Rapport de la troisième visite du centre de rétention administrative de Coquelles (Pas-de-Calais)
Observations du ministère de l’intérieur – CRA de Coquelles (3e visite)
Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, aux ministères de l’intérieur, de la justice et de la santé auxquels un délai de quatre semaines a été fixé pour produire leurs observations.
Suivi des recommandations à 3 ans – Centre de rétention administrative de coquelles (3e visite)
SYNTHESE
En application de la loi du 30 octobre 2007 instituant le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, la Contrôleure générale, accompagnée de cinq contrôleurs, a effectué une troisième visite inopinée du centre de rétention administrative (CRA) de Coquelles (Pas-de-Calais) entre le 4 et le 6 novembre 2020. Cet établissement avait en effet fait l’objet de deux précédentes visites, organisées aux mois de juin 2009 et de juin et juillet 2015.
En raison de la pandémie de coronavirus survenue en fin d’année 2019, le centre a été mis en sommeil entre les mois d’avril et juin 2020, période durant laquelle divers travaux de maintenance et de réfection des locaux ont été effectués. Au bénéfice de ces améliorations matérielles et de la nomination, début 2019, d’un adjoint technique chargé à temps plein d’assurer la maintenance du centre, les locaux n’appellent pas d’autre observation que la dénonciation, déjà formulée au terme des précédentes visites, de leur inadéquation structurelle : le centre est manifestement trop exigu au regard de l’intense activité qui y est développée à la demande des services préfectoraux, que l’on envisage les zones d’hébergement – dont les espaces extérieurs sont insuffisants compte tenu du nombre de personnes retenues par secteur – ou le reste de la rétention : les partenaires ne disposent pas tous de locaux (la psychologue intervient dans l’un des réfectoires ou en salle de visite) adaptés à leur activité (l’unité médicale est réduite à exercer dans deux pièces sous-dimensionnées), cependant que les fonctionnaires de police s’entassent dans les bureaux ou les vestiaires qui leur sont assignés. Et l’extension d’une capacité de vingt-cinq lits qui a été construite en 2020 et mise en service dans le courant du mois de novembre, postérieurement à la visite et pour moitié de sa capacité en raison du contexte sanitaire, n’est pas de nature à modifier cette analyse. En effet, si l’effectif policier en charge du centre a en conséquence été renforcé de quinze agents « sortant d’école », aucun autre étayage de l’existant n’a été prévu, notamment s’agissant des services collectifs : pas d’extension du local de l’unité médicale, pas de renforcement du personnel médical, non plus que des salles de visite ou de restauration, en particulier. Pour le reste, l’organisation matérielle de cette extension, qui inclut une chambre adaptée aux personnes à mobilité réduite, n’appelle pas d’autre observation que son aspect carcéral : déjà prononcé dans les autres secteurs, celui-ci est ici accentué, en particulier par les équipements de « sécurisation » dont est dotée la cour.
S’agissant des pratiques professionnelles constatées, et comme à l’hôtel de police voisin[1], les agents en charge de la surveillance du CRA et du transport des personnes retenues sont apparus globalement respectueux de la dignité et des droits de ces dernières. La réduction de quatre à deux du nombre de chambres d’isolement, intervenue avant la pandémie, et leur usage très limité à des fins disciplinaire illustre d’ailleurs une situation globalement apaisée en rétention. Cependant, au moment de la visite, ces chambres sont très régulièrement utilisées pour des mises à l’écart temporaires, d’ordre sanitaire, des personnes refusant le test nasopharyngé imposé à leur arrivée dans le centre, ou durant le temps d’attente du résultat de ce test. En outre, à la même période, les personnes testées positives au coronavirus sont transférées au CRA de Plaisir (Yvelines) ; une ambulance étant requise pour ce faire, elles y sont menottées au brancard. Par ailleurs, plusieurs droits et libertés des personnes retenues subissent toujours des limitations anormales, qu’il s’agisse de leur liberté d’aller et de venir à l’intérieur du CRA (en fait, limitée à la seule zone d’hébergement d’affectation) ou de leur droit à communiquer avec l’extérieur (restriction à une ou deux utilisations par jour des téléphones portables si ceux-ci sont dotés d’un dispositif photographique, notamment). En outre, l’annonce d’un deuxième confinement national à compter du 29 octobre 2020, soit quelques jours avant la visite, a entraîné d’autres pratiques attentatoires aux droits des personnes, à tout le moins durant les premiers jours de novembre : suspension des droits de visite et de la possibilité de recevoir des colis – droits finalement rétablis durant la visite du CGLPL ; placement d’un nouvel arrivant dans une salle d’attente, avec un matelas au sol, au cours de sa première nuit dans le centre faute de chambre d’isolement disponible le temps de l’obtention du résultat de son test nasopharyngé. De plus, les contrôleurs ont constaté une méconnaissance quotidienne du secret médical en raison des conditions d’intervention de l’unité médicale, dont la porte (en tout état de cause insuffisamment isolée phoniquement) reste le plus souvent ouverte pendant les entretiens d’admission et lors des consultations ultérieures – sauf, semble-t-il, si la consultation conduit à un examen physique – alors qu’au moins un, et le plus souvent deux policiers se tiennent systématiquement en garde statique devant cette porte.
Par-delà, l’intense activité, le turn-over des personnes retenues et la vacuité de la plupart des procédures – particulièrement accentuée par la pandémie dès lors que la plupart des personnes retenues ne pouvaient, au moment de la visite, être effectivement reconduites dans leur pays de nationalité pour une raison ou une autre, en particulier l’absence de vol – entraînent comme à l’hôtel de police voisin du CRA un risque de déshumanisation routinière des tâches policières. En particulier, la notification des droits en rétention n’est assurée que lorsque la personne retenue est transférée depuis un autre centre ; elle n’est pas reprise lorsqu’elle est conduite au CRA par les services de police voisins… où elle n’est pas satisfaisante. Par ailleurs, le règlement intérieur du centre n’est pas remis individuellement et il n’existe, au moment de la visite, ni « livret d’accueil », ni règles de vie. Les affichages, rares, sont assurés dans les six langues officielles de l’ONU mais, notamment, pas en langue albanaise alors que le centre est présenté comme un « CRA Albanais », près de la moitié des personnes qui y sont placées étant de cette nationalité – laquelle constitue également la part majoritaire des éloignements effectivement mis en œuvre.
De plus, comme lors de ses précédentes visites et a l’instar du comité européen de prévention de la torture[2], le CGLPL déplore l’absence de toute offre sérieuse d’occupation au bénéfice des personnes retenues, malgré une durée de rétention « de droit commun » pouvant désormais atteindre une durée de trois mois. Seule une installation dite sportive (vélo ou banc de musculation) est installée dans l’espace extérieur de chaque zone d’hébergement, où sont également accessibles quelques consoles de jeux électroniques en salle commune ; aucun autre dispositif n’existe (table de ping-pong, panier de basket-ball, ou autres), non plus qu’une quelconque activité institutionnalisée, et aucune réflexion n’est manifestement initiée sur le sujet. Tout au plus la hiérarchie policière met-elle en avant, à cet égard, l’initiative – individuelle et contre laquelle le commandement du centre s’est pourtant prononcé pour des raisons de sûreté – de la psychologue qui intervient dans le centre, laquelle utilise l’une de ses quatre vacations hebdomadaires pour proposer à quelques personnes francophones des jeux de dames ou de dominos, et l’accès à quelques livres. Mais cette intervention ne constitue pas une offre d’activités occupationnelles mais une démarche de soins, individuelle et limitée puisqu’elle n’est accessible qu’à quelques personnes retenues seulement chaque semaine, uniquement francophones faute de présence d’interprète, et pour une durée hebdomadaire très réduite. Il n’existe donc pas de possibilité suffisante qui serait donnée aux personnes retenues de lutter contre l’ennui, ni d’ailleurs d’exercer une activité physique suffisante – la taille réduite des espaces extérieurs ne s’y prêtant pas.
Le CGLPL déplore encore que les conditions de l’intervention du juge des libertés et de la détention (JLD) ne permettent le respect ni du droit à un procès équitable ni des droits de la défense. Depuis le premier confinement national décrété au mois de mars 2020, les audiences sont en effet systématiquement assurées par l’utilisation d’un moyen de communication audiovisuelle – ce, alors même que les audiences devant la cour d’appel de Douai (Nord) et le tribunal administratif de Lille (Nord) donnent lieu, au moment de la visite, à la conduite des personnes devant leur juge. Or, les conditions dans lesquelles sont réalisées ces « vidéo-audiences » dans l’annexe du tribunal judiciaire qui a été édifiée sur le site même du CRA ne permettent ni la solennité, ni la sérénité qu’exigent les débats juridictionnels : l’image se perd sur une paroi de la salle d’audience à laquelle un téléviseur, de taille modeste, est accroché ; rien ne permet l’identification des personnes qui y apparaissent – ce que la pose de plexiglas devant le JLD et son greffier et le port par ceux-ci de masques chirurgicaux ne font qu’aggraver ; l’ensemble de ces dispositifs ne permet que difficilement d’entendre distinctement les propos tenus au tribunal, à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais), par le juge ou l’avocat de la personne retenue, qui s’y trouve également et dont le client ne voit, depuis Coquelles, qu’une partie du dos depuis la salle annexe délocalisée ; le système phonique a pour effet de décupler, dans la salle d’audience de Coquelles, le moindre bruit survenant dans le cabinet du juge ; il n’y a pas de « police » de l’audience qui soit assurée dans la salle où comparaît la personne retenue à Coquelles, ce qui laisse non maîtrisés les déplacements et discussions susceptibles de s’y développer.
Enfin, aucune procédure n’a été établie dans le CRA pour assurer l’information des personnes retenues relativement à leurs déplacements, qu’il s’agisse de leurs extractions (devant un juge, un service médical, une autorité consulaire) ou de leur transfert vers un autre centre (tel en particulier celui de Plaisir si elles sont testées positives au coronavirus) ou vers un moyen de transport, notamment aérien, pour la mise en œuvre de leur éloignement.
Dans les observations sur le rapport provisoire qui lui a été adressé le 14 janvier 2021, le directeur interdépartemental de la police aux frontières qui assure la responsabilité du CRA ne remet pas en cause, pour l’essentiel, les constats opérés. S’il mentionne quelques améliorations relevant de la compétence de ses services – notamment l’instauration d’un livret d’accueil – qui ont été mises en œuvre après la visite ou qui sont présentées comme étant en cours de réflexion, il se borne toutefois à répondre à la plupart des recommandations formulées par un rappel des pratiques existantes ou l’évocation de l’intervention d’autres autorités ou services, auxquels il entend renvoyer.
[1] Également visité, cet établissement fait l’objet d’un rapport de visite distinct.
[2] Rapport de la visite effectuée en France du 23 au 30 novembre 2018 : https://www.coe.int/fr/web/cpt/-/council-of-europe-anti-torture-committee-publishes-report-on-france