Au Journal officiel du 6 février 2020, le Contrôleur général a publié un avis relatif à l’accès à internet dans lieux de privation de liberté. Cet avis a été transmis au ministre de l’intérieur, à la ministre de la justice ainsi qu’à la ministre des solidarités et de la santé pour qu’ils puissent formuler des observations. Le ministre de l’intérieur a apporté ses observations, également publiées au Journal officiel.
Lire l’avis et les observations du ministre de l’intérieur
Notre société a fait du numérique un outil indispensable de l’accès au savoir et a imposé l’utilisation d’internet pour la réalisation de nombreuses démarches. Ce vecteur essentiel d’autonomisation et de communication ne peut être ignoré par ceux qui ont autorité sur le fonctionnement et l’organisation des lieux de privation de liberté. Dans le contexte de la dématérialisation de l’intégralité des services publics à l’horizon 2022 initiée par la France, l’accès à internet, la formation de la population enfermée à ses usages et son accompagnement dans son utilisation doivent être considérés comme prioritaires, afin de ne pas priver cette population de l’exercice effectif de ses droits.
Un accès à internet indispensable au respect des droits et libertés fondamentaux
La privation de liberté peut entraîner la restriction de certains droits dans la mesure où l’ingérence ou la limitation de ces droits est prévue par la loi et est justifiée par des impératifs de sécurité et d’ordre public. Mais ces atteintes aux droits ne peuvent cependant être illimitées, et il incombe à l’administration de rechercher un juste équilibre entre les objectifs d’ordre public poursuivis et le respect des droits des personnes privées de liberté.
De la situation de dépendance des personnes privées de liberté vis-à-vis des autorités administratives auxquelles elles sont confiées résulte, pour les secondes, l’obligation d’organiser, au bénéfice des premières, les modalités d’exercice de leurs droits. Certaines démarches sont rendues laborieuses, voire impossibles, du fait de l’absence d’accès des personnes concernées aux services en ligne, et notamment à l’information qui y est disponible. La nécessité de passer par le truchement de tiers ou de professionnels pour accéder à l’information, accomplir des formalités administratives, maintenir des contacts, complexifie les démarches et dépossède les personnes privées de liberté de leur autonomie au regard de l’état d’avancement de ces opérations et du temps nécessaire pour les effectuer, qui dépendent entièrement de la disponibilité et la bonne volonté des tiers.
De nombreux droits des personnes privées de liberté sont dès lors affectés par cette médiation imposée : préparation de la défense, exercice effectif du droit au maintien des liens extérieurs, droit à l’éducation, démarches de réinsertion, etc.
L’accès à internet au regard des spécificités des lieux ou des publics accueillis
Aucune loi ne prévoit de priver les personnes enfermées de tout accès à internet. Selon les lieux de privation de liberté concernés et leurs spécificités, notamment au regard du public qu’ils accueillent, les modalités d’accès à internet sont diverses et les limitations fréquentes. Les CGLPL formule à cet égard des recommandations afin de favoriser l’accès à internet, en tenant compte des particularités des différents lieux de privation de liberté.
En centre de rétention administrative, le CGLPL recommande que tous les appareils informatiques ou électroniques soient autorisés, même ceux permettant la prise de vue. Il recommande également que les zones d’hébergements soient équipées de rangements fermant à clé. Un accès wifi et une salle équipée de terminaux connectés à internet doivent être mis à disposition des personnes retenues en vue de faciliter l’exercice de leurs droits, leurs démarches administratives et personnelles, de maintenir leurs liens avec leurs proches, de leur permettre de s’informer utilement ou encore de lutter contre l’ennui et l’oisiveté forcée.
Dans les hôpitaux psychiatriques, le CGLPL recommande qu’un accès à internet soit aménagé (accès wifi) afin de permettre aux patients dont l’état clinique le permet de consulter leur messagerie, de se former ou de s’informer et d’initier des démarches, en toute autonomie. Les patients doivent pouvoir conserver leurs terminaux mobiles personnels et leurs chambres doivent être équipées de casiers fermant à clé. Les seules exceptions doivent relever d’une décision médicale ou du choix du patient concerné. Toutes les chambres doivent être équipées de casiers fermant à clé.
En prison, le CGLPL réitère les recommandations formulées dans son avis du 20 juin 2011 : « dans les locaux partagés, dans lesquels se tient un tiers (formateur, enseignant…) et/ou un personnel de l’administration, les matériels et les données permettant la communication doivent être admis et même encouragés. […] des dispositions doivent être prises à bref délai pour que chaque établissement assure depuis ces locaux le lien avec les services en ligne (« internet »), l’administration pouvant se réserver de rendre impossible l’accès à certains d’entre eux […] de manière contrôlable et identifiée ». Il recommande en outre que l’infrastructure mise en place pour le projet Numérique en détention aménage un accès réel, direct, individualisé et contrôlé aux services en ligne en cellule (accès à des sites d’information sans fonctions interactives ; accès à un système de messagerie fermé avec un contrôle comparable à celui du courrier échangé sur papier ; accès à un système de vidéocommunications contrôlé dans les mêmes conditions que l’est aujourd’hui le téléphone ; accès contrôlé vers des sites de services – démarches administratives, enseignement – pour les personnes dont la situation le justifie et par décision individuelle).
Les mineurs (placés en CEF, détenus ou hospitalisés) conservent leur droit à l’éducation, qui implique la formation à l’utilisation responsable des outils et ressources numériques. La protection des mineurs justifie le fait que l’accès aux services en ligne puisse faire l’objet d’un contrôle et d’un encadrement qui doit se faire par le truchement d’un accompagnement, d’une sensibilisation et d’une formation. Or, la prohibition pure et simple de l’accès à internet dans des lieux où des mineurs peuvent séjourner plusieurs mois, voire plusieurs années, contrevient à cet objectif. A ce titre, le CGLPL recommande que l’ensemble des lieux de privation de liberté soit en mesure d’assurer un enseignement au numérique et à internet aux mineurs privés de liberté.
Un accès à internet complémentaire et non exclusif des relations humaines
Le CGLPL considère que le développement du numérique dans les lieux de privation de liberté doit être encadré par diverses garanties. L’usage du numérique ne doit jamais se substituer totalement aux interactions humaines. Une personne privée de liberté doit toujours être en mesure de choisir d’effectuer l’ensemble ou certaines de ses démarches sans avoir recours aux outils numériques ou aux services en ligne. Tout processus de dématérialisation interne ou externe doit s’ajouter aux modalités existantes ou laisser l’espace à des alternatives qui ne nécessitent pas la maîtrise du numérique.
Les solutions mises en place pour améliorer l’accès aux droits par le biais d’internet et du numérique ne doivent pas entrainer une détérioration des services existants ou leur suppression. Le recours accru à internet ne doit pas exonérer les administrations de leur obligation d’assurer une bonne prise en charge des personnes privées de liberté dans tous ses aspects et de prévenir tout risque d’isolement ou de repli sur soi que pourrait entraîner la mise en place de processus de dématérialisation en chambre ou en cellule.