Site du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté

Rapport de la deuxième visite de la maison d’arrêt de Strasbourg (Bas-Rhin)

Rapport de la deuxième visite de la maison d’arrêt de Strasbourg (Bas-Rhin)

Observations du ministre de la justice – MA de Strasbourg (2e visite)

Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, aux ministères intéressés auxquels un délai de huit semaines a été fixé pour produire leurs observations. A la date de publication de ce rapport, aucune observation n’a été produite par le ministère de la santé.

Lire les recommandations en urgence du 13 avril 2015 parues au Journal officiel à la suite de la visite.

 

SYNTHESE

En application de la loi du 30 octobre 2007 qui a institué le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, six contrôleurs ont effectué une visite de la maison d’arrêt de Strasbourg (Bas-Rhin) du 9 au 13 mars 2015. Cet établissement avait fait l’objet d‘une première visite en 2009.

La maison d’arrêt de Strasbourg est un établissement vétuste dans lequel peu de choses ont évolué favorablement depuis la visite de 2009.

À l’arrivée des contrôleurs, la visite, pourtant annoncée, n’avait fait l’objet que d’une information partielle tant auprès des personnes détenues que du personnel pénitentiaire. Le petit nombre de courriers reçus par les contrôleurs semblait avoir été ouvert.

L’établissement surpeuplé vieillit mal et n’est pas entretenu : les cellules sont globalement sales, humides et dégradées ; la présence de rongeurs et de pigeons nuit à l’hygiène générale ; les douches sont parfois glaciales ; les cellules sont mal isolées et la température a été mesurée à 14,6° C au quartier disciplinaire ; certains matelas sont couverts de moisissures.

Certains aspects positifs sont à souligner comme la qualité des activités socio-culturelles et du travail, le repérage et la prise en charge des personnes indigentes ou l’organisation de la cantine. Les quartiers spécifiques des femmes et des mineurs fonctionnent également de manière globalement satisfaisante.

La vie quotidienne des personnes détenues présente en revanche de nombreux aspects critiquables : le quartier « arrivants » est pauvre en activités et exigu ; le livret « arrivants » contient des informations obsolètes, uniquement en français et sa présentation le rend incompréhensible ; la prise de rendez-vous au parloir est complexe car les bornes sont souvent en panne et la ligne dédiée sonne dans le vide ; le registre des autorités n’est pas signé alors que ce point avait fait l’objet d’une recommandation du CGLPL en 2009.

Les services de soins somatiques travaillent dans de mauvaises conditions matérielles et manquent fondamentalement d’espace. Ils doivent améliorer leur réactivité, notamment concernant les urgences dentaires, et s’efforcer de prodiguer des soins dans le respect des personnes détenues. Différentes pratiques sont contraires au secret médical : les échanges de courrier entre personnes détenues et services de santé ne sont pas confidentiels faute de boîtes à lettres dédiées ; plus grave et fait sans précédent, des caméras de vidéosurveillance ont récemment été installées dans les salles d’activité du SMPR.

Le placement au quartier disciplinaire d’une personne détenue en crise suicidaire et le recours, dans ce contexte, à la dotation de protection d’urgence sont contraires à la dignité des personnes. Les conditions dans lesquelles l’établissement recourt au codétenu de soutien ne sont pas conformes à l’esprit de ce dispositif.

La maîtrise de la détention par la direction est apparue insuffisante, ce qui engendre un climat délétère et un fort sentiment d’insécurité chez les personnes détenues. De nombreux signaux épars, dont l’accumulation devrait inquiéter, en attestent : le tutoiement des personnes détenues par le personnel, des marques d’incurie ou de désinvolture, des allégations persistantes sur la tolérance des agents à l’égard de trafics, voire sur leur participation à ces trafics, ainsi que des témoignages de brimades, violences, humiliations et intimidations sur la population pénale. Enfin, une personne a déclaré avoir été victime d’une agression sexuelle par son codétenu avec lequel elle aurait été maintenue alors même qu’elle avait fait part, le jour même, de sa peur et de la nécessité d’être changée de cellule.

La visite s’est déroulée dans un contexte tendu. Malgré les efforts des contrôleurs pour témoigner de leur connaissance des conditions de travail difficiles du personnel pénitentiaire et de l’intérêt qu’ils leur portent, ils ont été confrontés à une attitude méprisante, parfois hostile, et à une réticence certaine des équipes face aux actes habituels de contrôle. En fin de mission, l’équipe de direction elle-même ne s’est montrée ni réceptive ni réactive malgré la gravité des faits évoqués.

Plus étonnant et sans aucun doute plus regrettable encore, la visite a eu pour conséquence la commande par la direction de l’établissement, d’un constat d’huissier, visant à infirmer les constats faits par les contrôleurs. Cette pratique, qui n’avait jamais été observée depuis la création du CGLPL en 2008, met en cause la probité et le professionnalisme de ses contrôleurs et il est souhaitable que cette initiative locale ne se reproduise pas.

Ces différents constats d’atteintes graves aux droits fondamentaux des personnes détenues, de situations mettant leur vie en danger, de violations sans précédent du secret médical, et le peu de prise en compte des recommandations émises par le CGLPL lors de la précédente visite de l’établissement, ont conduit ce dernier à recourir à la procédure d’urgence.