Rapport de visite du centre hospitalier Saint-Anne (Paris)
Observations du ministre de la santé – centre hospitalier Saint Anne (Paris)
SYNTHESE
La Contrôleure générale et cinq contrôleurs ont effectué une visite annoncée du centre hospitalier Sainte-Anne à Paris du 31 août au 4 septembre, du 7 au 11 septembre et le 25 septembre 2015.
Cet établissement, implanté dans le 14ème arrondissement dans un vaste domaine largement ouvert vers l’extérieur, regroupe des unités assurant des soins somatiques et d’autres, des soins psychiatriques. Dans ces dernières, l’établissement prend en charge les patients de sept secteurs de psychiatrie adultes, couvrant les 5ème, 6ème, 14ème, 15ème et 16ème arrondissements, et de deux secteurs de psychiatrie infanto-juvénile, couvrant les 14ème et 16ème arrondissements. Outre les unités installées au sein de l’hôpital, avec 464 lits, il dispose de nombreux sites extra-hospitaliers dont le centre d’accueil et de crise du 6èmearrondissement, structure unique en son genre.
A l’issue de leur visite, les contrôleurs ont rédigé un rapport de constat, qui a été communiqué le 8 février 2016 au chef d’établissement. Ce dernier a fait part de ses observations le 17 mars 2016.
La structure immobilière a déjà évolué et elle doit continuer à évoluer malgré des contraintes environnementales fortes.
Les façades classées des bâtiments situés dans le cœur historique, dont la construction date de la fin du 19ème siècle, et l’important espace vert intérieur protégé constituent des contraintes fortes pour tout projet immobilier. D’importants travaux ont toutefois été menés dans le cadre d’un ambitieux schéma directeur immobilier élaboré à partir de 2000, portant sur une période de vingt ans, et certains bâtiments ont déjà fait l’objet d’une reconstruction quasi-complète (cf. § 2.1 et 2.2)
Ainsi, les locaux sont de qualité très variable. Si certaines unités sont installées dans d’excellentes conditions, telles que le centre psychiatrique d’orientation et d’accueil (CPOA), les unités du secteur 3 et celles du secteur 14 ou la clinique des maladies mentales et de l’encéphale (CMME), d’autres disposent de locaux, parfois vétustes (comme au secteur 13 –cf. § 5.2.2.2), ne répondant pas aux besoins : certains sont trop exigus (comme dans le bâtiment Magnan du secteur 15 – cf. § 5.3.3) rendant la circulation des patients très difficile ; des salles à manger sont de taille nettement insuffisante pour accueillir les patients (comme au secteur 13, avec 51 m² pour 31 patients – cf. § 5.2 – et au secteur 16, avec 27 m² pour 23 patients – cf. § 5.3.4) ; des dégradations et les dysfonctionnements sont nombreux (comme au secteur 13 – cf. § 5.2) ; des chambres ne sont pas équipées d’un cabinet de toilette mais, parfois, d’un simple lavabo (comme aux secteurs 17 et 18 – cf. § 5.4.2 et 5.4.3) ; des salles pour permettre à des patients de rencontrer leur famille, lorsqu’ils ne peuvent pas sortir et sont dans une chambre à deux, n’existent pas partout.
La restructuration des bâtiments les plus anciens est donc nécessaire.
L’installation d’une unité fermée à l’étage, avec un jardin nécessairement situé au rez-de-chaussée, comme au secteur 14, constitue une difficulté majeure car les patients ne peuvent pas s’y rendre librement. Cette situation est encore plus compliquée quand les effectifs des soignants ne permettent pas de dégager une personne pour en assurer la surveillance (cf. § 5.3.2.5.C).
Les personnels expriment un sentiment de fierté d’exercer dans cet établissement mais les contraintes budgétaires, qui imposent des restructurations, sont ressenties comme une atteinte à la qualité des soins.
L’hôpital Sainte-Anne reste marqué par une crise survenue après la diffusion en 2010, par la chaîne de télévision Arte, d’un documentaire tourné dans deux secteurs fermés, dont les chefs de service ont été sanctionnés en 2012 par le conseil régional de l’Ordre des médecins par des peines de suspension de plusieurs mois, partiellement assorties de sursis. Les personnels sont cependant très fiers de travailler dans cet établissement de « notoriété internationale » et cela se ressent partout (cf. § 2.5.3)
Afin de faire face aux contraintes budgétaires, le chef d’établissement a mis en place un plan d’économie avec la suppression de postes relevant des fonctions supports et a cherché à préserver les effectifs des soignants. Des réflexions ont aussi été engagées pour élaborer des contrats de pôle, débouchant sur des réorganisations et des mutualisations.
Le centre hospitalier ne rencontre pas de difficultés pour recruter des médecins, des infirmiers, des aides-soignants et des agents des services hospitaliers, mais la situation est différente pour les kinésithérapeutes.
La réduction des effectifs s’est fait ressentir au sein des unités. Dans le secteur 13, où le taux d’occupation est le plus fort, les soignants se sont plaints de ne plus avoir le temps de réfléchir en raison de la charge de travail (cf. § 2.4, 2.5 et 5.2.2.4). De même, dans le secteur 15, les soignants ont le sentiment de parer au plus pressé et ne pas avoir le temps de prendre suffisamment de temps avec les patients (cf. § 5.3.3.3 – 5.3.4.5.E).
Les patients, qui ont accès à peu d’activité, sont globalement bien pris en charge même si les modalités peuvent être très différentes selon les unités, en raison, semble-t-il, d’un manque de volonté pour échanger sur les projets thérapeutiques et sur les pratiques.
Avec une file active de 33 620 personnes en 2014, le centre hospitalier a fortement développé les activités extra-hospitalières, avec des séjours d’hospitalisation généralement courts (cf. § 2.6). Le taux d’occupation des unités est cependant important, en particulier au secteur 13 (cf. § 5.2.1).
Le centre psychiatrique d’orientation et d’accueil (CPOA) se caractérise par une bonne organisation des prises en charge, une forte réactivité et une présence constante, à toute heure du jour et de la nuit, de médecins et de soignants (cf. § 3.1.1).
Dans les unités, les psychiatres sont présents et assurent un suivi régulier des patients.
Les soins sont toutefois pratiqués de façon très hétérogène au sein de l’hôpital et les bonnes pratiques, pourtant nombreuses, sont mal exploitées. Ainsi, dans certains secteurs, les soignants ont indiqué ne jamais avoir recours à l’isolement ou à la contention (cf. secteur 3 – § 4.2.1.2-E), d’autres ont indiqué y avoir recours principalement de façon séquentielle, et d’autres enfin semblent y avoir recours sans qu’aucune alternative n’ait été recherchée. Certains ont mentionné que nombre des isolements et contentions étaient influencé en partie par l’architecture du service, ne permettant pas la surveillance aisée de tous les patients (cf. § 5.3.4.5.E), d’autres que ces mesures étaient utilisées pour éviter les fugues (cf. § 5.2.2.5.E).
La pratique du port du pyjama illustre l’hétérogénéité des pratiques. Systématique à l’arrivée pour les patients sous contrainte et la majorité de ceux en soins libres au secteur 13, obligatoire pour les patients de l’unité de soins intensifs du secteur 17, le port du pyjama est décidé au cas par cas dans d’autres secteurs. Pour certains soignants, cela symbolise la maladie, notamment pour ceux qui sont dans le déni, et constitue un moyen d’éviter les fugues ou, même, permet de fouiller les vêtements, ce qui ne serait pas possible autrement. Il n’en reste pas moins que l’on peut s’interroger sur le caractère systématique de cette pratique, qui peut être vécue comme humiliante par les patients. D’autres siognants, en revanche, n’y ont pas recours, sauf cas particuliers, pour assurer les soins.
En règle générale, la liberté de circuler et de communiquer est la norme et l’interdiction constitue l’exception. Tel est le cas pour les visites des proches et le traitement du courrier des patients. En revanche, les téléphones mobiles sont autorisés (sauf cas particuliers) dans plusieurs unités mais interdits dans d’autres, pour éviter des prises de photographies et des publications sur les réseaux sociaux, avec des variantes sur les moments auxquels ils ont accessibles. Dans quelques secteurs, les patients disposent de leurs paquets de cigarettes et gèrent leur consommation alors que, dans d’autres, les soignants les conservent et ne le distribuent qu’au coup par coup.
Par ailleurs, le fort taux d’occupation conduit parfois à de nombreux déplacements pour installer les patients les moins stables ou ceux nouvellement admis à proximité du bureau de soins ; ceux qui les subissent s’en plaignent (cf. § 5.3.4.5.B).
La prise en charge des soins somatiques est globalement bonne. L’accès facile à une prise en charge spécialisé de la douleur mérite d’être souligné (cf. § 4.6).
Le manque d’activités est patent et le manque de personnels disponibles est souvent avancé pour l’expliquer. Les patients s’ennuient le plus souvent, à l’exception de deux secteurs qui ont manifestement réussi à les développer (secteurs 3 – cf. § 5.1.2 – et 17 – cf. § 5.4.2). Là aussi, l’accès aux ateliers d’ergothérapie varie selon les secteurs. Hormis un court de tennis, aucun terrain ni aucun gymnase n’existe dans l’emprise et seuls quelques équipements sont en place dans les unités mais sont sous-employés (cf. § 4.4.1 et 5).
Le suivi de la situation juridique des patients admis sans consentement et le contrôle du juge sont assurés avec attention mais des positions interrogent parfois.
Les admissions en soins psychiatriques sous contrainte représentent 30 % des entrées des personnes hospitalisées à temps complet. Le bureau de la loi assure un suivi très attentif de la situation juridique de ces patients et un remarquable travail a été mené afin de standardiser les procédures. Le registre de la loi y est tenu avec rigueur.
La notification du placement et des droits est effectuée avec attention selon les méthodes variant en fonction des secteurs : psychiatres, cadres de santé ou infirmiers.
Les personnes admises selon la procédure classique de l’ASPDT, avec une demande d’un tiers et deux certificats médicaux, ne représente qu’une admission sous contrainte sur cinq alors que les procédures normalement dérogatoires (l’urgence avec une demande d’un tiers mais un seul certificat médical et le péril imminent avec uniquement un certificat médical), moins protectrices, concernent plus de sept cas sur dix. Les ASPDT en urgence sont majoritaires (51,4 %) et les admissions en péril imminent sont plus nombreuses chaque année (en valeur absolue – passant de 659 en 2012 à 690 en 2014 – et en valeur relative – passant de 17,4 % à 20,5 % sur la même période). Cette situation, qui interroge, mérite une attention particulière pour éviter cette dérive inquiétante (cf. § 2.6).
Comme cela est souvent observé dans les établissements visités, des patients admis en soins libres sont placés dans des unités fermées (secteur 3, secteur 13, secteur 16, secteur 17, secteur 18) et d’autres, admis en soins sans consentement, le sont dans des unités ouvertes (secteur 14, secteur 17). Au secteur 15, les portes du bâtiment sont fermées lorsque les patients sous contrainte vont dans la cour (cf. § 5.3.3).
Lorsque les audiences devant le juge des libertés et de la détention se déroulaient au palais de justice de Paris, dans des locaux inadaptés, les patients devaient rester de longues heures dans un étroit couloir sans éclairage naturel, sans possibilité de sortir à l’air libre notamment pour y fumer. La mise en service d’une salle d’audience au sein du centre hospitalier, à compter de la mi-septembre 2015, a donc constitué une avancée majeure qui permet aux patients d’arriver peu de temps avant leur comparution devant le juge et de rejoindre ensuite rapidement leur unité ; de plus, certains, trop agités pour aller au palais de justice de Paris, peuvent désormais se présenter à l’audience et ainsi accéder au juge (cf. § 3.2.4).
Les contrôleurs s’interrogent cependant sur la nécessité de poursuivre une hospitalisation sous un régime de contrainte pour des personnes qui adhèrent manifestement aux soins (cf. § 3.2.4).
De même, la position présentée par des médecins qui envisagent de contourner la décision de mainlevée prise par le juge des libertés et de la détention, lorsqu’ils considèreront qu’il existe un risque de sécurité à laisser libre un patient, et de faire prendre une nouvelle mesure d’ASPDT, pose problème. Même si une telle mesure n’a pas encore été mise en œuvre, le sujet devrait être traité car il peut constituer un déni de justice.