Au Journal Officiel du 13 mai 2015 et en application de la procédure d’urgence, la Contrôleure générale a publié des recommandations relatives à la maison d’arrêt de Strasbourg (Bas-Rhin).
L’article 9 de la loi du 30 octobre 2007 permet au Contrôleur général des lieux de privation de liberté, lorsqu’il constate une violation grave des droits fondamentaux des personnes privées de liberté, de saisir sans délai les autorités compétentes de ses observations en leur demandant d’y répondre.
La ministre de la justice ainsi que la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes ont été destinataires de ces recommandations et ont apporté leurs observations, également publiées au Journal Officiel.
Voir des photographies de la visite
Les constats dressés par les cinq contrôleurs qui ont visité pour la deuxième fois, du 9 au 13 mars 2015, la maison d’arrêt de Strasbourg, font apparaître des violations graves des droits fondamentaux des personnes détenues. Le premier contrôle de cet établissement s’était déroulé du 23 au 26 mars 2009 (voir le rapport de la première visite).
Sur les recommandations:
Absence de mesures efficaces prises par le personnel pénitentiaire pour préserver l’intégrité physique d’une personne détenue
Les contrôleurs ont eu connaissance de la situation d’une personne détenue ayant déclaré au service médical être victime de violences de la part de son codétenu. Un médecin a effectué un signalement urgent auprès de l’établissement pour qu’il soit changé de cellule. Un gradé se serait immédiatement rendu dans la cellule de l’intéressé pour solliciter, en présence du codétenu mis en cause, des précisions sur les motifs de son inquiétude. Il ne l’a pas changé de cellule. Le lendemain, la personne concernée indiquait avoir été victime de viol durant la nuit.
L’absence de suites données au signalement constitue une atteinte grave à la préservation de l’intégrité physique de l’intéressé.
Il est impératif qu’elle puisse être rapidement reçue par un personnel gradé dans des conditions garantissant la confidentialité de leurs échanges. Toute mesure de protection doit être prise dans les meilleurs délais.
Conditions matérielles de détention
Lors de la première visite de l’établissement en 2009 le Contrôleur général avait formulé des observations relatives aux conditions de détention. Près de cinq ans plus tard, la situation n’a guère évolué, voire s’est dégradée :
- Les points d’eau et les sanitaires des cours de promenade sont toujours dans un état de saleté déplorable et pour beaucoup hors d’usage.
- Des salles de douche ont été rénovées mais l’une d’entre-elles est dégradée et ne comprend aucune paroi de séparation. L’eau des douches est glaciale et il n’y a toujours pas d’eau chaude dans les cellules.
- De nombreux matelas sont dévorés par les moisissures, témoignant du haut degré d’humidité dans certaines cellules. Cette humidité, à l’origine de nombreuses dégradations des murs et des plafonds peut entrainer des pathologies respiratoires et dermatologiques.
- Il fait froid dans les cellules (17°C en journée dans une cellule du quartier pour mineurs). Beaucoup de personnes laissent leur plaque chauffante allumée en permanence, au risque de provoquer des brûlures ou incendies.
- Au quartier disciplinaire, la température des cellules était de 14,6° (température extérieure : 10°C). Dans l’une d’elles, une personne, transie de froid, était équipée d’une « dotation-protection d’urgence » (DPU) constituée d’un pyjama déchirable et d’une couverture indéchirable.
- Le recours à la DPU est indiqué dans le seul cas où une crise suicidaire a été diagnostiquée. La majorité des suicides en détention ayant lieu au quartier disciplinaire, le CGLPL conteste le bienfondé d’y maintenir une personne dont l’état de crise suicidaire a été constaté par l’administration pénitentiaire elle-même.
Ces conditions de détention portent gravement atteinte à la dignité des personnes et représentent un traitement inhumain et dégradant.
Atteintes au secret médical
Des caméras de vidéosurveillance ont été installées dans des locaux dédiés aux activités thérapeutiques du service de psychiatrie. Le personnel infirmier qui a obstrué ces caméras pour en contester la présence s’est vu retirer l’habilitation à exercer dans l’établissement. L’usage de moyens de vidéosurveillance dans un espace de soins constitue une atteinte grave au secret médical et à l’indépendance des soignants en milieu pénitentiaire.
Le CGLPL recommande que ce dispositif soit retiré.
Violation de la confidentialité des correspondances
Les contrôleurs ont reçu peu de demandes d’entretien (une vingtaine) au regard du nombre de personnes détenues (758 personnes écrouées). Un grand nombre d’enveloppes contenant ces demandes, initialement fermées, ont manifestement été ouvertes. De nombreuses personnes détenues ont indiqué que leurs courriers étaient régulièrement ouverts et non acheminés par des personnels de surveillance.
La Contrôleure générale rappelle que l’article 4 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 garantit la confidentialité des correspondances adressées au et par le CGLPL et que le contrôle des correspondances non protégées ne peut être effectué que par une personne expressément désignée pour exercer les fonctions de vaguemestre.
Un encadrement défaillant
Il a été fait état de façon récurrente et concordante d’humiliations et de provocations de la part des surveillants pénitentiaires à l’encontre de la population pénale. Beaucoup de personnes détenues ont hésité à s’exprimer par crainte de représailles.
La Contrôleure générale s’inquiète que de tels comportements puissent avoir lieu sans entraîner de réponse forte de la direction de l’établissement dans la mesure où ils caractérisent d’une part, un défaut de surveillance qui, outre la sécurité de l’établissement, est de nature à engendrer la violation des droits fondamentaux des personnes détenues, tout particulièrement la préservation de leur intégrité physique et d’autre part, le non-respect des obligations déontologiques s’imposant aux personnels pénitentiaires.