Rapport de la deuxième visite du centre psychothérapique de l’Ain à Bourg-en-Bresse (Ain)
Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, au ministère de la santé auquel un délai de huit semaines a été fixé pour produire ses observations. A la date de publication de ce rapport, aucune observation n’a été produite.
Suivi des recommandations à 3 ans – Centre psychothérapique de L’Ain à Bourg-en-Bresse
Synthèse
La Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, accompagnée de six contrôleurs, a conduit une visite du centre psychothérapique de l’Ain (CPA) du 3 au 13 juin 2019. Leur venue a été annoncée à la direction la semaine précédente. Le rapport provisoire rédigé à l’issue de cette visite a été envoyé le 28 février 2020 au directeur du CPA, au préfet de l’Ain, conjointement au président du tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse et au procureur de la République près cette juridiction ainsi qu’au directeur de l’agence régionale de santé d’Auvergne-Rhône-Alpes – délégation départementale de l’Ain (ARS ARA).
Le directeur du CPA a fait connaître par courrier du 10 avril 2020 ses observations sur le rapport provisoire, lesquelles ont été prises en compte dans le présent rapport définitif. Les autres destinataires n’ont pas donné suite à l’envoi du rapport provisoire.
Cette mission constituait une deuxième visite faisant suite à un premier contrôle réalisé du 11 au 15 janvier 2016. A l’issue de ce dernier, une recommandation en urgence a été publiée au journal officiel, alertant sur les nombreux dysfonctionnements observés dans l’établissement et les atteintes graves aux droits fondamentaux des patients et préconisant des modifications profondes des règles de fonctionnement et des pratiques. Ces recommandations ont été complétées par celles du rapport de visite rédigé ultérieurement.
Le CPA constitue toujours la principale offre d’hospitalisation psychiatrique du département, qu’elle partage avec une clinique d’une capacité de quatre-vingt-cinq lits. Il demeure la seule structure habilitée à recevoir des patients en soins sans consentement des quatre secteurs de psychiatrie adulte du département ainsi que les mineurs de l’inter secteur de psychiatrie infanto-juvénile.
La capacité d’accueil a diminué de 412 lits en 2016 (393 pour adultes et 19 pour enfants et adolescents) à 325 lits en 2019 dont 11 pour enfants et adolescents. Cette diminution a notamment été consécutive à la fermeture de l’« unité pour malades agités et perturbateurs » et d’une unité de psychogériatrie ainsi qu’à la baisse de la capacité d’accueil du dispositif de soins de suite.
La visite de 2019 a permis de mesurer le travail collectif accompli par les équipes de l’établissement pour mettre en œuvre les recommandations du CGLPL, notamment par un travail institutionnel intense, qui se poursuit, et auquel sont désormais associés les usagers et leurs proches. Les contrôleurs ont constaté un changement profond dans la prise en charge des patients du CPA : le cadre du soin qui était auparavant fondé sur des impératifs de sécurité se structure désormais autour du respect de la dignité, des droits et notamment de la liberté des patients.
- Malgré la démographie médicale défaillante, comme dans toute la France, l’accès aux soins psychiatriques et somatiques est de qualité.
L’implication des soignants, infirmiers, aides-soignants, psychologues, dans les soins psychiatriques quotidiens apportés aux patients est forte. La prise en charge est individualisée dans tous ses aspects : soins, droits, activités, vie quotidienne. La dimension psychiatrique de la prise en charge est particulièrement respectée et développée : entretiens médico-infirmiers réguliers et systématiques, présence auprès des patients encouragée et facilitée grâce notamment à une organisation adaptée des postes infirmiers, réunions de coordination pluridisciplinaires pour les cas complexes.
Il a également été constaté une intégration concrète et systématique de toutes les activités dans le projet de soins et une multiplicité des dispositifs : sport, culture, unité d’activités thérapeutiques, cafétéria et espace des usagers. La multiplication et la diffusion des actions entre unités, pratique rarement vue ailleurs, est encouragée et entraîne un effet stimulant pour les soignants.
Le recours à l’isolement et à la contention a été totalement repensé, ce qui a conduit à une diminution remarquable du nombre et de la durée de ces mesures. Elles se déroulent dans des conditions matérielles plus respectueuses de la dignité et du bien-être des patients. Le nombre de chambres d’isolement a fortement diminué et doit l’être encore par la transformation d’une grande partie d’entre elles en espaces d’apaisement dont l’ambiance (lumière, musique, couleurs) pourrait être commandée par le patient ; cette initiative de l’établissement a été encouragée par l’octroi de 500 000 euros d’investissement par l’ARS ARA.
Les soins somatiques et paramédicaux sont assurés dans une parfaite continuité et avec des moyens matériels et humains confortables et adaptés, notamment en kinésithérapie.
- Pour l’ensemble des patients, le respect de la dignité et des libertés sont des valeurs partagées par tout le personnel, administratif comme soignant, avec les investissements matériels nécessaires.
La liberté d’aller et venir est désormais une règle respectée : la fermeture de trois des treize unités est justifiée par les particularités de leurs patients ; dans l’une d’elles, la fermeture est modulée par l’octroi de badges permettant aux patients aptes de sortir.
Aucune restriction autre que justifiée par la clinique du patient n’est imposée et les restrictions sont réévaluées rapidement : accès au téléphone, à internet (un ordinateur est mis à la disposition des patients dans chaque unité), visites des familles avec une grande souplesse de lieux, d’horaires et de composition (les enfants peuvent entrer dans les unités) facilitent le maintien des liens familiaux.
Le respect de la dignité dans la vie quotidienne est une préoccupation partagée. Ainsi, les personnes placées en chambre d’isolement ne portent pas de pyjama dans la journée mais un jogging fourni par l’hôpital de sorte que lors des sorties dans l’unité, l’isolé est « habillé ». Les chambres d’isolement dans lesquelles la lucarne de surveillance donnait vue sur les toilettes et la douche ont été modifiées après que les contrôleurs ont relevé ce défaut.
Les conditions hôtelières sont agréables. L’intimité et la sécurité des patients sont préservées par des portes « palières » à chaque chambre, qui sont donc automatiquement fermées de l’extérieur mais dont les patients ont la clef ; les placards ferment à clef et un coffre est à disposition dans le bureau du cadre.
Les patients-détenus, qui peuvent être accueillis dans n’importe quelle unité d’admission, sont d’abord considérés comme des patients et peuvent après observation être hébergés dans une chambre ordinaire, se rendre au petit parc et participer aux activités de l’unité.
Dans le cadre de la prise en charge plus générale des patients, doivent être mentionnés comme particulièrement développés, d’une part, les outils de prévention des crises : équipes mobiles de secteur, cellule téléphonique d’orientation, disponibilité des centres médico-psychologiques ; d’autre part, le travail de préparation à la sortie : dispositif de réhabilitation, foyer thérapeutique sur le site, appartements de transition, projet de maison d’accueil spécialisée ; enfin, l’intégration des usagers et de leurs représentants dans la vie de l’établissement.
- Demeurent néanmoins des points dont la correction, pour certains, ne relève pas que de l’initiative de l’établissement et appelle un soutien de la tutelle.
Le CPA, comme nombre d’établissements publics de santé mentale du territoire, souffre d’une grande difficulté de recrutement de psychiatres. Le nombre des médecins est insuffisant, leur l’implication dans l’organisation de la permanence des soins déficiente et les temps de réflexion collective sur les pratiques médicales peinent à s’organiser. Le recours à des psychiatres intérimaires, coûteux, nuit à la qualité des soins en raison de missions très courtes et de l’impossibilité pour ceux-là d’assurer l’animation de service.
De façon totalement irrégulière, ce sont les agents du bureau des entrées du CPA qui rédigent pour le représentant de l’État les arrêtés signés par lui-même. Le représentant de l’Etat, insensible jusqu’à présent à cette irrégularité, tout comme l’ARS, doit modifier cette procédure.
Les décisions de soins sans consentement prises par le directeur ne sont ni rédigées ni signées les week-ends et jours fériés. Elles sont établies et signées a posteriori et antidatées, leur notification (ainsi que celles du préfet) est différée retardant d’autant la possibilité des patients d’exercer leur droit de recours.
La notification des droits des patients en soins sans consentement, tels que mentionnés à l’article L. 3211-3 du code de la santé publique, est inexistante ; ces droits sont inconnus des interlocuteurs des patients. En cas de procédure à la demande de tiers, l’identité de celui-ci n’est pas indiquée aux patients.
Le CPA a engagé très rapidement après la publication des recommandations du CGLPL en 2016 une démarche d’audit interne régulier, a modifié la programmation des investissements immobiliers, soutenu les initiatives de ses équipes qui se sont soudées autour de la nécessité du changement. Il a noué des partenariats extérieurs qui soutiennent la réflexion – comme la démarche Quality Rights , il assure une ouverture sur la ville, des échanges et une participation à la réflexion nationale sur la prise en charge psychiatrique. Autant d’actions qui garantissent la consolidation d’une démarche et d’un résultat remarquables. La dynamique de réflexion et de changement continue d’imprégner les équipes et la direction, en témoigne la rapidité avec laquelle les recommandations formulées verbalement en fin de visite ont été mises en œuvre.