Site du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté

Rapport de visite de la Fondation Bon Sauveur de la Manche à Saint-Lô (Manche)

Rapport de visite de la Fondation Bon Sauveur de la Manche à Saint-Lô (Manche)

Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, au ministère de la santé auquel un délai de huit semaines a été fixé pour produire ses observations. A la date de publication de ce rapport, aucune observation n’a été produite.

 

Synthèse

Cinq contrôleures ont effectué une visite de la Fondation Bon Sauveur de la Manche à Saint-Lô du 3 au 7 décembre 2018. Le rapport provisoire établi à l’issue de cette visite a été communiqué au directeur de l’établissement, à la présidente du tribunal de grande instance de Coutances, au procureur près ce tribunal ainsi qu’à la délégation de l’agence régionale de santé – délégation départementale de la Manche le 21 février 2019. Par courriers des 19 et 29 mars 2019, la présidente du tribunal de grande instance de Coutances et le directeur de l’établissement ont adressé leurs observations à la Contrôleure générale de lieux de privation de liberté ; les autres destinataires n’ont pas donné suite à cet envoi.

La fondation Bon Sauveur de la Manche est issue d’une opération de fusion entre les fondations du Bon Sauveur de Saint-Lô et de Picauville entraînant la création d’un unique établissement sanitaire privé d’intérêt collectif (ESPIC) constitué par le regroupement des hôpitaux de santé mentale de Saint-Lô au centre du département et de Picauville, La Glacerie et Valognes situés au Sud. Sa compétence s’étend sur cinq secteurs couvrant tout le Nord et le centre du département, avec des hôpitaux de jour, y compris en pédopsychiatrie ainsi que des centres médico-psychologiques. Elle gère également un secteur médico-social important, offrant des solutions d’aval à certains patients hospitalisés en psychiatrie. La place de la Fondation est ainsi centrale dans l’organisation de la psychiatrie de la Manche.

Sur le site de Saint-Lô, la présence permanente à l’hôpital général d’une équipe de liaison constitue une réelle plus-value dans la prise en charge des patients conduits aux urgences en leur permettant d’avoir une écoute 24h/24 et d’éviter des hospitalisations inopportunes. Une unité d’évaluation et d’orientation au sein du Bon-Sauveur vient compléter le dispositif par la mise en place de lits pour des séjours de très courte durée. Les quatre-vingt-seize patients accueillis en psychiatrie sont répartis en huit unités ; parmi elles, une seule est fermée et accueille l’ensemble des patients admis en soins sans consentement, y compris les irresponsables pénaux et les personnes détenues ; elle dispose de deux chambres d’isolement.

A l’issue de la visite, les contrôleures prennent acte de la réorganisation suite à la fusion et de la nécessaire stabilisation qui en résulte. Dans ce contexte, elles relèvent deux points majeurs que sont la prise en charge médicale de qualité et la réflexion institutionnelle sur la liberté d’aller et venir. En revanche, elles recommandent de procéder urgemment à la rénovation des locaux vétustes, de conduire des réflexions approfondies autour de l’harmonisation des pratiques et de mettre en conformité les décisions d’admission des patients et leur régime juridique lors de la poursuite des soins.

1 Les moyens alloués à la Fondation Bon-Sauveur de la Manche lui assurent un personnel en nombre suffisant et une prise en charge médicale de qualité

La présence médicale, psychiatrique comme somatique, est bien assurée par un personnel suffisant en nombre et impliqué qui favorise l’élaboration et l’adhésion à des projets de soins concertés. La bienveillance, l’autonomisation recherchée, l’individualisation des prises en charge, la limitation de l’isolement et de la contention sont autant de points positifs. La dignité des patients est respectée et le régime juridique d’admission ne pèse pas sur la prise en charge à l’exception des personnes détenues.

2 Les locaux sont inadaptés et les conditions de vie des patients ne sont pas partout satisfaisantes

A l’exception de l’unité Auvergne, rénovée, les locaux sont vétustes, mal isolés et ne garantissent ni des conditions de vie dignes pour les patients ni des conditions de travail satisfaisantes pour le personnel. Les conditions d’hébergement ne sont globalement pas satisfaisantes au regard des droits fondamentaux : la limitation des horaires le matin ne permettant pas à tous de se doucher, les patients utilisent les lavabos des chambres dont ils ne peuvent fermer la porte à clé pour protéger leur intimité ; ils ne disposent pas de la clé de leur placard et doivent se démunir d’objets personnels afin d’éviter les vols ; aucune des chambres n’est équipée de bouton d’appel en cas d’urgence. Par ailleurs, des restrictions de liberté touchent les patients hébergés en unité situées en étage qui ne peuvent descendre de manière autonome pour se rendre sur le perron pour fumer, contrairement aux unités en rez-de-chaussée. Enfin, l’utilisation des pots de chambre dont sont équipées les chambres d’isolement est particulièrement attentatoire à la dignité de leurs occupants. La reconstruction de l’unité fermée, dont le projet a été validé par les gestionnaires ne saurait occulter l’indispensable réfection des unités ouvertes.

3 Les droits des patients

Les droits des patients sont globalement respectés au quotidien, même s’ils sont très diversement connus et la perception de leurs atteintes souvent minimisée. Les procédures sont disponibles sur l’intranet, mais elles demeurent souvent ignorées ou mal appréhendées par les soignants. Il en est ainsi de la procédure de désignation d’une personne de confiance, de l’accès au dossier médical ou des droits et voies de recours qui, en outre, ne sont pas affichés. Les initiatives de formation dans ces domaines existent mais portent insuffisamment leurs fruits, il y a lieu d’inciter les soignants à s’y inscrire.

Si un groupe de travail sur l’évaluation des pratiques professionnelles prône l’ouverture et l’individualisation des restrictions, elles sont encore diverses et ne sont pas toujours liées à l’état clinique de la personne hospitalisée : accès au tabac, interdiction de conserver le téléphone portable dans trois des unités, accès sans confidentialité et à heures restreintes au téléphone du service, absence de tout droit de communication ou d’activité pour les patients détenus qui perdent ainsi ceux qui leur sont reconnus en détention. Le maintien en chambre d’isolement de ces derniers lors de courts séjours comme leur exclusion de toute activité thérapeutique ne peuvent être justifiés.

Les droits des patients au regard de leur régime juridique appellent deux observations. Les patients en soins sans consentement sont majoritairement admis selon la procédure de soins en urgence, ce qui conduit à s’interroger sur les notions d’urgence et de péril imminent que revêtent ces admissions. Au travers du registre, un certain nombre d’irrégularités ont été relevées : les décisions d’admission des patients en soins sans consentement sur décision du directeur de l’établissement ne sont signées que le lendemain dès lors qu’un patient arrive après 17h30 ; elles ne sont pas motivées. Alors que la prise en charge psychiatrique repose sur une approche individualisée avec pour objectif de limiter la durée d’hospitalisation, les patients admis dans le cadre de l’urgence sont maintenus sous ce statut durant tout leur séjour y compris si leur état psychique s’améliore

4 La réflexion autour des pratiques, des valeurs, est organisée au sein des unités de manière hétérogène.

Les études thématiques, les réflexions émanant de groupes de travail, la conceptualisation ne sont pas déclinés dans chacune des unités. De grands écarts existent s’agissant notamment des initiatives en matière de groupes de paroles avec les patients, de temps d’échange ou de formation, de réflexion autour des pratiques, ou de transmission des savoirs. La diversité de l’appréciation des droits des patients en soins sans consentement, l’explicitation des contours de ces droits et de leurs conditions effectives d’exercice appelle une réflexion institutionnelle pour revoir certaines positions, définir des approches et pratiques harmonisées.