Au Journal officiel du 22 novembre 2019, le Contrôleur général a publié un avis relatif à la prise en charge des personnes détenues atteintes de troubles mentaux. Cet avis a été transmis à la ministre de la justice ainsi qu’à la ministre des solidarités et de la santé pour qu’elles puissent formuler des observations. La ministre de la justice a apporté ses observations, également publiées au Journal officiel. Les observations de la ministre de la santé, parvenues au CGLPL après la publication, sont accessibles ci-dessous.
Lire l’avis et les observations du ministère de la justice
Lire les observations de la ministre des solidarités et de la santé
Depuis sa création, le CGLPL a relevé à de nombreuses reprises les carences de la prise en charge de la santé mentale des personnes détenues et leurs lourdes conséquences. Il dresse un constat accablant de cette situation et entend réaffirmer le principe d’une égalité réelle d’accès aux soins et de traitement entre les patients détenus et le reste de la population.
Les constats du CGLPL portent sur des situations concrètes : des pathologies lourdes aggravées par l’enfermement et l’isolement, un risque de suicide accru et des conditions de détention qui perturbent l’accès aux soins, nuisent à leur efficacité et, finalement, privent la sanction pénale de son sens. A l’origine de ces situations, trois facteurs principaux peuvent être identifiés : la méconnaissance des pathologies affectant la population pénale, l’insuffisance des moyens institutionnels de leur prise en charge et la banalisation d’atteintes quotidiennes aux droits fondamentaux, parfois de faible gravité, mais récurrentes.
Les pathologies mentales affectant les personnes détenues sont mal connues
- Les études épidémiologiques sont anciennes ou partielles
La dernière étude épidémiologique générale réalisée en France sur la santé mentale dans les prisons françaises remonte à 2007. Le CGLPL fait état depuis de nombreuses années de la carence d’une analyse qualitative fine de la souffrance psychique des détenus, de l’évolution des troubles au cours de la détention et des effets potentiellement pathogènes de l’incarcération, et souligne la nécessité de mieux connaitre l’importance des troubles psychiatriques dans les lieux d’enfermement.
Les ministres de la justice et de la santé ont annoncé le lancement d’une étude pour évaluer la santé mentale des détenus. Il est aujourd’hui indispensable d’améliorer la connaissance des pathologies mentales chez les personnes détenues, en l’orientant vers la recherche d’une prise en charge adaptée et la définition d’une politique de soins.
- La justice ne dispose pas des moyens nécessaires pour identifier les pathologies mentales
Parmi les principales causes identifiées de la surpopulation carcérale figurent la détention provisoire et la procédure de comparution immédiate, destinée à accélérer la réponse pénale, et qui aboutit fréquemment à des incarcérations immédiates. Or, les personnes souffrant de troubles mentaux ont souvent des difficultés à s’exprimer, notamment sur l’existence d’un suivi psychiatrique. Lorsqu’une expertise psychiatrique est diligentée, elle n’est pas suspensive : la personne est donc susceptible d’être incarcérée dans l’attente des conclusions. Les expertises psychiatriques, qui ne sont systématiques qu’en matière criminelle et qui ne lient pas le juge, concluent en outre rarement à l’irresponsabilité totale.
Les dispositions relatives à la responsabilité pénale dans les situations d’abolition ou d’altération du discernement mériteraient d’être réexaminée afin de mettre le juge en mesure de mieux appréhender la santé mentale des personnes prévenues.
- Le personnel pénitentiaire n’est pas formé pour appréhender et gérer la maladie mentale
Certains troubles mentaux préexistent à l’incarcération, tandis que d’autres peuvent survenir au cours de la détention. Dans tous les cas, la maladie mentale affectant la personne détenue introduit une complexité dans sa relation avec le personnel pénitentiaire, que sa formation, axée sur la sécurité, ne prépare pas à la gestion de la maladie mentale. Le personnel de surveillance est mal armé pour comprendre la maladie mentale et mettre en œuvre des modalités de prise en charge adaptées.
Le CGLPL recommande que le personnel de surveillance des établissements pénitentiaires bénéficie systématiquement d’une formation élémentaire à la détection et à la gestion des troubles mentaux de la population pénale. Il ne s’agit évidemment pas de conduire des surveillants à prendre en charge la pathologie mais de favoriser son repérage et la mise en œuvre de modalités de surveillance qui la prennent en compte sans l’aggraver.
La prise en charge des personnes détenues atteintes de pathologies mentales est inégale et incomplète
- Les moyens pour garantir l’accès aux soins sont insuffisants
La prise en charge de la maladie mentale en prison est organisée selon trois modalités :
- l’ambulatoire, dans les unités sanitaires en milieu pénitentiaire (USMP) ;
- l’hospitalisation de jour dans les services médico-psychologiques régionaux (SMPR) et certaines USMP ;
- l’hospitalisation complète, soit en UHSA (unité hospitalière spécialement aménagée), en soins libres ou sans consentement, soit dans des services psychiatriques de proximité, uniquement en soins sans consentement.
Malgré cette organisation pertinente, les patients détenus ne disposent pas d’un accès aux soins équivalent à celui des patients libres.
La progression inquiétante du nombre des détenus en maisons d’arrêt ne s’est pas accompagnée d’un développement parallèle des moyens de santé. L’accès aux soins ambulatoires et à l’hospitalisation de jour est très inégal en fonction de la présence ou non d’un SMPR dans l’établissement. L’inégale répartition territoriale et le faible nombre des neuf UHSA contrarient le principe d’égalité d’accès aux soins en fonction de la distance qui sépare les prisons des UHSA, et accroissent les délais d’attente pour accéder à ces dernières.
La coordination du dispositif est insuffisante pour garantir une réelle continuité des soins. Le retour en prison après un séjour en UHSA ou à l’hôpital, n’offrent pas un environnement adapté à la prise en charge de troubles psychiatriques comme le ferait un centre médico-psychologique en milieu ouvert. Il en résulte pour certains patients un cycle sans fin d’hospitalisations et de retours en détention après un rétablissement toujours incomplet. Si l’idée d’instituer des programmes de soins en milieu pénitentiaire peut paraître séduisante, elle repose sur une assimilation excessive de la prison au domicile personnel et sur l’illusion que le milieu pénitentiaire est en mesure de fournir des prestations d’accompagnement et de soutien que l’on n’y trouve pas dans les faits.
Des mesures seraient de nature à répondre aux besoins identifiés par le CGLPL : définir un ratio de personnel médical par détenu, renforcer le rôle des agences régionales de santé dans la définition d’une offre de soins cohérente et réaliser une évaluation de la première tranche des UHSA.
- La prise en charge médicale au sein des établissements pénitentiaires est inadaptée
La prise en charge des troubles du comportement en milieu pénitentiaire présente de graves faiblesses. Dans la grande majorité des établissements pénitentiaires visités, le CGLPL a constaté de nombreuses difficultés rencontrées par les personnes détenues pour accéder à des soins psychiatriques : manque d’effectifs affectant le personnel médical, délais importants pour obtenir un rendez-vous avec un psychiatre, etc.
Parmi les établissements supposés permettre une prise en charge adaptée, le centre pénitentiaire de Château-Thierry (Aisne) a vocation à accueillir des personnes condamnées présentant des troubles du comportement rendant difficile leur intégration à un régime de détention classique, mais ne relevant ni d’une prise en charge par un SMPR, ni d’une hospitalisation en soins psychiatriques sans consentement, ni d’une UHSA. Le CGLPL a constaté, lors de sa dernière visite en 2015, que l’établissement accueille en réalité des personnes détenues atteintes de troubles psychotiques sévères dont l’établissement d’origine n’est plus en mesure d’assurer la prise en charge, et ce pour des séjours parfois longs ou récurrents. La vocation première de l’établissement se trouve détournée pour pallier les carences structurelles de la prise en charge des détenus atteints de pathologies psychiatriques. Le CGLPL estime qu’une telle prise en charge des troubles du comportement en milieu pénitentiaire présente de graves faiblesses qui font obstacle à ce que cet établissement puisse être considéré comme un modèle à reproduire.
L’existence même d’un tel établissement repose sur une ambiguïté de principe relative à la place des personnes atteintes de pathologies mentales en prison. Pour améliorer la prise en charge des personnes détenues souffrant de troubles mentaux, il apparaît plus approprié de développer les structures hospitalières sécurisées que de créer des prisons médicalisées. Le CGLPL considère qu’une personne souffrant d’une pathologie mentale nécessitant une prise en charge de longue durée, notamment parce qu’elle n’est pas en capacité d’apprécier et de mesurer la portée de la peine, n’a pas sa place en prison : elle doit faire l’objet d’une prise en charge confiée à des soignants et à ce titre, être orientée vers un établissement de santé.
- La suspension de peine pour raisons médicales est très rarement accordée
L’article 720-1-1 du code de procédure pénale permet la suspension d’une peine d’emprisonnement notamment lorsque l’état de santé mentale d’une personne détenue est durablement incompatible avec le maintien en détention. Or, les suspensions de peine accordées sur ce fondement demeurent trop rares, faute notamment d’un repérage pertinent des personnes susceptibles d’en bénéficier (expertises insuffisantes, personnel mal formé) et de l’absence de structure d’accueil.
La prise en charge des personnes détenues durablement atteintes de troubles mentaux ne doit pas être l’affaire de l’administration pénitentiaire. Elle doit donc donner lieu à une suspension de peine pour raison médicale et se poursuivre en milieu hospitalier ordinaire, y compris, si c’est nécessaire, en unité pour malades difficiles. À titre exceptionnel, dans les cas où cette mesure se révèle impossible, les pathologies mentales chroniques doivent être prises en charge dans un ou plusieurs établissements hospitaliers de long séjour sécurisé par l’administration pénitentiaire sur le modèle des UHSA, qui doivent rester consacrées au traitement des crises.
Le CGLPL recommande favoriser le développement de structures hospitalières sécurisées en lieu et place de la création de prisons médicalisées afin d’assurer une prise en charge adaptée, y compris de longue durée, aux personnes détenues souffrant de troubles mentaux.
- La continuité des droits du patient séjournant en UHSA n’est pas toujours garantie
Les UHSA sont des établissements hospitaliers dont la sécurité périmétrique est assurée par un établissement pénitentiaire.
La fluidité des relations entre les équipes hospitalières et pénitentiaires : l’absence d’information sur la durée des séjours interdit aux patients détenus de gérer leur paquetage ; les fiches de liaison entre les établissements et l’unité hospitalière sont mal renseignées ou manquantes, de sorte que les niveaux d’escorte sont décidés de manière arbitraire ; le service pénitentiaire d’insertion et de probation et les services sociaux ne sont pas présents ; les conditions de détention et de visite sont défavorables , etc. La dureté de ces conditions de séjour conduit de nombreuses personnes détenues à refuser une hospitalisation.
Il convient d’envisager toute mesure utile pour qu’une personne détenue placée en unité hospitalière ne subisse pas de restriction de ses droits, en veillant notamment à assurer la continuité de sa situation administrative et à doter les unités hospitalières des moyens et infrastructures adaptés (parloirs, activités, cantine, etc.).
- Les conditions de prise en charge des personnes détenues dans les services psychiatriques de proximité portent atteinte à leur dignité
Le CGLPL constate que les personnes détenues hospitalisées sans consentement dans les services psychiatriques de proximité sont presque systématiquement placées en chambre d’isolement et quelquefois sous contention, même si leur état clinique ne le justifie pas, pendant toute la durée de leur séjour.
En outre, les conditions dans lesquelles les personnes sont transportées de l’établissement pénitentiaire à l’hôpital sont particulièrement attentatoires à leurs droits, dans la mesure où le transport est effectué par des soignants en véhicule sanitaire avec contention systématique. Les patients détenus ne devraient pas être systématiquement placés sous contention lors de leur transport, une telle mesure ne devant être mise en œuvre que sur prescription médicale et en raison du comportement de l’intéressé, jamais en raison de son statut.
De telles mesures de contraintes, décidées en l’absence de toute indication thérapeutique, doivent être regardées comme constituant un traitement cruel, inhumain et dégradant. Le CGLPL recommande que des directives nationales soient données pour mettre un terme au menottage systématique des personnes pendant leur transport et leur placement systématique à l’isolement, pratiques sécuritaires qui ne sont pas plus nécessaires que proportionnées.
- La sortie de prison peut être accompagnée d’une rupture de la prise en charge
La fin de la détention peut occasionner une rupture de la prise en charge. Il existe des consultations « sortants » destinées à préparer la sortie, à identifier un médecin référent et à faciliter la transmission du dossier médical à ce dernier, mais la surpopulation pénale, la situation sociale précaire des personnes libérées et les difficultés intrinsèques du secteur psychiatrique rendent souvent ce dispositif inopérant. Cette situation peut conduire à des incarcérations itératives, phénomène aggravé par les carences dans la détection de la maladie mentale dans le cadre des procédures de comparution immédiate : une personne détenue atteinte de troubles mentaux est libérée sans accompagnement médical, réitère des actes qui la conduisent devant la justice, laquelle ne détecte pas toujours lesdits troubles et prononce, faute de garanties de représentation, une nouvelle peine d’emprisonnement.
Pour enrayer cette dynamique, il convient de coordonner efficacement les moyens sociaux, médicaux et judiciaires, de manière que les personnes concernées puissent bénéficier d’un accompagnement sanitaire et médico-social, d’un accès facilité à un logement et à l’emploi et d’une articulation des soins en milieu ouvert et en milieu fermé cohérente avec les contraintes liées à l’exécution de la peine. Les enjeux de la prise en charge psychiatrique des sortants de prison sont en effet essentiels pour leur réinsertion.