Site du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté

Projet de loi relatif au renseignement

Le projet de loi relatif au renseignement, actuellement en discussion au Parlement, prévoit d’élargir à « des services, autres que les services spécialisés de renseignement, relevant des ministres de la défense, de la justice et de l’intérieur ainsi que des ministres chargés de l’économie, du budget ou des douanes » la possibilité de recourir aux techniques de renseignement (voir le dossier législatif).

Dans un entretien publié au Monde.fr, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté a exprimé ses vives inquiétudes sur l’intégration de l’administration pénitentiaire aux services de renseignement, estimant qu’une telle assimilation est dangereuse.

Propos recueillis par Matthieu Suc │ Lire l’entretien sur le site internet du Monde.

Un amendement adopté en commission des lois propose d’intégrer l’administration à la communauté du renseignement. Qu’en pensez-vous ?

C’est très préoccupant. Assimiler de facto l’administration pénitentiaire à un service de renseignement à part entière est une idée surtout dangereuse car elle change la nature de la mission de l’administration pénitentiaire. Demander aux surveillants de se transformer en agents de renseignement, c’est miner toute relation de confiance entre les détenus et eux.

La garde des sceaux Christiane Taubira a rappelé que selon la Constitution, la justice est « la gardienne de la liberté individuelle » et que donc son ministère ne pouvait se retrouver prescripteur d’écoutes téléphoniques et de pose de micros…

Je suis d’accord avec la garde des sceaux. Je suis très étonnée que la commission des lois ait pu adopter un tel amendement. J’ai rencontré récemment les syndicats de surveillants à l’occasion de la remise de mon rapport annuel. Nous avons discuté du projet de loi renseignement. Ils sont très inquiets. On est en train de confondre la mission des gardiens de prison et des enquêteurs.

Le renseignement pénitentiaire est constitué d’agents chargés de repérer les changements de comportement des détenus, ceux qui se radicalisent, participent à des prières collectives, s’isolent des autres, etc. Ils observent la collectivité, les rapports entre les uns et les autres et font des signalements. Ce n’est pas du tout la même chose que de sonoriser des cellules et espionner des détenus dans leur intimité.

Actuellement, les informations recueillies par les agents pénitentiaires le sont sur la base de méthodes transparentes et connues : lectures des courriers, écoutes de leurs conversations téléphoniques, surveillance quotidienne et dans le respect des droits des détenus avec un contrôle possible de ce respect des droits. L’utilisation secrète des techniques de renseignement modifierait la nature de l’action des surveillants.

C’est d’autant plus inutile que la nouvelle loi antiterrorisme prévoit désormais la sonorisation des parloirs et des cellules. Cela peut donc déjà se faire mais avec une différence notable : ces sonorisations sont ordonnées et contrôlées par un juge. Là, on demande aux surveillants de prendre eux-mêmes les décisions et de faire, en gros, le travail de la DGSI…

Pourtant, n’est-il pas nécessaire d’intensifier les moyens de détection de radicalisation en détention ?

Il est vrai qu’il y a, à l’heure actuelle, une insuffisance du renseignement en milieu carcéral. Mais son renforcement est déjà prévu avec le doublement des effectifs dédiés au renseignement pénitentiaire d’ici à 2016. Ce qu’il faut surtout, c’est améliorer la coordination entre les services de l’administration pénitentiaire et les services de renseignement du ministère de l’intérieur.

Le rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur les filières djihadistes, rendu public début avril, tire d’ailleurs la même conclusion. Les surveillants et l’administration pénitentiaire elle-même se plaignent régulièrement que lorsqu’ils transmettent des informations aux services de renseignement, ils n’ont aucun retour, ne savent pas si ce qu’ils avaient cru déceler s’est révélé pertinent ou non. Ce silence est très démobilisateur. Il y a un impératif d’équilibre à trouver entre la mission de sécurité que doit remplir l’administration pénitentiaire et la possibilité de vérifier que les droits fondamentaux sont respectés, même dans la période actuelle.