Le CGLPL a réalisé une deuxième visite du centre de détention de Bédenac (Charente-Maritime) du 29 mars au 2 avril 2021. Au regard des constats effectués sur place, la Contrôleure générale avait considéré établie une violation grave des droits fondamentaux des personnes incarcérées au sein de l’« unité de soutien et d’autonomie » initialement conçue pour accueillir des personnes détenues vieillissantes nécessitant d’être hébergées en cellule pour personnes à mobilité réduite et publié au Journal Officiel du 18 mai 2021 des recommandations en urgence, sans attendre la finalisation du rapport de visite, conformément à l’article 9 de la loi du 30 octobre 2007.
Lire le rapport de la deuxième visite du centre de détention de Bédenac (Charente-Maritime)
Observations du ministère de la justice – centre de détention de Bédenac (2e visite)
Observations du ministère de la santé – centre de détention de Bédenac (2e visite)
Synthèse
Le centre de détention de Bedenac (Charente-Maritime) a fait l’objet en avril 2021 d’un deuxième contrôle dix ans après le premier.
Ce contrôle a mis en évidence un non-respect de la dignité et du droit d’accès à la santé et la sécurité ; des recommandations en urgence ont été adressées au ministre des Solidarités et de la santé, au garde des Sceaux ministre de la Justice et au ministre de l’Intérieur le 16 avril 2021, et publiées au Journal officiel du 18 mai 2021. La réponse conjointe du ministre des Solidarités et de la santé et du garde des Sceaux, ministre de la Justice, datée du 17 mai, est annexée au présent rapport.
Parallèlement, un rapport provisoire a été adressé au directeur du centre de détention, à la présidente et au procureur de la République du tribunal judiciaire de Saintes, au directeur général du centre hospitalier de Jonzac et au directeur général de l’agence régionale de santé Nouvelle-Aquitaine. Le directeur du centre hospitalier a répondu le 17 juin 2021 et le directeur du centre de détention ainsi que le directeur du SPIP le 19 juillet 2021.
Le centre de détention est implanté à l’extérieur de la commune de Bedenac, dans une zone non habitée. Aucune ligne d’autobus ne dessert le site et la gare ferroviaire la plus proche est située à douze kilomètres. Les bâtiments sont dans l’ensemble bien entretenus. Le régime de détention est le régime « portes ouvertes » pour tous les bâtiments.
Sur les 180 personnes détenues présentes au moment du contrôle, 99 étaient condamnées à des peines correctionnelles et 81 à des peines criminelles dont une personne à la réclusion criminelle à perpétuité. Un détenu est en placement extérieur sous surveillance pénitentiaire en maintenance des locaux. La moyenne d’âge est de cinquante ans et la durée moyenne d’incarcération en 2020 au centre de détention est de seize mois. Traditionnellement destiné à la prise en charge d’auteurs d’infractions à caractère sexuel (AICS), l’établissement voit depuis quelques années son public évoluer, la proportion du public AICS n’étant plus, au moment du contrôle, que de 60 %. Depuis l’année 2015, le programme ANPAA (Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie) accueille vingt personnes détenues participant à une session de trois mois. Prioritairement conçu pour des hommes dont la condamnation était en lien avec la consommation d’alcool, il s’adresse désormais à des personnes souffrant de polytoxicomanie sujettes à des problématiques sociales multiples notamment en matière de logement. Cette modification du public accueilli s’est faite sans que le projet d’établissement ne soit adapté, sans formation des surveillants, sans accentuation de la surveillance en détention et sans adaptation de l’accompagnement social. Par ailleurs, l’établissement souffre d’un manque de premiers surveillants pour assurer l’encadrement.
Cette seconde visite a permis ont contrôleurs de faire les constats suivants.
Sur l’organisation de la détention : l’implantation en pleine campagne sur de grands espaces évite le sentiment d’un enfermement en espace restreint et permet de conserver une perspective visuelle. Elle est cependant source de difficultés vis-à-vis des visites des familles, de l’offre d’insertion, des possibilités de logements adaptés et sociaux et de l’accès aux soins.
Le fait que toutes les personnes détenues circulent librement dans la zone de détention entre 7h30 et 19h15, répond totalement aux missions pénitentiaires dans le respect des droits d’aller et venir à l’extérieur, aux activités et au sport au sein d’une détention.
L’hébergement comme les espaces extérieurs et collectifs sont de qualité, à l’exception des parloirs qui ne permettent pas le respect de l’intimité, et des bâtiments administratifs qui sont vétustes.
Les contrôleurs regrettent une nette carence dans la traçabilité de toutes les requêtes comme cela avait déjà été souligné en 2011, et une non-utilisation du logiciel GENESIS.
Sur la prise en charge au quotidien : les contrôleurs ont observé un défaut d’encadrement et très peu de surveillants présents en détention.
L’offre d’activités socio-culturelles et sportives était importante avant la pandémie de Covid-19, sauf pour les arrivants.
L’accès au travail et à la formation professionnelle est particulièrement bien développé et investi par les détenus, même si on déplore des rémunérations assez faibles aux ateliers. L’enseignement est bien investi et adapté au public.
Plusieurs problèmes sont soulevés concernant la restauration comme des quantités insuffisantes et les difficultés liées à la distance entre la détention et la cuisine avec un refroidissement du plat et des plats mouillés en cas de pluie. L’heure de distribution du soir, à 17h30 ne respecte pas le rythme habituel des repas d’autant que les détenus ne disposent pas de plaque de cuisson en cellule et ne peuvent plus réchauffer les plats après 19h.
Sur le respect des droits fondamentaux : le contrôle a surtout mis en évidence une atteinte à la dignité et le non-respect du droit d’accès à la santé pour les personnes hébergées dans le bâtiment G. Ces personnes, âgées, lourdement handicapées et souffrant de pathologies graves sont maintenues en détention en violation du respect de la dignité et des droits à l’accès à la santé et à la sécurité. L’accès à la tierce personne est très insuffisant, les adaptations architecturales inadaptées. Certaines personnes présentent un état de santé manifestement incompatible avec les conditions de prise en charge médicales et paramédicales.
Le bâtiment n’est pas totalement adapté au public désormais accueilli : les lits médicalisés (au nombre de quinze sur les vingt lits) ne peuvent être extraits par la porte alors même que le public accueilli est parfois dans l’incapacité d’être mis sur un fauteuil par moins de quatre personnes, il n’y a pas de barres d’appui dans les couloirs, les étagères sont trop hautes, il n’y pas de bouton d’appel accessible en cas de chute ou depuis le lit. Il n’y avait plus d’accès à un médecin généraliste chaque jour au moment du contrôle, pas de permanence soignante la nuit, pas d’aides-soignants au regard des capacités saturées de l’aide à domicile en milieu rural (ADMR) en termes d’aide à la toilette et de gestion de l’incontinence, pas suffisamment d’infirmiers pour réaliser les soins, l’éducation à la santé et une délivrance normale des médicaments, pas de professionnels spécialisés dans le maintien des autonomies comme des ergothérapeutes, kinésithérapeutes en nombre suffisant.
Le nombre de surveillants affectés aux escortes n’était pas dimensionné au regard du besoin d’extractions médicales forcément accentué pour un tel public ; il n’y a aucune présence de surveillant dans la détention avec, de ce fait, une autogestion où les moins invalides aident ceux qui ne peuvent plus réaliser les actes élémentaires de la vie.
Enfin, l’insuffisante réactivité des autorités judiciaires et les difficultés de construction de partenariat avec le monde extérieur par la direction du SPIP, ont abouti au maintien au bâtiment G de personnes dont l’état de santé semble manifestement incompatible avec la détention ou maintenues en détention dans des conditions ne respectant pas la dignité humaine.
Le ministère de la santé a rapidement mobilisé l’agence régionale de santé pour trouver des solutions conservatoires dans l’attente d’une réorganisation de la prise en charge de ces personnes entre les différents partenaires impliqués. Malheureusement, une personne dont le maintien en détention avait été signalé comme contraire à la dignité est décédée dans les semaines suivant le contrôle. Les autorités judiciaires locales n’ont adressé aucune observation à la suite de l’envoi du rapport provisoire.
Pour le reste de la détention, l’accès aux soins souffre de la même façon du manque de médecin généraliste, d’infirmiers et également de psychiatre alors même que le public accueilli nécessite une prise en charge spécifique. Pour la détention classique, il n’y a pas non plus d’éducation à la santé, d’examen entrant et sortant et la distribution des médicaments dans la cuisine ne respecte pas la confidentialité des soins. Les entraves à l’accès aux soins qui en résultent sont d’autant plus regrettables que l’infrastructure immobilière du service médical est pertinente.
Les visites des familles pâtissent d’un parloir collectif qui empêche toute intimité et il n’y a pas d’UVF, ce qui avait déjà été déploré en 2011.
Le discernement est respecté dans les mesures de contrainte et le menottage est individualisé ; en revanche, les fouilles intégrales sont trop systématiques dans certaines circonstances. L’usage de la procédure disciplinaire est proportionné.
Concernant le parcours d’exécution des peines, les contrôleurs observent un manque d’information claire donnée aux détenus sur leurs droits en général. Les commissions pluridisciplinaires uniques (CPU) « parcours d’exécution de peine » (PEP), qui ne s’étaient pas tenues pendant plusieurs années, ont repris en février 2021 selon, cependant, un rythme indigent de trois détenus par mois alors que l’obligation est d’examiner la situation de chaque détenu en CPU PEP une fois par an. Il n’y a pas de directeur du SPIP présent régulièrement sur le site, pas de programme de prévention de la récidive et pas d’implication suffisante de la direction pénitentiaire dans le PEP.
Certains détenus sont insuffisamment suivis et il y a un manque d’adaptation du service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) aux besoins de la population accueillie. De ce fait, on note un dynamisme insuffisant et parfois une autocensure dans le parcours d’exécution de peine qui ne permet pas une sortie de détention accompagnée. Ainsi, les services gèrent l’urgence mais n’ont pas de vision globale du parcours de vie de la personne, même si une amélioration est notée depuis deux ans. Tout cela aboutit à un nombre trop important de sorties sèches.