Site du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté

Rapport de la deuxième visite du centre pénitentiaire de Château-Thierry (Aisne)

Rapport de la deuxième visite du centre pénitentiaire de Château-Thierry (Aisne)

Observations du ministre de la justice – CP de Château-Thierry (2e visite)

Observations du ministre de la santé – CP de Château-Thierry (2e visite)

 

SYNTHESE

Six contrôleurs ont effectué une visite du centre pénitentiaire de Château-Thierry (Aisne) du lundi 30 mars au 2 avril 2015 puis, trois contrôleurs du mercredi 5 au 7 août 2015. Cette mission constituait une deuxième visite, faisant suite à un premier contrôle réalisé du 13 au 15 janvier 2009.

Un rapport de constat a été adressé le 16 février 2016 au chef d’établissement, au directeur du centre hospitalier de Château-Thierry ainsi qu’au directeur de l’établissement public de santé mentale de Prémontré. Seul le directeur de l’établissement de santé mentale a fait part de ses observations au CGLPL.

Le CP de Château-Thierry, dont la construction date de l’année 1850, comprend deux quartiers, le quartier du centre de détention (QCD) et le quartier de la maison centrale (QMC). La distribution des locaux est inchangée par rapport à la visite de 2009. Cette structure immobilière est vieillissante, caractérisée par la vétusté des bâtiments, des locaux et des cellules. C’est ainsi que l’ancienneté du bâti ne respecte pas les normes d’habitabilité des cellules qui sont exiguës et dotées d’une ouverture en hauteur privant les personnes de toute visibilité sur l’extérieur. De même, comme en 2009, l’établissement ne comporte pas de quartier des arrivants, de quartier d’isolement, de cellules pour les personnes à mobilité réduite, de parloirs aménagés avec des boxes de séparation et d’installations pour la pratique des activités sportives (terrain extérieur, gymnase…).

Si la capacité théorique d’accueil de cet établissement pénitentiaire de 134 places[1] n’a pas évolué depuis la visite de 2009, une mission d’expertise de la direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins (DHOS) en 2007 a conclu à ce que la capacité réelle du quartier de la maison centrale ne dépasse pas 75 personnes détenues afin d’offrir une prise en charge pénitentiaire et médicale la plus adaptée possible.

Quant à la capacité théorique du centre de détention, de 33 places en 2009, elle est désormais validée à 29 places afin de tenir compte de la surface des cellules.

Au moment de la deuxième visite, le centre pénitentiaire de Château-Thierry comptait 88 personnes écrouées dont 86 hébergées, soit un taux d’occupation global de 66,1 %, stable par rapport au précédent contrôle de 2009 (taux d’occupation à 66,5 %) ; au centre de détention hébergeant 12 personnes en dortoirs, ce taux s’élevait à 41,4 % et au quartier de la maison centrale hébergeant 74 personnes dans des cellules individuelles, à 73,3 %.

La spécificité du centre pénitentiaire (CP) tient à l’accueil au QMC de personnes détenues considérées comme inadaptées à la détention ordinaire. La circulaire du 21 février 2012 relative à l’orientation en établissement pénitentiaire des personnes détenues prévoit une procédure d’orientation spécifique à la maison centrale de Château-Thierry, rappelant que l’objectif de l’établissement « est de permettre à une personne détenue de restaurer ses liens sociaux et de se réadapter à la détention ordinaire après un séjour temporaire en son sein ». La circulaire précise que l’affectation à Château-Thierry « convient à la population pénale condamnée présentant des troubles du comportement mais ne relevant, ni d’une hospitalisation d’office, ni d’une hospitalisation en service médico-psychologique régional, ni d’une UHSA [2]».

La deuxième visite de l’établissement permet de constater que la politique d’affectation des personnes détenues à la maison centrale ne respecte pas les dispositions de la circulaire précisant les formes d’inadaptation du comportement[3], ce qui aboutit à un détournement de la procédure.

L’étude par les contrôleurs des propositions d’affectation, à rapprocher de celle réalisée par l’inspection des services sanitaires en 2007, a ainsi démontré que la très grande majorité des personnes hébergées étaient atteintes d’états psychotiques graves et persistants (85 % en 2007) ; selon les propos recueillis auprès de professionnels, la situation est quasiment inchangée au moment de la deuxième visite. Les demandes des chefs d’établissements ou les psychiatres des établissements d’origine ne respectent pas le formalisme prévu : absence d’attestation médicale, des attestations et des demandes mentionnant des hospitalisations répétées à l’hôpital de rattachement, en UHSA, au SMPR ou en unité pour malades difficiles, etc. En pratique, l’administration pénitentiaire procède au transfert des personnes détenues dont les établissements pénitentiaires ne se sentent plus en mesure d’assurer la prise en charge. La durée de séjour d’une grande partie de la population pénale, n’est pas conçue comme temporaire [4].

Concernant les modalités d’affectation au centre de détention, la procédure de recrutement par un agent « orienteur » auprès des établissements pénitentiaires voisins de personnes détenues pour occuper à la maison centrale un emploi au service général n’existe plus. Les personnes détenues sont désormais peu motivées pour venir au CD, tant elles sont infantilisées, étant soumises aux mêmes contraintes que celles du QMC (recours aux moyens de contrainte lors des extractions et des consultations, catalogue de cantine identique, mode de dispensation des médicaments…). A cela s’ajoutent des conditions d’hébergement en dortoirs, et de vie dans des locaux laissés à l’abandon. La portée du régime de confiance dont les personnes détenues bénéficient, est limitée en raison d’un accès restreint aux activités.

Les agents pénitentiaires, formés à l’accompagnement de publics difficiles en détention, ont acquis une expérience dans la prise en charge de ces personnes détenues. En outre, le nombre de surveillants rapporté à celui des personnes détenues, relativement élevé, favorise la connaissance approfondie des personnes détenues et contribue à entretenir de bonnes relations avec la population incarcérée, à l’exception toutefois d’une poignée d’agents dont le comportement a fait l’objet de plusieurs récriminations auprès des contrôleurs.

Des dispositifs adaptés à la spécificité de la population pénale sont mis en place dans le sens de l’individualisation et la resocialisation (dispositif d’aides associatives soutenues à des personnes sans ressources, traitement possible de certains types d’incidents par des entretiens de concertation, cadence de travail individualisée, lissage des salaires permettant une rémunération mensuelle indépendante du travail réellement effectué, dispositif d’aide à l’entretien des cellules et à l’hygiène corporelle de certaines personnes souffrant d’incurie…). Si certains dispositifs ne soulèvent aucune difficulté, il n’en est pas de même d’autres procédures, non formalisées, qui privilégient l’oralité dans des domaines pourtant sensibles (fouilles, isolement, déclassements).

Les moyens humains sont insuffisants pour la prise en charge spécifique de la population pénale du QMC.

Depuis la première visite en 2009, l’auxiliaire de vie a été remplacé par un aide médico-psychologique (AMP) pour l’accompagnement individuel de certaines personnes plus ou moins dépendantes dans tous les actes de la vie quotidienne, au niveau de l’hygiène corporelle et de l’entretien de leur cellule. Malgré la qualité de son investissement, le dispositif, largement insuffisant, est de facto inopérant. Les conditions matérielles de vie dans lesquelles les personnes en situation d’incurie sont « enfermées » sont particulièrement indignes : des cellules jonchées de détritus et dans un état de saleté avérée, sans eau chaude, sans espace de rangement.

L’effectif du service pénitentiaire de probation est identique à celui de 2009 ; l’antenne locale est représentée par un seul CPIP, pourtant très investi et apprécié des personnes détenues, dont les interventions s’apparentent plus à celles d’une assistante sociale en détention, les personnes détenues étant très demandeuses.

Quant à l’unité sanitaire, l’effectif du personnel de santé n’y apparait pas compatible avec l’état de santé psychiatrique et somatique des personnes incarcérées. 

Les recommandations du contrôle général des lieux de privation de liberté faites dans le précédent rapport de visite, préconisant la présence d’un kinésithérapeute et de consultations de spécialistes sur place, n’ont pas été suivies d’effet. L’unité sanitaire ne dispose que d’un médecin généraliste qui se déplace deux fois par semaine.

Dans le domaine des soins psychiatriques, la situation est préoccupante. Trois psychiatres se partagent 90% d’un temps plein. Aucun psychiatre n’est présent les mardis, jeudis et vendredis matins, ce qui ne permet pas d’assurer une présence permanente ni de définir clairement une politique de service. Le chef de pôle, responsable de l’unité médico-psychiatrique ambulatoire et censé assurer une consultation d’addictologie par semaine, ne se rend qu’exceptionnellement au centre pénitentiaire pour participer à des réunions. Il a été constaté que l’absence d’encadrement laissait toute liberté à l’équipe infirmière pour organiser le fonctionnement du service. Il est de plus regrettable de constater une confusion des rôles entre l’administration pénitentiaire et l’unité sanitaire, notamment lors de la distribution des médicaments, ce qui a notamment pour effet de porter atteinte au secret médical.

Concernant les conditions de la prise en charge des personnes incarcérées au QMC, une grande majorité des personnes détenues est soumise à un traitement lourd, relevant davantage d’une hospitalisation. Beaucoup d’entre elles craignent les psychiatres et pensent qu’ils dirigent l’établissement. Nombre d’entre elles ont déclaré prendre un traitement contre leur gré et vouloir l’arrêter dès qu’elles quitteraient le QMC. Elles ont dit ne l’accepter que par crainte d’une injection forcée.

Par ailleurs, les contrôleurs ont observé une pratique illégale et contraire à la dignité des patients : le recours à la force pour pratiquer des injections, avec l’aide des surveillants pénitentiaires équipés de tenues pare-coups et de boucliers, est chose fréquente, alors même que le code de la santé publique interdit les soins sous contrainte en prison et en dehors des procédures spécifiques qu’il institue. Il a été également constaté que des traitements étaient imposés au quartier disciplinaire. Enfin, un rapport d’incident de l’administration pénitentiaire rapporte que des injections peuvent être pratiquées sur prescription médicale alors même que le praticien n’a jamais vu le patient.

En tout état de cause, la situation de cet établissement pose la question de la cohérence entre la politique d’affectation actuelle d’une grande majorité des personnes détenues et sa gestion par l’administration pénitentiaire et par le personnel médical au regard de l’objectif de l’établissement : permettre à une personne détenue de restaurer ses liens sociaux et de se réadapter à la détention ordinaire après un séjour temporaire en son sein.

 

 

[1] 101 pour le quartier de la maison centrale et 33 pour le centre de détention

[2] UHSA : unité hospitalière spécialement aménagée

[3] Peur ou refus de sortir d’un isolement de longue durée, manque d’hygiène grave, régression, état de prostration, retrait par rapport à la collectivité, ingestion fréquente de corps étrangers, automutilations habituelles, tentatives de suicides répétées, passage à l’acte auto ou hétéro agressifs fréquents, propos ou conduite inadaptés.

[4] Elle était de 24 mois à la deuxième visite et 5 personnes étaient incarcérées depuis plus de 5 ans dont 2 depuis plus de 10 ans.