1er avril 2020
Aujourd’hui, dix-neuf établissements pénitentiaires sont touchés par l’épidémie de coronavirus, trente-et-une personnes détenues sont atteintes et plusieurs centaines sont suspectées de l’être.
Le 17 mars 2020, la Contrôleure générale de lieux de privation de liberté a alerté la ministre de la justice sur la situation des établissements pénitentiaires face à la crise du coronavirus. Des premières décisions ont été prises pour faire baisser le nombre de personnes incarcérées, mais elles sont loin d’être à la hauteur des risques encourus et ne pourront permettre d’atteindre l’encellulement individuel, seul à même de protéger les personnes détenues et préalable nécessaire pour qu’elles puissent être confinées dans des conditions dignes.
La chancellerie a indiqué que les mesures mises en œuvre permettront de procéder à 5000 libérations mais cet objectif est insuffisant et les procédures pour y parvenir trop longues et complexes. 4 900 détenus seulement ont été libérés depuis le 17 mars, alors que près de 71 000 personnes sont incarcérées pour 60 000 places et que le taux moyen d’occupation est de 140 % dans les maisons d’arrêt, avec des pics de 180 à 200 % dans certains établissements ; c’est donc un minimum de 11 000 personnes qui doivent être libérées au plus vite.
Par voie d’ordonnance rendue le 25 mars en application de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, la garde des sceaux a prévu des possibilités de libération anticipée pour les personnes condamnées à moins de cinq années de d’emprisonnement auxquelles il reste deux mois à effectuer. Ce choix interroge alors que la loi de programmation de la justice incite les magistrats, pour les condamnations à venir, à ne pas incarcérer les condamnés à moins de six mois de prison et à prévoir dans toute la mesure du possible des mesures alternatives à l’incarcération. C’est bien la preuve de l’inutilité, voire du danger de ces courtes peines : il est incompréhensible que ce seuil n’ait pas été choisi pour libérer les détenus en fin de peine.
Des réductions de peine supplémentaires exceptionnelles allant jusqu’à deux mois sont par ailleurs envisagées mais perdent grandement de leur intérêt dès lors qu’elles sont conditionnées au comportement des détenus confinés et ne pourront être accordées qu’à l’issue d’un délai d’un mois après le début de l’état d’urgence sanitaire.
Publiée le 26 mars, une circulaire d’application de l’ordonnance prise par la garde des sceaux prévoit des dispositions relatives à l’allongement des délais de détention provisoires dans les dossiers d’instruction : prolongation de plein droit de deux ou trois mois pour les affaires correctionnelles (selon que la peine encourue est inférieure ou supérieure à cinq ans) et de six mois en matière criminelle ; ces prorogations continueront de s’appliquer après la date de cessation de l’état d’urgence. Il aurait été compréhensible que les délais arrivant à expiration pendant la crise sanitaire soient prorogés mais une prolongation de plein droit pour tous les mandats de dépôt, sans aucune comparution devant un juge, est non seulement injustifiée mais porte atteinte au droit à un procès équitable, aux droits de la défense et à la présomption d’innocence. Dans le même esprit, les prorogations des mesures de placement des mineurs en centre fermés pourront être ordonnées d’office, sans comparution devant le juge des enfants.
Enfin, les consignes données pour réduire le nombre de placements en détention provisoire s’avèrent insuffisantes, alors même que ces détenus, présumés innocents, représentent plus de 20 000 personnes et sont tous incarcérés dans des maisons d’arrêt. Il est indispensable de réduire davantage le nombre des personnes détenues, en élargissant les critères retenus et en envisageant les voies de la grâce ou de l’amnistie.
Aujourd’hui force est de constater que les pouvoirs publics n’ont pas pris la pleine mesure de la gravité de la situation carcérale face à la crise sanitaire actuelle ; c’est pourquoi le CGLPL recommande que des mesures supplémentaires soient prises en urgence afin que l’Etat assure son obligation de protection des personnes qu’il a lui-même placées sous sa garde.