Rapport de la deuxième visite du centre éducatif fermé de la Jubaudière (Maine-et-Loire)
Observations du ministère de la justice – CEF de la Jubaudière (2e visite)
Synthèse
Trois contrôleurs ont effectué une visite inopinée du centre éducatif fermé (CEF) de la Jubaudière à Beaupréau-en-Mauges (Maine-et-Loire) du 1er au 3 août 2018. Cette mission a fait l’objet d’un rapport de constat qui a été adressé le 5 février 2019 au directeur du centre, à la directrice territoriale de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), au président du tribunal de grande instance d’Angers et au procureur de la République près ce tribunal, ainsi qu’au directeur général de l’association Sauvegarde Mayenne-Sarthe (SMS) qui gère l’établissement. Le directeur du CEF, le directeur de l’association SMS – désormais appelée INALTA – et la directrice territoriale de la PJJ ont émis des observations, respectivement les 18 et 19 mars 2019. Celles-ci ont été intégrées au présent rapport. Il s’agissait d’une seconde visite, la première ayant eu lieu en 2011.
Le CEF de la Jubaudière a ouvert ses portes en 2006 et relève du secteur associatif habilité. D’abord confié à l’association des cités du Secours catholique, il a été confronté à d’importantes difficultés de fonctionnement à partir de 2014 et a fermé en juin 2015. Il accueillait de nouveaux jeunes un an plus tard, sous l’égide de l’association SMS. Il peut héberger jusqu’à douze garçons, âgés de treize à dix-sept ans. Neuf mineurs – dont un étranger non accompagné – étaient présents au CEF lors de la visite : sept placés sous contrôle judiciaire et deux purgeant des peines correctionnelles sous le régime du sursis avec mise à l’épreuve. Ces adolescents sont accueillis dans des conditions matérielles satisfaisantes : les bâtiments et le parc sont vastes, aérés et fonctionnels. Le personnel, représentant 25,8 salariés en équivalent temps plein, est moins nombreux que lors du précédent contrôle (29,8 en 2011). Il est peu qualifié même si la formation continue est investie. Par ailleurs le manque d’agents au pôle maison se fait ressentir en terme de propreté, d’éducation à l’hygiène, de gestion de la cuisine. Lors de la mission, le climat était tendu : à la suite du dépôt de plainte d’un mineur en juin 2018, un contrôle de dysfonctionnement avait été opéré par la direction interrégionale de la PJJ et l’équipe attendait le rapport définitif. Il leur est parvenu le dernier jour de la mission.
Les contrôleurs n’ont pas observé d’impact particulier des recommandations de 2011, ce qui peut être dû au changement d’association gestionnaire. Même si des actions correctives ont été engagées à la suite du rapport (disparition des tensions entre le pôle santé et le pôle éducatif, en particulier), certaines recommandations importantes n’ont pas été suivies d’effet (absence de formalisation du projet éducatif individualisé, notamment par le document individuel de prise en charge, et ce malgré les réponses encourageantes du ministre de l’époque ; absence d’outils pour observer le devenir des jeunes à la sortie du CEF). En parallèle, une grande partie des bonnes pratiques relevées à l’époque est toujours d’actualité. Parmi elles la qualité globale des relations entre l’équipe et les mineurs reste l’un des points forts d’une structure qui situe son action éducative dans l’accompagnement, entre autorité et humanité, et non dans l’enfermement.
A la suite de la visite de 2018, le constat est partagé. Le CEF compte de vrais atouts : les professionnels échangent efficacement dans l’intérêt de suivi du jeune, il n’y a pas d’oisiveté, le pôle santé est efficace, l’insertion professionnelle est un objectif poursuivi avec implication tout comme la préparation à la sortie. Les jeunes sont peu limités dans leur liberté d’aller et venir, à la fois parce qu’ils sortent énormément du CEF (beaucoup d’activités à l’extérieur) et parce que la configuration des locaux les entrave peu. Pour autant de sérieux manquements sont apparus.
Une première série d’entre eux concerne les écrits. Une partie des écrits institutionnels est obsolète voire manquante ; certains documents opérationnels sont à créer, à reprendre ou à préciser. Par ailleurs, les informations concernant les jeunes sont trop éparses, réparties dans quatre ou cinq dossiers distincts, et entreposées dans des lieux différents. Comme il a été indiqué ci-dessus, le document individuel de prise en charge n’est toujours pas satisfaisant, sur le fond comme sur la forme. Dans tous les cas, le caractère contradictoire et la traçabilité des documents sont insuffisants.
La deuxième série de difficultés concerne la fonction hôtelière. D’une part les locaux communs sont sales et mal rangés. D’autre part, en l’absence de lingère et de cuisinière depuis plusieurs mois, ce sont les éducateurs, non formés et non impliqués, qui préparent les repas dans une cuisine qui ne répond pas aux normes d’hygiène et ne fait pas l’objet de contrôles par des organismes agréés.
Enfin, la troisième série d’écueils a trait aux pratiques et positionnements professionnels. Les éducateurs ont peu intégré que l’hygiène et le rangement des chambres avaient une fonction éducative. Les chambres sont donc pour la majorité sales et mal entretenues, dans l’indifférence générale. Les familles ne sont pas assez positionnées comme interlocutrices de proximité par les équipes. En outre, jusqu’en juin 2018, les fouilles des mineurs portaient atteinte à leur intimité et leur dignité. Les fouilles de chambres étaient régulières, en l’absence de l’adolescent. Au moment du contrôle, aucune fouille n’était plus opérée, à la fois en réaction à la mise en cause du comportement de plusieurs salariés par un mineur ayant déposé plainte, et dans l’attente du rapport de la PJJ évoqué plus haut. L’absence totale de contrôle posait de nouveaux problèmes – introduction manifeste de stupéfiants, modifiant le comportement habituel des mineurs ; risque d’introduction d’armes blanches – que l’encadrement ne savait juguler. Si le CGLPL recommande que des solutions, au carrefour du droit à la sécurité et du droit à la dignité, soient dégagées dans l’intérêt des adolescents pris en charge, il ne lui appartient pas de les élaborer au cas par cas. Les contrôleurs regrettent que les différentes observations au rapport de constat ne leur aient pas permis de savoir si la réflexion en cours au moment de la mission et dans les mois suivants avait abouti à la mise en œuvre de telles solutions équilibrées. En tout état de cause, il semble que le parquet et la gendarmerie n’aient pas encore été associés à cette réflexion, dans un contexte général de signalement insuffisant des incidents par ailleurs.
Un certain nombre de recommandations présentes dans le rapport de constat, qui avaient pu être exposées oralement à la directrice territoriale de la PJJ ou au directeur du CEF, ont déjà été suivies d’effet selon les éléments transmis au CGLPL. Même s’ils n’ont pu vérifier par eux-mêmes la réalité de ces progrès, il semble qu’entre le départ des contrôleurs et le présent rapport de visite, la réunion jeunes a été réactivée (décembre 2018), le nouveau projet d’établissement a été présenté aux autorités de tutelle (janvier 2019), une fiche de procédure a été écrite concernant les fouilles et inventaires (mars 2019), les avenants du dossier individuel de prise en charge sont signées par les jeunes et présentées aux familles qui sont désormais conviées, une bibliothèque a été créée. Les contrôleurs ne peuvent que saluer la réactivité de leurs interlocuteurs et espèrent que les autres recommandations du présent rapport seront suivies avec la même détermination.