Rapport de visite du centre hospitalier spécialisé Edouard Toulouse à Marseille (Bouches-du-Rhône)
Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, au ministère de la santé auquel un délai de huit semaines a été fixé pour produire ses observations. A la date de publication de ce rapport, aucune observation n’a été produite.
Suivi des recommandations à 3 ans – Centre hospitalier spécialisé Edouard Toulouse à Marseille
Synthèse
Sept contrôleurs ont effectué une visite du centre hospitalier spécialisé Edouard Toulouse (CHET) de Marseille (Bouches-du-Rhône) du 3 au 13 octobre 2016. Un rapport de constat a été adressé le 4 juillet 2017 au directeur de l’établissement qui a communiqué en réponse ses observations, accompagnées de celles du président de la commission médicale d’établissement, le 15 septembre 2017. Le présent rapport de visite intègre ces observations.
Il convient d’indiquer qu’il s’agissait d’une première visite, laquelle s’intégrait dans le plan de visite systématique de tous les établissements de santé mentale admettant des patients en soins sans consentement et non, comme a pu l’envisager a posteriori la direction de l’établissement, comme faisant suite à des suspicions de faits de maltraitance ; au surplus, ces faits n’ont été portés à la connaissance du Contrôleur général que par la relation qui en a été faite sur place aux contrôleurs par les responsables de l’unité intéressée. Il convient également de préciser que les observations concluant ces visites résultent des constats effectués sur place lors de la présence des contrôleurs et ne sauraient prendre en compte des situations futures prévues par des projets dont l’exécution n’est, au demeurant, pas toujours assurée. Pour autant, le rapport fait état de modifications prévues lorsque la réalisation de celles-ci est engagée et certaine.
Le CHET accueille, dans le cadre de la sectorisation, les habitants des communes des Pennes-Mirabeau, de Septème-les-Vallons ainsi que ceux des quatre premiers et quatre derniers arrondissements de Marseille – qui comprennent notamment les « Quartiers-Nord » -, soit concrètement les plus pauvres de l’agglomération et les plus abimés par leurs conditions matérielles et sociales de vie. L’ensemble représente 380 000 habitants.
Les 235 lits du CHET sont répartis dans douze unités d’hospitalisation temps plein : une unité pour chacun des six pôles de psychiatrie générale pour adultes, trois unités intersectorielles pour patients en soins prolongés, une unité d’addictologie, une unité de pédopsychiatrie (cinq lits) et une unité d’accueil d’urgence (huit lits), les locaux de ces deux dernières unités étant installés dans l’Hôpital Nord, distant de 1,2 km du CHET.
L’état général ou l’aménagement intérieur de certains bâtiments impose de réaliser au plus vite les travaux de rénovation ou de construction permettant d’accueillir dignement les patients dans toutes les unités.
La plupart des pavillons sont non seulement vétustes mais également dégradés, leur entretien étant insuffisant. Certains sont inadaptés et d’autres carrément indignes : peintures cloquées, carrelage cassés, linoléum des chambres disparu par endroits. Des cours intérieures sont jonchées de mégots et détritus. Les locaux de l’unité de soins intensifs pour adolescents sont insuffisants et inadaptés.
Certes, des travaux de réhabilitation et de rénovation ont été réalisés dans les années passées et le schéma directeur immobilier adopté en juin 2016, qui actualise le projet d’établissement 2012-2016 pour les années 2016-2020 et 2021-2025, propose de réaliser d’importants investissements de rénovation de bâtiments anciens ou de construction de nouveaux ensembles immobiliers.
Il n’en reste pas moins que, considéré en prenant en compte principalement l’intérêt et le bien-être des patients, le bilan, examiné lors de la visite du Contrôle, est limité, quelles que soient les causes de cette situation : les bâtiments des pôles G 11 et G 12, fort anciens, sont toujours dégradés ; la synthèse des travaux réalisé en 2017 et 2018 pour la mise à niveau des chambres d’isolement fait apparaître que des aménagements élémentaires (appels malades, suppression des dalles WC, chasses d’eau) sont encore seulement programmés.
Enfin, si le total des investissements envisagés pour la période 2016-2020 s’élève à 17,4 millions d’euros, seuls 775 000 € d’investissements étaient prévus en 2016 pour amorcer la réalisation du schéma immobilier.
Le fort taux de patients en soins sans consentement ne pèse pas sur les conditions de la prise en charge de ces derniers.
L’organisation de l’hospitalisation plein temps suit la logique du secteur : chaque unité, hormis celle de pédopsychiatrie et celle d’accueil d’urgence, hospitalise les patients d’un secteur soit ceux d’un arrondissement ou d’un groupe d’arrondissements. Toutes les unités reçoivent donc des patients en soins sans consentement et ce, dans une proportion importante, dépassant 60 % des admissions en moyenne. Cette situation motive, en interne, la fermeture de toutes les unités, sauf certaines ouvertes quelques heures dans la journée. En contrepartie du nombre important de ces patients, les autorisations de sortir de l’unité bénéficient à tous, indépendamment de leur statut d’admission.
De même, ce statut ne pèse ni sur la prise en charge ni sur les contraintes imposées. La mise en œuvre des règles de vie varie selon les unités, mais, dans chacune d’entre elles, les libertés sont la règle et les restrictions l’exception sur prescription. Les téléphones sont donc, en principe, laissés aux patients, de même que les cigarettes ou les effets. L’imposition du pyjama est exclue, sauf à l’isolement.
L’information des patients en soins sans consentement sur leurs droits appelle une meilleure observation des procédures et un renforcement de la formation du personnel soignant.
La notification de leurs droits aux patients soignés sans leur consentement est, en principe, effectuée verbalement par le médecin ou l’infirmier mais on constate que le contenu de ces droits est méconnu ; la décision n’est pas remise, au motif allégué que les patients n’en veulent pas, l’implication des médecins et soignants est insuffisante. Leurs droits ne sont pas notifiés aux patients admis sur décision du représentant de l’Etat, ni avec la décision ni en plus de celle-ci. L’envoi de l’arrêté par l’ARS ne les prévoit pas, sans que personne ne se soit jamais alerté de cette absence.
Par ailleurs, la forte proportion des admissions en procédure d’urgence (deux-tiers des personnes en soins sur demande d’un tiers) donc sur le fondement d’un seul certificat médical et rédigé par un psychiatre de l’établissement, doit être examinée pour justifier qu’une procédure classique de soins sans consentement sur demande d’un tiers, avec la double garantie médicale qu’elle comporte, ne puisse pas plus souvent être mise en œuvre.
Le recours à l’isolement est important, en nombre et en durée, dans des conditions matérielles souvent indignes et selon des procédures mal tracées.
Les chambres d’isolement, associées dans certaines unités à des « chambres fermables » (dont le statut d’utilisation est assez flou) sont installées au rez-de-chaussée des bâtiments dans une « zone de soins intensifs » ; elle comprend, outre ces chambres, un espace meublé de tables où les isolés prennent leur repas et des sanitaires – douches et WC.
La plupart des chambres d’isolement sont des lieux indignes, de même que les moyens donnés aux isolés : pas de papier toilette, pas de chasse d’eau accessible. L’habillement est parfois avilissant (nudité, seulement la couverture), la température n’est pas toujours adaptée.
La situation de la zone d’isolement, à l’extrémité des bâtiments, a pour effet que les personnes qui y séjournent sont très éloignées des postes de soins, donc des soignants comme des autres patients ; faute de bouton d’alarme à leur disposition, les isolés frappent longuement aux portes pour appeler et être entendus.
Un patient sur trois hospitalisé au CHET fait un séjour en chambre d’isolement pour une durée moyenne de 17 jours. Il a été rapporté que le recours à des sédatifs pour accompagner l’isolement au moment de crise se poursuivait une fois celle-ci réduite ; un des motifs de cette poursuite était de permettre au patient de supporter ces conditions d’isolement humainement insupportables. Le recours à l’isolement s’écarte de la simple gestion de la crise. Dans chaque unité, les isolés (jamais pour moins de 24h) peuvent faire des « sorties progressives », d’abord dans la zone elle-même, ne serait-ce que pour les repas, puis ils peuvent rejoindre les autres pour un repas ou quelques heures.
L’ensemble de ces pratiques ne sont pas interrogées et encore moins remises en cause. Au contraire, le projet de reconstruction de deux unités prévoit la mutualisation entre elles de la zone de soins intensifs pour en faire une zone de six chambres avec équipe de soignants présents en permanence.
Le registre d’isolement est mis en place sous forme informatisée. Il permet de constater l’absence fréquente de décision initiale, de renouvellement et d’interruption ainsi que de surveillance. Les équipes trouvent un intérêt modeste à tracer leurs actes, laissant naître un doute entre l’absence de traçage et l’absence d’acte lui-même.
En revanche, à la différence de la plupart des établissements de santé mentale, le CHET ne procède pas au placement systématique des patients détenus en chambre d’isolement et favorise leur orientation dans les unités acquises à une prise en charge exclusivement fondée sur le soin.
L’amélioration nécessaire de certaines procédures appelle une réflexion et une harmonisation à l’échelle de l’établissement
Le choix organisationnel de la reproduction des secteurs pour l’hospitalisation temps plein, ne doit pas conduire au désinvestissement des responsables sur les procédures transversales ou les fonctionnements institutionnels dont doivent bénéficier tous les patients. Ainsi, le fonctionnement de la commission des usagers doit être amélioré et les avis du comité d’éthique pris en compte ; les personnes bénéficiant d’une mesure de protection juridique doivent être recensées et les actions qu’elles nécessitent mises en œuvre. La sécurité des patients dans l’enceinte de l’établissement doit être mieux assurée. Le taux élevé d’absence des patients lors des audiences devant le juge des libertés et de la détention devrait conduire à une réflexion institutionnelle sur ses causes, notamment sur la capacité du personnel à l’accompagnement des patients dans l’ensemble de cette procédure.