Site du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté

Rapport de la troisième visite du centre pénitentiaire d’Alençon-Condé-sur-Sarthe (Orne)

Rapport de la troisième visite du centre pénitentiaire d’Alençon-Condé-sur-Sarthe (Orne)

Observations du ministère de la justice – Centre pénitentiaire d’Alençon Condé-sur-Sarthe (3e visite)

Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, aux ministères de la justice et de la santé auxquels un délai de huit semaines a été fixé pour produire leurs observations. 

Suivi des recommandations à 3 ans – Centre pénitentiaire d’Alençon-Condé-sur-Sarthe (3e visite)

 

Synthèse

Sept contrôleurs du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) ont effectué du 3 au 7 février 2020 un troisième contrôle annoncé du centre pénitentiaire d’Alençon-Condé-sur-Sarthe (CPACSS, Orne). La première visite s’était déroulée du 18 au 22 novembre 2013 et la deuxième du 8 au 12 janvier 2018 en présence de la Contrôleure générale.

Un rapport provisoire a été adressé le 27 octobre 2020 au chef de l’établissement pénitentiaire, aux directions du centre hospitalier intercommunal d’Alençon-Mamers (CHIC) et du centre psychothérapique de l’Orne (CPO), au tribunal judiciaire d’Alençon. Le chef de l’établissement pénitentiaire a transmis le 9 février 2021 des observations relatives à des erreurs matérielles ; le directeur du CPO a communiqué le 27 novembre 2020 ses propres observations. Ces remarques ont été intégrées au présent rapport définitif.

L’établissement, implanté sur un terrain situé en zone rurale à huit kilomètres du centre-ville d’Alençon, rattaché à la direction interrégionale des services pénitentiaires (DISP) de Rennes (Ille-et-Vilaine), a été mis en service progressivement à partir de novembre 2012 en gestion déléguée. Il comporte à la date de la visite deux quartiers de maison centrale (QMC) et depuis septembre 2018 un quartier de prise en charge de la radicalisation (QPR) de soixante places d’hébergement individuel chacun, réunis dans la même enceinte, ainsi qu’un quartier pour peines aménagées (QPA) de vingt-cinq places et un quartier de semi-liberté (QSL) de vingt places construits à l’entrée du site.

La capacité des bâtiments accueillant les QMC et le QPR a été réduite par rapport à l’état d’origine, faisant perdre vingt-quatre places de détention, ce qui ne pose pas de difficulté s’agissant d’un établissement manifestement sous-occupé dans ses différentes composantes : le 5 février 2020, les taux d’occupation étaient de 61 % dans les deux QMC, 35 % au QPR, 8 % au QPA et 20 % au QSL. Le faible taux d’occupation facilite la maintenance bâtimentaire : les locaux sont apparus bien entretenus et l’équipement des cellules fonctionnel.

L’établissement connaît peu d’incidents mais ils peuvent être très graves et revêtent, le cas échéant, un retentissement national comme ce fut le cas en mars 2019 lorsqu’un détenu et sa compagne ont attaqué deux surveillants à l’arme blanche dans une unité de vie familiale au nom de leur radicalisation religieuse. Le mouvement social qui a suivi et a entraîné l’enfermement total des personnes détenues pendant vingt et un jours, a pris fin avec la signature par le directeur de l’administration pénitentiaire et les organisations syndicales d’un accord listant quarante mesures de sécurité, mal vécues par la population pénale en renforçant notamment l’architecture sécuritaire initiale décrite dans les deux précédents rapports : installation de caillebotis sur les fenêtres des cellules et d’auvents sur les façades destinés à empêcher l’usage des « yoyos », bétonisation des cours de promenade, transformation dans chaque aile de la salle de convivialité en bureau d’entretien ou en salle de sport et de deux cellules en bureau d’entretien ou en local de fouille, création d’un sas entre les ateliers et les bureaux des surveillants de ces derniers. Certains de ces travaux étaient en cours lors de la visite.

Le personnel de surveillance est nombreux, augmenté de vingt-sept surveillants en raison de la mise en service du QPR et d’une équipe locale de sécurité pénitentiaire (ELSP). En février 2020, seuls deux postes de surveillant étaient vacants, mais également cinq de surveillant moniteur de sport, deux d’officier, deux d’agent administratif. Le personnel se démarque surtout par son manque d’expérience professionnelle (pour la moitié des surveillants, l’affectation au CPACSS est un premier emploi) et par l’expression des signes d’un ou plusieurs traumatismes non traités qu’il ne parvient pas à dépasser. Par ailleurs, des relations conflictuelles entre les services de l’établissement ont une incidence immédiate sur la prise en charge de la population pénale.

Les mesures de sécurité contraignantes et généralisées dans les trois quartiers de détention principaux, conçues sur le modèle de la prise en charge du public terroriste, entravent l’accompagnement de l’ensemble des détenus, non seulement dans la vie quotidienne au sein des bâtiments mais aussi dans l’accès aux activités (sport, travail, formation, enseignement, soins, culture, culte, bibliothèque), qui sont de surcroît limitées. Les mesures destinées à contrôler les personnes (fouilles par palpation, par détecteur manuel de masses métalliques, par portique à ondes millimétriques, à nu ; vidéosurveillance ; accompagnement des mouvements ; surveillance des entretiens ; moyens de contrainte, etc.) se succèdent et l’observation des détenus porte sur tous les actes de leur vie quotidienne. Seules les conditions matérielles d’hébergement (restauration, hygiène, cantines, téléphone) se révèlent favorables aux détenus accueillis.

Plus encore, ces mesures de contrôle s’appliquent aussi systématiquement aux familles qui se rendent aux parloirs : fouille par palpation à l’issue de leur passage à travers le portique de détection des masses métalliques, changement de la couche des enfants en bas âge, retrait du voile dans des conditions qui ne préservent pas l’intimité. Des fouilles à nu sont également pratiquées par des fonctionnaires de police agissant à l’occasion sur réquisition du procureur de la République en application de l’article 78-2-2 du code de procédure pénale.

Le fonctionnement du bâtiment QPA-QSL ne se révèle pas davantage propice à la réinsertion.

A ces constats relatifs à la multiplication de précautions sécuritaires s’ajoutent :

  • l’impossibilité d’hospitaliser dans le délai utile des personnes en souffrance psychique, même si le centre hospitalier psychiatrique de rattachement indique dans sa réponse au rapport provisoire que le délai a été raccourci par un meilleur concours de l’unité hospitalière spécialement aménagée ;
  • une politique d’application des peines devenue peu lisible des personnes détenues et des professionnels lors de la visite, doublée de divergences entre les directeurs pénitentiaires chargés de rédiger l’avis de l’administration et de la comparution des demandeurs sous escorte de surveillants de l’ELSP en tenue pare-lames – alors que le CGLPL se félicite par ailleurs que le principe de présentation du condamné à son juge continue à être mis en œuvre.

Ne niant pas l’exceptionnelle gravité et l’impact des événements dramatiques de l’année 2019 et recommandant d’ailleurs que le traumatisme toujours perceptible soit pris en considération à sa juste valeur, le CGLPL invite à réunir l’ensemble du personnel et des intervenants autour d’un projet commun respectueux des droits fondamentaux des personnes détenues et permettant de donner du sens à l’incarcération dans cet établissement.