Rapport de visite des services de psychiatrie des hôpitaux de Lannemezan (Hautes-Pyrénées)
Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, aux ministères de la justice et de la santé auxquels un délai de huit semaines a été fixé pour produire leurs observations. A la date de publication de ce rapport, aucune observation n’a été produite.
Synthèse
Sept contrôleurs ont effectué une visite des services de psychiatrie des hôpitaux de Lannemezan du 3 au 13 septembre 2018. La visite a été annoncée à la direction la semaine précédente. Le rapport provisoire établi à l’issue de cette visite a été communiqué à la directrice de l’établissement, au préfet des Hautes Pyrénées, au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Tarbes ainsi qu’au directeur de l’agence régionale de santé-délégation départementale des Hautes-Pyrénées. Par courrier du 21 mars 2019, la directrice des hôpitaux de Lannemezan a fait connaître les observations de l’établissement, lesquelles ont été reprises dans le présent rapport de constat définitif ; les autres destinataires n’ont pas donné suite à cet envoi.
L’hôpital psychiatrique de Lannemezan a été construit en 1938 sur un vaste site, distant de 2,5 km du centre-ville, où a pu se développer son architecture pavillonnaire. En 1975, un établissement privé, la Clinique locale du Plateau, a été intégré à l’hôpital psychiatrique. Les services de médecine, chirurgie et urgences ont été installés sur le site hospitalier de Lannemezan dans des locaux très modernes, le « Centre Médico-Chirurgical », construits en 1991. L’extension de l’activité a été traduite dans la nouvelle dénomination de l’établissement : « Hôpitaux de Lannemezan ».
Pour autant, l’activité psychiatrique reste prépondérante puisqu’elle représente 238 des 522 lits que compte le centre hospitalier de Lannemezan (CHL), le pôle médecine-chirurgie-obstétrique (MCO) en comptant 54 et les autres lits étant répartis dans diverses structures notamment celles du pôle de gériatrie. Le CHL constitue l’offre principale de soins psychiatrique du département qui compte quatorze psychiatres libéraux et deux cliniques prenant en charge des patients souffrant de troubles mentaux.
S’agissant de la psychiatrie adulte, le CHL est organisé en trois pôles ; chacun a en charge l’un des trois secteurs de psychiatrie du département des Hautes-Pyrénées et celui du Sud de la Haute-Garonne voisine ainsi qu’un ou plusieurs services transversaux, l’ensemble couvrant une population d’environ 310 000 habitants sur un territoire fortement rural et montagneux au sud. Chaque pôle dispose en propre de deux unités d’admission, l’une ouverte et l’autre fermée, en hospitalisation à temps plein. En outre, sur ce site sont implantées deux unités de réhabilitation intersectorielles, une unité de gérontopsychiatrie qui accueille des patients de deux des pôles, une unité de pédopsychiatrie qui prend en charge mineurs du département des Hautes-Pyrénées et une « unité sécurisée » où sont hospitalisées les personnes détenues à la maison centrale de Lannemezan ou à la maison d’arrêt de Tarbes. Enfin, une unité de « postcure » installée en ville à Tarbes accueille les patients de deux des pôles. La visite a porté sur l’ensemble de ces douze unités.
L’établissement a engagé depuis plusieurs années un virage ambulatoire qui porte ses fruits et permet de limiter le recours à l’hospitalisation
Les pôles psychiatriques des hôpitaux de Lannemezan bénéficient de nombreux atouts : une intégration forte au sein du contexte régional, la proximité de services somatiques réactifs, un effectif de soignants correct et des moyens matériels d’accueil et logistiques partiellement rénovés. L’établissement y a adjoint, par une politique conduite depuis plusieurs années et au prix de fermetures de lits, des structures extrahospitalières nombreuses et adaptées à la situation à la fois géographique et démographique de son ressort : outre des centres médico-psychologique (CMP), hôpitaux de jour (HDJ) et centres d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP) répartis sur l’ensemble de son territoire, il assure des services d’hospitalisation à domicile et organise des antennes de consultations médicales et infirmières dans les villes dépourvues de ces structures. L’unité de post-cure, judicieusement placée en ville, remplit son objectif de réadaptation.
La résidence d’une équipe de l’hôpital de Lannemezan au service des urgences de l’hôpital général de Tarbes permet d’éviter des hospitalisations ou d’organiser celles-ci dans une meilleure concertation avec les patients et leurs proches. Enfin, une liaison psychiatrique avec les hôpitaux de Lourdes et Saint-Gaudens participe également de la limitation des hospitalisations. Traduisant l’effectivité du virage ambulatoire et l’efficacité de ce dispositif, l’activité d’hospitalisation complète adulte a baissé de 16,9 % entre 2013 et 2017.
L’établissement connaît, comme la plupart des établissements spécialisés, des difficultés de recrutement de psychiatres. Lors de la visite, le taux de vacances global des postes était de 10 % ; il pesait principalement sur la pédopsychiatrie dont trois postes étaient vacants soit plus de la moitié des 5,6 ETP affectés.
L’établissement a recours à des médecins généralistes dont il soutient la formation vers la spécialisation en psychiatrie mais déplore qu’une fois la spécialité acquise, ils quittent l’établissement pour des postes plus avantageux financièrement ou géographiquement.
L’organisation des services intra hospitaliers et les conditions de fonctionnement des unités, imprégnées de préoccupations de sécurité, n’érigent pas le respect des droits fondamentaux des patients en critère essentiel de la qualité de la prise en charge.
Les conditions de vie permettent à une partie des patients de bénéficier, hors les locaux des unités, d’un cadre agréable, dans un large parc de verdure et à proximité de la ville qu’ils peuvent rejoindre aisément par une navette régulière, financée et organisée par le centre hospitalier.
Néanmoins, la qualité des bâtiments d’hébergement est très inégale, il reste des chambres à deux lits, certaines sont sans douche, ainsi que des unités sans espace extérieur. Les locaux de l’unité de gérontopsychiatrie sont dégradés et inadaptés à leurs patients.
Le maintien d’une logique stricte de sectorisation dans l’organisation de l’hospitalisation pèse indirectement sur les libertés des patients et leur prise en charge : chaque secteur disposant de deux unités de vingt lits, l’une ouverte et l’autre fermée, induit que soixante lits sont en unités fermées sans que la pertinence de ce nombre soit analysée et validée. Or, les restrictions sont plus intenses dans les unités fermées : retrait du téléphone personnel, impossibilité de se rendre librement dans les patios intérieurs de ces pavillons sauf en présence d’un soignant en raison, alléguée, de risque de fugue. Des patients en soins libres sont admis dans ces unités fermées.
Une faiblesse de la réflexion institutionnelle se ressent sur plusieurs points : la fermeture des unités et la limitation des déplacements des patients à l’intérieur imposée par une précédente direction n’a jamais été remise en cause. La préoccupation de sécurité est constante pour toutes les catégories de personnel. Elle s’exprime d’abord très clairement et expressément par la peur de chacun qu’on lui fasse porter la responsabilité d’un incident, par exemple une fugue et ses conséquences ; la question de la sûreté des patients eux-mêmes n’apparait qu’en second lieu : trafics et rackets ont lieu sur le site sans que la question ne soit réellement travaillée.
Il faut souligner qu’un important travail a été conduit en groupes pour l’amélioration des procédures d’isolement, la formation aux techniques de désescalade et le renseignement du registre. Cependant, l’établissement n’a pas encore d’outil sûr d’observation des pratiques : nombre, et durée ne sont pas évalués, le registre 2017 n’est pas fiable et est difficilement utilisable. Une réflexion collective pour changer de conception, reste à conduire, notamment pour les enfants ou les sujets âgés, l’isolement demeurant en effet perçu par les équipes rencontrées comme une continuité du soin et non comme un dernier recours pour gérer une situation de crise.
Certains des locaux d’isolement sont indignes, singulièrement ceux de l’unité de gérontopsychiatrie dont la réfection devait commencer quelques semaines après la visite.
La prise en charge somatique est très bien assurée avec des temps de généraliste suffisants, des postes pourvus, une permanence de généraliste 24h/24 et le plateau technique du MCO sur le site. Mais la délivrance des traitements est opérée en totale méconnaissance du secret médical qui doit s’y attacher : la distribution est faite à table avec éventuellement des précisions orales audibles par tous sur les spécificités du patient.
La préoccupation sécuritaire culmine dans la prise en charge des patients détenus. Comme dans la plupart des hôpitaux, le statut de détenu prévaut sur sa situation de patient et son état clinique. Un bâtiment leur est réservé, comportant quatre chambres d’isolement matériellement gérées de façon pénitentiaire : grilles, poste de surveillance tenu par un soignant lorsqu’un détenu est présent, surveillance par caméra qui visualise les toilettes au mépris de l’intimité du patient. En pratique, la rigueur du séjour est supérieure à celle des prisons même centrales. Le patient-détenu ne jouit pas des mêmes droits qu’en prison (visites, téléphone, promenades). Un seul lit administratif est habilité par l’ARS, les quatre chambres ne sont donc jamais occupées ensemble mais lorsqu’un détenu est admis, deux soignants sont présents en permanence et six lors des ouvertures des portes. Comme ces soignants sont pris sur les équipes des unités, toute présence d’un détenu déstabilise plusieurs unités.
Une réflexion institutionnelle étendue à l’ensemble des professionnels de santé sur la prise en charge des patients au sens large, fait défaut et la vision strictement médicale prime sur tous les autres aspects.
La nouvelle directrice, qui a pris son poste 1er janvier 2018 dans un hôpital dépourvu d’un véritable projet a dû, dès son arrivée, prendre en charge ou finaliser des dossiers périphériques, notamment la constitution du groupement hospitalier de territoire (GHT). Cette dernière procédure a été compliquée ; ainsi s’expliquerait l’absence de disponibilité pour l’élaboration d’un projet d’établissement. Elle explique peut-être aussi la distance entre la réalité du fonctionnement et la perception qu’en ont certains responsables de l’établissement, distance mesurable dans la teneur des observations apportées par le centre hospitalier au rapport provisoire qui lui a été soumis.
L’ensemble des interlocuteurs rencontrés souligne que l’autorité médicale ne souffre pas de critique ou débat dans cet établissement, contexte peu favorable à une réflexion collective interprofessionnelle.
Faute de référence commune, chaque pôle et chaque médecin intervient sur son territoire avec ses méthodes propres et une faible ou inexistante préoccupation de travail d’équipe pluridisciplinaire au sein de l’unité.
Les unités de réhabilitation en sont une illustration extrême : la gestion des moyens, en principe intersectoriels, y est quasi cadastrale, jusqu’à l’affectation physique des patients dans les chambres et lits en fonction de leur secteur de domicile. Faute d’un médecin référent pour l’ensemble de la réhabilitation, un projet de service est inconcevable. Ainsi, trois réunions de synthèses sont organisées par mois (une par pôle) avec chacun des trois médecins référents des patients de son pôle, conduisant à des pratiques différentes pour des patients présentant les mêmes troubles, différences imposées tout autant aux soignants qui doivent néanmoins les gérer.
Dans les unités, la présence médicale des psychiatres est floue, incertaine dans la durée et les horaires. Il en résulte un faible niveau d’échange entre les différentes catégories de personnels de santé et une insuffisante ou inexistante culture de travail d’équipe pluridisciplinaire faute d’implication médicale dans son animation et son étayage. Ce déficit, traduit au premier chef par la quasi-absence de réunions de synthèse dans la plupart des unités, est unanimement déploré par les équipes. L’absence d’activités au sein des unités, en est également une conséquence. Les infirmiers se sentent limités à leur rôle prescrit au détriment de leur rôle propre. Il a été largement témoigné aux contrôleurs que cette situation conduit à une perte de sens de leur action pour les soignants et de sens de leur hospitalisation pour les patients.
Des réflexions sont pourtant en cours, notamment sur la prise en charge en réhabilitation ou sur le recours à l’isolement.
Ce travail collectif doit s’étendre et s’inscrire dans une démarche institutionnelle impliquant toutes les catégories de personnel, portant une réflexion globale sur la qualité de la prise en charge – dont le respect des droits des patients est un élément primordial. Il doit aboutir à projet d’établissement qui, faisant référence pour l’ensemble de la communauté, pourra se décliner dans les projets des pôles et des unités.
Il devra s’étendre, en concertation avec l’administration pénitentiaire, aux conditions de d’hospitalisation des patients détenus dont la rigueur systématique porte atteinte non seulement aux droits du patient mais autant à ceux de la personne détenue.