Au Journal officiel du 22 novembre 2018, le Contrôleur général a publié un avis relatif à la prise en compte des situations de perte d’autonomie dues à l’âge et aux handicaps physiques dans les établissements pénitentiaires. Cet avis a été transmis à la ministre de la justice ainsi qu’à la ministre des solidarités et de la santé pour qu’elles puissent formuler des observations. Au jour de la publication de cet avis, aucune réponse n’était parvenue au CGLPL.
Lire l’avis dans son intégralité
Lire les observations de la ministre de la justice
Lire les observations de la ministre de la santé
Dans le cadre de l’élaboration de cet avis, le contrôle général a notamment réalisé une enquête au centre de détention de Bedenac pour observer le fonctionnement d’une unité de soutien et d’autonomie mise en place dans cet établissement. Cette enquête a donné lieu à la rédaction d’un rapport, également publié. Lire le rapport d’enquête et voir le cahier photos de cette visite
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Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté est fréquemment alerté sur les conditions de détention de personnes en situation de dépendance due à l’âge ou à un handicap physique[1] et souhaite à nouveau appeler l’attention sur les atteintes aux droits fondamentaux de ces personnes.
Le handicap et l’âge ne constituent pas en soi des causes d’incompatibilité avec la détention mais il revient à l’administration pénitentiaire de prendre en charge ces personnes en tenant compte de leur dépendance et de leurs besoins. Et dans certaines situations, il est indispensable de se poser la question de la poursuite de l’incarcération, au regard du sens de la peine et de la prévention des traitements inhumains ou dégradants.
L’adaptation des conditions de détention doit concerner tous les aspects de la prise en charge
Une prise en charge adaptée suppose un repérage pertinent des situations et des besoins, à l’arrivée et pendant l’incarcération. Au-delà des aménagements matériels c’est toute l’organisation de la vie en détention qui se révèle souvent inadaptée aux besoins des personnes et qui doit faire l’objet de mesures particulières.
Les contrôleurs rencontrent souvent des personnes dont le handicap ou les difficultés dues à l’âge ne sont pas suffisamment voire pas du tout prises en compte. La vie en détention est source de peur et d’angoisse : confrontation avec une population majoritairement très jeune, isolement car les cours de promenade représentent un espace où elles sont particulièrement vulnérables, désœuvrement du fait de l’inadaptation des activités proposées.
Les mesures de sécurité sont une source d’anxiété particulière. Pour les fouilles intégrales, aucune instruction de la direction de l’administration pénitentiaire ne décrit les modalités techniques de leur réalisation sur des personnes détenues handicapées ou âgées. Or, le CGLPL est régulièrement alerté sur des pratiques ou gestes déplacés. Des directives de l’administration pénitentiaire doivent venir préciser les gestes à réaliser lors des fouilles de personnes dépendantes et handicapées.
Les établissements doivent mettre en œuvre le principe d’aménagement raisonnable
Il n’existe pas d’établissement pénitentiaire dédié à l’accueil des personnes détenues âgées ou en situation de handicap, le statut juridique prime sur l’état de santé dans le choix de l’affectation. La création d’établissements spécialisés serait une démarche lourde de conséquences, au regard notamment du risque d’éloignement familial et de stigmatisation, conduisant à une mise à l’écart supplémentaire.
Les établissements pénitentiaires se doivent néanmoins d’être aménagés. Des normes de construction sont imposées pour les nouveaux établissements : des cellules adaptées sont la plupart du temps situées au rez-de-chaussée, permettant un accès facile aux locaux communs mais ces ailes sont généralement soumises au régime de détention « strict en porte fermée », qui souvent s’impose sans prise en compte du comportement.
Les établissements plus anciens n’étaient à l’origine pas conçus pour recevoir les personnes à mobilité réduite. Des aménagements ont été réalisés ici ou là pour adapter les conditions de détention. Les personnes restent néanmoins souvent démunies face à l’étroitesse des portes et portiques, à la présence de marches, à l’absence d’ascenseur ou à l’impossibilité d’atteindre les boutons d’appel, téléphones ou rangements. Quand ils sont accessibles, les sanitaires sont rarement adaptés. Elles se retrouvent en outre souvent privées d’accès aux différentes activités, services et espaces communs. Dans les quartiers disciplinaires, il n’y a pas d’aménagements pour héberger les personnes handicapées dans des conditions respectueuses de la dignité. Les personnes dont l’état de santé le requiert doivent être hébergées dans une cellule répondant aux normes PMR[2] et le placement au quartier disciplinaire doit être proscrit, des formules alternatives, telles que le confinement en cellule, devant être retenues.
Les médecins prescrivent parfois des aménagements des lieux de vie des personnes détenues et de leurs moyens de transport. Mais ces prescriptions ne sont pas toujours suivies d’effets, ni précédées de visites des locaux par les équipes médicales. L’appréciation des incompatibilités relatives à la vie en détention par le médecin doit être réalisée en tenant compte à la fois de l’état de santé et de l’environnement offert. Des visites régulières en détention par l’équipe soignante doivent permettre une telle appréciation.
Le manque d’accès à certaines médecines de spécialité constitue un obstacle supplémentaire à la qualité de la prise en charge : la présence de spécialistes au sein des unités sanitaires doit être renforcée. Le CGLPL recommande d’utiliser des moyens de contrainte strictement proportionnés au risque présenté par les personnes et permettant le respect de leur dignité lors des extractions médicales.
La mise en place d’un accompagnement humain doit être équivalente en détention et à l’extérieur
Un accompagnement humain peut être nécessaire pour certains gestes de la vie quotidienne. Les établissements pénitentiaires peuvent solliciter les dispositifs de droit commun mais en pratique les personnes détenues concernées sont davantage aidées par un codétenu (45 %) que par un intervenant extérieur (32 %), et une part importante n’est pas prise en charge (23 %).
Nombre d’établissements n’ont aucun partenariat dans ce domaine et ceux qui existent restent souvent lettre morte. On sollicite alors un codétenu. Cette pratique fait peser des responsabilités trop importantes sur une personne qui n’y est pas préparée et ne peut en aucune manière conduire à une prise en charge de qualité.
Dès que la situation de dépendance est reconnue, l’assistance par un organisme d’aide à domicile doit être mise en œuvre pour assurer une prise en charge sanitaire effective et des conditions de détention dignes. L’assistance d’un codétenu ne saurait être considérée comme satisfaisante.
L’intervention d’organismes extérieurs est souvent empêchée par l’absence de financement résultant d’obstacles procéduraux. Ainsi, l’octroi d’une allocation personnalisée d’autonomie reposant sur l’évaluation du niveau d’autonomie du demandeur, une équipe médico-sociale du conseil départemental doit se déplacer à son domicile. Cette visite n’est souvent pas réalisée quand la personne est incarcérée, ce qui empêche le versement de l’allocation. Une action concertée des ministères de la justice et de la santé doit permettre la réalisation de ces évaluations, afin que les personnes détenues dépendantes ne soient pas privées de l’assistance à laquelle elles ont droit.
Des unités spécialisées ont été créées dans certaines prisons pour accueillir et prendre en charge des personnes détenues âgées ou présentant des pathologies invalidantes. Transférées depuis d’autres établissements de la région, elles bénéficient de conditions matérielles qui tentent de répondre à leurs besoins spécifiques. La création d’unités ainsi aménagées, qui présentent parfois les caractéristiques d’un établissement médico-social, pose cependant la question du maintien en détention de personnes qui n’y ont plus leur place.
Les dispositifs permettant la sortie anticipée de détention doivent être renforcés
Des aménagements de peine peuvent être justifiés par le grand âge, l’état de santé ou la nécessité de suivre un traitement médical. Une suspension de peine peut aussi être accordée à toute personne détenue quand son pronostic vital est engagé ou que son état de santé est durablement incompatible avec la détention. Malgré l’existence de ces dispositifs spécifiques, les aménagements de peines sont plus difficilement accessibles aux personnes dépendantes qu’aux autres.
De nombreuses personnes ne sont pas en mesure de faire seules les démarches nécessaires. L’information et la formation sur les procédures de suspension et d’aménagement de peine pour raison médicale doit être améliorée et un repérage systématique des personnes susceptibles d’en bénéficier doit être mis en place.
En pratique, la suspension de peine est le plus souvent décidée au bénéfice de personnes en fin de vie et rarement au motif de l’incompatibilité de l’état de santé d’une personne avec ses conditions de détention. Cela s’explique essentiellement par les conditions de réalisation des expertises, les juges devant apprécier in concreto l’incompatibilité avec le maintien en détention. Or, les médecins experts se déplacent rarement en détention pour y rencontrer la personne dans son environnement.
Par ailleurs, certains experts et magistrats voient les UHSI et l’EPSNF[3] comme des alternatives à la suspension de peine, alors qu’une personne détenue ne peut y être hospitalisée de façon pérenne, ces établissements n’ayant pas vocation à permettre le maintien en détention de personnes qui remplissent les critères d’une suspension de peine.
L’incompatibilité avec la détention ne doit pas être appréciée uniquement au regard de l’état de santé de la personne concernée, mais aussi au regard de ses besoins et des réponses possibles en termes d’accompagnement, d’accessibilité et le cas échéant de sa capacité à percevoir le sens de la peine pendant son incarcération.
Enfin, la recherche d’un hébergement adapté à la sortie de détention est complexe et constitue un obstacle majeur à l’octroi d’un aménagement ou d’une suspension de peine. Les établissements de santé ou médico-sociaux sont souvent réticents à accueillir des personnes sortant de prison. Une action interministérielle doit être engagée pour favoriser l’hébergement des personnes âgées ou dépendantes à leur sortie de détention et leur rendre effectivement accessibles les dispositifs de droit commun.
[1] La notion de handicap recouvre des situations très différentes. Leur diversité, et notamment les particularités liées au handicap mental, contraint à limiter le propos de cet avis aux situations de handicaps physiques – catégorie elle-même hétérogène : difficultés de locomotion, surdité, etc.
[2] Personne à mobilité réduite
[3] Les unités hospitalières sécurisées interrégionales (UHSI) et l’établissement public de santé national de Fresnes (EPSNF) sont des services hospitaliers destinés à accueillir des patients détenus.