détenue ne favorise pas son insertion, nourrit les tensions, et paraît insatisfaisante pour le personnel pénitentiaire dans l’exercice de ses missions.
En effet, elle est déterminée par des tours de promenade aléatoires qui, pour des raisons de sécurité, sont annoncées aux détenus le matin pour l’après-midi ce qui tend les relations avec le personnel pénitentiaire. Contrairement à d’autres établissements, aucune souplesse n’est introduite pour compenser la rigidité de ce fonctionnement qui ne permet pas de construire de manière cohérente l’emploi du temps de la personne détenue dans l’intérêt de sa réinsertion. Ainsi, des choix doivent-ils être opérés entre d’une part la promenade et d’autre part, le parloir, la consultation médicale, l’entretien avec le SPIP, les activités, la douche, etc. Un phénomène massif de non-présentation de la personne détenue aux consultations médicales est constaté, les distributions de médicaments sont interrompues lors des mouvements pour les promenades, des défections aux entretiens avec les CPIP, aux activités, à la scolarité, des retards ou absences aux ateliers et à la formation professionnelle, aux parloirs sont déplorés, sans qu’il n’y ait de transparence sur la raison de la non-présentation de la personne détenue.
De plus, cette organisation participe d’une usure du personnel de surveillance et n’a pas l’effet escompté puisque les projections restent nombreuses. D’autres solutions pourraient pourtant être trouvées ; notamment le renforcement de la sécurisation des abords du CP, l’extension du dispositif de filets antiprojections.
- Le quartier de semi-liberté (QSL)
Comme constaté lors des précédentes visites, le quartier de semi-liberté reste sous-utilisé du fait de son manque d’attractivité, malgré les efforts de dynamisation engagés par la direction du CP et le SPIP, qui sont encore en cours. Outre le fait que les détenus sont à titre principal originaires de l’agglomération lyonnaise, le régime « portes fermées » n’est pas adapté et aucune activité n’est proposée. En revanche, la possibilité offerte au semi-libre de conserver son téléphone portable en cellule doit être saluée.
- Le quartier disciplinaire (QD) et le quartier d’isolement (QI)
Les cellules du QD méritent une réfection outre que l’absence de toute perspective visuelle depuis certaines des cellules disciplinaires et depuis les cellules du quartier d’isolement est de nature à entraîner des conséquences néfastes pour les personnes qui y sont enfermées.
Par ailleurs, des équipements élémentaires doivent être installés dans les cours de promenade utilisées pour les personnes détenues punies et isolées.
Enfin, l’organisation de la détention des personnes détenues isolées, qui ne font l’objet d’aucune sanction disciplinaire, ne doit pas être calqué sur celle applicable aux personnes punies. Les possibilités d’accès à la lecture et à des activités sportives, culturelles ou de loisir doivent être effectives.
- L’ordre intérieur
- La gestion de la discipline.
Comme lors de la précédente visite, la gestion de la discipline ne permet pas de donner du sens à la sanction disciplinaire et paraît contre-productive.
En effet, la procédure disciplinaire manque de lisibilité et n’est pas suffisamment respectueuse des droits des comparants. Ainsi, hors mises en prévention, un délai conséquent de plusieurs mois – pouvant aller jusqu’à six mois – sépare la date des faits de la date du passage devant la commission de discipline (CDD). De plus, l’exécution des sanctions est très souvent différée[4].
Cette politique de poursuites disciplinaire massive conduit donc à des incohérences, à une perte du sens du passage en CDD et du sens de la sanction. Il entraîne des tensions et il ne contribue pas à réduire le nombre d’incidents. A cela s’ajoute le caractère incomplet et souvent superficiel des comptes-rendus d’incident.
- L’utilisation des moyens de contrainte et l’usage de la force
Les personnes dont le niveau d’escorte est le plus faible ne doivent pas être systématiquement extraites menottées. De plus, afin de respecter le secret médical, le personnel composant l’escorte ne doit pas être présent durant les consultations et les soins.
Par ailleurs, à l’intérieur de l’établissement, les notes de gestion individuelle doivent être motivées au regard d’éléments précis relatifs à l’individu concerné, avoir une durée d’application limitée et être notifiées.
- Les fouilles
Le nombre de fouilles intégrales paraît avoir drastiquement diminué, néanmoins elles restent fréquentes et les conditions de leur réalisation peuvent être attentatoires à la dignité des personnes qui y sont soumises.
En effet, lors de fouilles intégrales, la force peut être utilisée rapidement, sans user des techniques de désescalade. Par ailleurs, des méthodes humiliantes et indignes peuvent être utilisées. Or, le recours à la fouille à nu, par nature attentatoire à la dignité, doit être individualisé et sa mise en œuvre, non seulement fondée en droit et en fait mais encore assurée dans des conditions respectueuses de la personne.
- Le climat de violence
Le CGLPL avait souligné, à l’issue de sa première visite en 2008, la fréquence des violences entre personnes privées de liberté. Après celle de 2012, la récurrence des incidents opposant les personnes détenues au personnel pénitentiaire était apparue alarmante, bien que la tendance soit alors récente. Huit ans plus tard, les données et informations transmises aux contrôleurs révèlent que ce phénomène est devenu structurel.
Comme en 2012, de nombreux incidents sont constatés s’agissant de la violence exercée par certaines personnes détenues à l’égard du personnel pénitentiaire. Le circuit des plaintes et leur prise en compte par le parquet semble toujours fluide ce qui est positif.
En ce qui concerne les violences entre personnes détenues, contrairement à la visite précédente, les cours de promenade ne peuvent plus être considérées comme des zones de non-droit. En effet, leur aménagement facilite davantage l’intervention du personnel de surveillance mais dont l’effectivité peut tarder, en l’absence de surveillance humaine directe. De plus, le parc de vidéosurveillance, globalement vétuste et obsolète, dans les cours de promenade, doit être entièrement rénové et étendu aux couloirs de l’hébergement, afin de protéger les personnes (professionnels comme détenus) et afin d’être utilement versées dans les procédures disciplinaires ou pénales. L’enregistrement de l’interphonie de nuit récemment mis en place, permet par ailleurs de prévenir certains types de violences.
Il ressort d’éléments d’informations concordantes et de diverses origines, la persistance de l’exercice d’actes de violences par certains membres du personnel pénitentiaire sur des personnes privées de liberté. Si ces comportements ne reflètent pas la réalité du positionnement éthique de la grande majorité du personnel, il ne s’agit néanmoins pas d’un épiphénomène dont la perpétuation depuis huit années est plus que préoccupante. Ces violences, d’ordre psychologique et physique, doivent être prises en compte dans la réflexion institutionnelle mise en place pour les deux autres types de violence.[5] Au regard des réponses de l’établissement sur ce point, il paraît essentiel qu’elles ne soient pas banalisées.
- La prise en charge des personnes détenues par les services partenaires
L’établissement s’inscrit dans un partenariat de qualité avec les partenaires présents en détention ce qui facilite leur action.
L’antenne milieu fermé du service pénitentiaire d’insertion et de probation est dynamique et la bonne coordination avec la direction de l’établissement facilite l’exercice de sa mission. La présence du CPIP qui suit la situation de la personne détenue à la commission d’application des peines est à saluer, de même que la bonne coordination avec le service de l’application des peines qui permet la préparation de dossiers solides d’aménagements de peine dans l’intérêt des personnes détenues.
L’offre de travail paraît satisfaisante et la formation professionnelle est diversifiée. Néanmoins, le mode de calcul des rémunérations pour le travail aux ateliers ne respecte pas la règlementation sur le salaire horaire minimum prévu par le code de procédure pénale. Cette difficulté est par ailleurs repérée dans d’autres établissements pénitentiaires. Les droits du travailleur détenu ne sont pas respectés sur ce point.
Le dispositif d’enseignement est performant, les modalités de la scolarité proposées répondant aux besoins des personnes détenues et à leurs différents niveaux.
Les équipes somatique et psychiatrique de l’USN1 sont impliquées et soucieuses de garantir l’accès aux soins des personnes détenues et leur permanence. Pour les soins dentaires, le délai est réduit à quinze jours et le cabinet dentaire est très bien équipé alors qu’il s’agit souvent d’une question sensible en détention.
La récente nouvelle organisation du pôle psychiatrique, sur le modèle des CMP-CATTP, suscite des questionnements et une vigilance sur ses effets à moyen terme même si elle ne semble pas obérer la permanence des soins psychiatriques.
Par ailleurs, il est regretté que la distribution des médicaments ne soit pas toujours effectuée dans le respect du secret médical et ne soit pas tracée. Enfin, la prise en charge en addictologie est insatisfaisante faute de médecin addictologue.
En conclusion, si les précédentes observations formulées par le CGLPL en 2008 et en 2012 n’ont pas servi de trame pour faire évoluer le fonctionnement de l’établissement dans le sens d’une meilleure prise en compte des droits fondamentaux des personnes détenues, il n’en demeure pas moins que des évolutions positives sont relevées. Une réflexion sur l’organisation de la vie en détention associant les différents acteurs est encouragée avec pour ambition de rendre le fonctionnement du CP plus respectueux de la personne détenue, de garantir l’objectif d’insertion et de permettre au personnel pénitentiaire d’assurer ses missions dans de meilleures conditions.
Par ailleurs, huit ans après la dernière visite, les constats sur le climat de violence sont globalement identiques ; les évolutions positives relevées restent insuffisantes. Il est indispensable et urgent de traiter la question de manière institutionnelle et sans banalisation.
[1] La part des personnes détenues issues de transferts d’autres établissements représente en moyenne 40 % de la population pénale, de manière constante entre les années 2015 et 2019.
[2] Soit les personnes condamnées à une peine d’emprisonnement alors qu’elles n’étaient pas déjà incarcérées.
[3] Le personnel de surveillance est composé de 133 agents opérationnels sur un effectif cible de 147 selon l’organigramme de référence transmis. Selon les informations recueillies, l’organigramme de référence est passé de 138 à 147 en raison de la création de l’équipe locale de sécurité pénitentiaire (ELSP) depuis le 1er janvier 2020.
[4] Quinze personnes au moment du contrôle se trouvaient en attente d’exécution d’une sanction.
[5] Comité de pilotage du 10 décembre 2020.