Site du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté

Rapport de visite du pôle de psychiatrie du centre hospitalier Andrée Rosemon à Cayenne (Guyane)

Le centre hospitalier Andrée Rosemon (CHAR) de Cayenne, a été visité par quatre contrôleurs du 5 au 12 octobre 2018.  Les constats opérés lors de cette visite ont donné lieu à l’élaboration d’un rapport de visite et de recommandations publiées au Journal officiel du 24 octobre 2019.

Lire le rapport de visite du centre hospitalier Andrée Rosemon de Cayenne (Guyane)

Lire les recommandations du CGLPL

Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, au ministère de la santé auquel un délai de huit semaines a été fixé pour produire ses observations. A la date de publication de ce rapport, aucune observation n’a été produite.

 

Synthèse

Quatre contrôleurs du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) ont effectué une visite du pôle de psychiatrie et du service des urgences du centre hospitalier Andrée Rosemon (CHAR) de Cayenne (Guyane) du 5 au 12 octobre 2018.

En vue du recueil de leurs observations, un projet de recommandations et un rapport provisoire ont été adressés le 24 décembre 2018 à la directrice du CHAR, au président et au procureur de la République du tribunal de grande instance de Cayenne, au directeur général (DG) de l’ARS de Guyane. Le projet de recommandations avait pour but d’appeler l’attention sur des conditions de prise en charge qui permettent de considérer que les conditions de vie de certaines personnes hospitalisées sont gravement attentatoires à leurs droits fondamentaux, et sont susceptibles de constituer un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Le rapport reprend l’ensemble des observations relevées.

Par courrier du 30 janvier 2019, la directrice du CHAR a fait parvenir ses observations sur le rapport provisoire mais n’en a pas formulé sur le projet de recommandations. Par courriel du 2 février 2019, le président du TGI de Cayenne a fait savoir qu’il n’avait pas d’observations à formuler. Par courriel du 12 février 2019, la directrice générale de l’ARS de Guyane a fait parvenir ses observations sur le rapport provisoire mais n’en a pas formulé sur le projet de recommandations. L’ensemble des observations est intégré dans le rapport de visite joint.

Le département de la Guyane est divisé en trois secteurs de psychiatrie adulte et en deux secteurs de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (un secteur et un intersecteur). Deux des secteurs de psychiatrie adulte et l’intersecteur de pédopsychiatrie sont rattachés au CHAR qui assure également les soins sans consentement (SSC) pour l’ensemble du département. La Guyane comporte trois centres hospitaliers dont deux ont des capacités d’hospitalisation complète en psychiatrie : le CHAR de Cayenne, qui est le principal et le plus ancien, le centre hospitalier de l’Ouest guyanais Franck Joly, le CHOG, à Saint-Laurent-du-Maroni ; le centre hospitalier de Kourou ne dispose pas de capacité d’hospitalisation. En octobre 2018, aucun praticien libéral psychiatre n’exerçait sur le territoire, aucune clinique n’accueillait de patients en psychiatrie.

Le CHAR emploie 2 500 personnes. Il dispose de 742 lits et places dont 114 de psychiatrie. Il offre des prestations de soins sur le site principal de la Madeleine à Cayenne, et dans deux centres médico-psychologiques (CMP) pour la psychiatrie adulte à Cayenne et trois CMP pour la pédopsychiatrie, deux à Cayenne et un à Kourou, ce dernier ne disposant pas de soignants permanents. Les CMP déploient périodiquement des équipes dans dix-huit centres délocalisés de soins et de prévention (CDPS).

En intra hospitalier, le site de la Madeleine comporte une unité d’hospitalisation à temps complet de pédopsychiatrie de dix lits, Acajou, rénovée en 2015, et cinq unités d’hospitalisation à temps complet de psychiatrie pour adultes : Wapa, Comou, Wassaï (quatorze lits chacune), Amourette-Moutouchi (vingt-huit lits), Amarante (quatorze lits d’addictologie), l’unité d’hospitalisation de jour Wacapou, l’unité d’ergothérapie et de sport Simarouba, et l’unité Parcouri regroupant des bureaux (ceux de médecins, des assistantes sociales, secrétariats, de l’administration du pôle). Toutes les unités sont fermées et admettent des patients en soins sans consentement.

Le délai d’attente pour un rendez-vous en CMP est de trois mois ; cela occasionne parfois un recours à l’hospitalisation par défaut dans les unités de court séjour.

Le parcours du patient se heurte en Guyane à l’insuffisance de structures adaptées pour des patients disposant de peu d’autonomie ou qui présentent des troubles du comportement relativement importants. La Guyane ne dispose pas d’appartement thérapeutique, de foyer d’accueil médicalisé (FAM), de centre d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP), ni de maison d’accueil spécialisée (MAS) disposant de lits réservés. Les quatre établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) du département, les deux établissements et services d’aide par le travail (ESAT), le foyer d’accueil de jour expriment les plus grandes réticences pour accueillir des personnes souffrant de troubles psychiatriques.

Concernant les SSC, les patients passent tous par les urgences sauf ceux qui sont examinés par le médecin urgentiste du SMUR qui peut ainsi procéder à une admission directe. Les mineurs sont également examinés aux urgences et aux urgences psychiatriques avant d’être hospitalisés en pédopsychiatrie.

Les unités de psychiatrie sont parfois saturées et les éventuelles sur occupations conduisent à des maintiens de patients dans des chambres d’isolement (CI).

Les points essentiels ressortant de ce contrôle ont fait l’objet de recommandations adressées à la ministre chargée de la santé. Ce sont les points suivants :

  • Des pratiques illégales et abusives d’isolement dont des décisions « si besoin », l’absence d’évaluation de ces pratiques professionnelles, de registre de l’isolement et de la contention.
  • Des pratiques forcées de traitements par injections, dont les prescriptions « si besoin », l’absence de recherche de consentement du patient et son caractère impératif au regard de la clinique.
  • Un accès insuffisant aux soins somatiques, dont le suivi des patients en chambre d’isolement.
  • Une continuité des soins et une présence médicale insuffisante au sein de chaque unité.
  • La présence insuffisante dans l’établissement de médecins spécialisés en psychiatrie de plein exercice.
  • L’absence de projets de soins individualisés.
  • Des activités thérapeutiques insuffisantes.
  • L’absence d’un projet de service, d’une culture médicale partagée entre tous les soignants construite autour de réunions cliniques régulières.

Les points importants qui n’apparaissent pas dans les recommandations mais qui méritent une attention particulière sont les suivants :

  • La dotation annuelle de financement (DAF) de la psychiatrie doit trouver son plein emploi en psychiatrie, en particulier pour financer du personnel qualifié et en nombre suffisant, pour maintenir le mobilier et l’immobilier à un niveau décent.
  • La liberté des patients doit être la règle et l’interdiction l’exception, dûment individualisée et motivée cliniquement. Ceci s’applique pour la liberté de circulation, la possibilité de conserver quelque chose dans un placard, de téléphoner, de recevoir du courrier ou d’en écrire, de fumer, de se réunir dans un lieu convivial…
  • L’information des patients en SSC sur leurs droits spécifiques doit être assurée par du personnel formé, selon le principe que la connaissance des droits participe aux soins. La création d’un livret d’accueil spécifique à la psychiatrie en fait partie, comme la médiatisation par des interprètes quand cela est nécessaire. La présence d’associations représentant les proches et les patients doit être recherchée.
  • Les règles de droit doivent être appliquées par ceux qui en ont la charge, que ce soit l’administration du CHAR pour les décisions de SSC, par le TGI pour la mention des voies de recours sur les décisions, par la commission départementale des soins psychiatriques (CDSP) lors de ces contrôles.

Dans leurs observations, la directrice du CHAR et la directrice générale de l’ARS de Guyane ne contestent aucune des recommandations formulées dans l’un ou l’autre des deux documents qui leur ont été transmis.

La directrice du CHAR en prend acte en écrivant notamment « afin de tenir compte des remarques formulées à l’occasion de la visite de certification en avril 2018, complétée par le rapport de la Mission évaluation de la santé mentale en Guyane, le pôle de psychiatrie du centre hospitalier de Cayenne a initié une réorganisation du parcours du patient sur les unités d’hospitalisation, avec une distinction entre les unités ouvertes et celles fermées. Ce nouveau fonctionnement sera totalement effectif à partir du mois de février. D’importants travaux de réhabilitation vont accompagner les nouvelles modalités de fonctionnement des services ».

La directrice générale de l’ARS Guyane en prend acte en écrivant notamment « sans attendre, j’ai demandé aux deux centres hospitaliers de Guyane dotés d’une offre de soins psychiatriques de renforcer rapidement le respect des droits et de la dignité des patients, bien que ces sujets, et les investissements nécessaires ne fassent l’objet d’aucune trace dans les COPERMO récemment signés. Ce sujet figurera en bonne place dans les CPOM que je suis en train de négocier avec eux. De même, j’ai demandé que le projet médical du Groupement hospitalier de territoire, dont je viens d’arrêter la création, intègre pleinement une dimension psychiatrie – santé mentale. Ce projet me sera soumis dans les toutes prochaines semaines ».

Le Contrôle général s’interroge sur la capacité de l’établissement à mettre en œuvre des modifications profondes sans délai, dans un contexte de pénurie médicale et d’habitudes solidement ancrées. La recommandation publiée au Journal officiel vise les points sur lesquels des mesures urgentes et concrètes doivent être apportées.