Au Journal officiel du 3 juin 2014, le contrôleur général a publié un avis relatif à la situation des personnes étrangères détenues. Cet avis a été transmis à la ministre de la justice à laquelle un délai de deux semaines a été donné pour formuler des observations. Au jour de la publication de cet avis, aucune réponse n’était parvenue au CGLPL.
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Lire les observations du ministère de la justice
Le CGLPL a mené, à la suite de saisines sur la situation de personnes détenues de nationalité somalienne, une enquête dans plusieurs établissements pénitentiaires franciliens. Une seconde enquête sur les modalités de prise en charge des personnes étrangères incarcérées s’est déroulée à la maison d’arrêt de Villepinte.
L’avis en résumé :
- Au 1er janvier 2014, 18,5% des 77 883 personnes écrouées étaient de nationalité étrangère (l’administration pénitentiaire ne précisant pas lesquelles sont effectivement hébergées).
- Le surcroît de la part des étrangers sous écrou par rapport à la part des étrangers dans la population française (6 %) s’explique par trois facteurs :
o l’existence de délits relatifs à l’entrée et au séjour des étrangers;
o les pratiques institutionnelles résultant de la loi et des tribunaux ;
o l’appartenance d’une part importante de la population étrangère aux catégories sociales les plus défavorisées, surreprésentées en prison.
- Ces chiffres recouvrent des réalités différentes. La part d’étrangers incarcérés varie fortement selon le type d’établissement ou son implantation géographique. De même le nombre de nationalités représentées dans un seul établissement peut aller de quelques unités à plus de cent. Les situations des personnes étrangères incarcérées peuvent être très différentes, au regard notamment de l’ancienneté de leur séjour, de leurs attaches en France, de leur niveau de vie.
Personnes détenues ne maîtrisant pas la langue française
- La claire compréhension par l’étranger des ses droits et devoirs en détention doit être assurée (par la distribution effective de traductions, l’élaboration de fascicules comprenant des pictogrammes compréhensibles ou encore l’usage d’un canal vidéo interne pour diffuser des informations en plusieurs langues).
- Le recours aux services d’un interprète devrait être substantiellement développé aux moments cruciaux de la détention (arrivée, procédures disciplinaires, prise en charge sanitaire…). Des entretiens en présence d’un interprète devraient être organisés à intervalles réguliers pour les étrangers se trouvant dans l’incapacité de faire connaître leurs demandes. Le recours à un interprète professionnel doit être privilégié et le recours à un co-détenu évité.
- L’accès à la langue française par son apprentissage est nécessaire pour les besoins de personnes détenues mais également pour assurer la sécurité de l’établissement. L’évaluation du niveau de connaissance du français devrait être réalisée par des enseignants et leur appréciation imposée à tous. Les cours de français doivent être accessibles, se dérouler en dehors des heures de travail et les méthodes pédagogiques doivent être adaptées.
- La faculté de pratiquer leur langue maternelle par les étrangers incarcérés doit être reconnue.
Droit au respect de la vie privée et familiale
- La somme d’un euro créditée sur le compte téléphonique des arrivants est insuffisante pour les communications à l’étranger. L’accès au téléphone est compliqué par des formalités impossibles à réaliser, des coûts prohibitifs et des heures d’accès au téléphone inadaptées au regard des décalages horaires. Pour ces raisons, et d’autres expliquées par ailleurs, le contrôle général revendique l’accès contrôlé aux téléphones portables et à internet.
- L’incapacité de l’administration à ne pouvoir contrôler le contenu d’une lettre rédigée en langue étrangère faute d’en comprendre le sens ne doit jamais conduire à l’absence d’acheminement de cette lettre à son destinataire.
- Les familles venant de l’étranger pour des parloirs devraient bénéficier de facilités particulières dans la prise de rendez-vous, dans les souplesses en cas de retard, dans la durée des parloirs autorisés. De plus ces familles doivent pouvoir recevoir les informations les concernant dans une langue qui leur est compréhensible.
Droit de travailler en détention
- Le contrôle général a constaté que certains établissements refusaient de manière discriminatoire de classer au travail des étrangers en situation irrégulière. Les raisons invoquées, à savoir qu’un étranger ne saurait travailler sans autorisation administrative ou sans numéro définitif de sécurité sociale, ne sont pas pertinentes dès lors que le travail pénitentiaire échappe aux lois communes sur le travail et qu’un numéro de sécurité sociale provisoire est suffisant.
Démarches relatives au droit au séjour des étrangers
- Certains établissements comportant une forte population étrangère sont encore dépourvus de « point d’accès au droit » ou de présence associative alors que ces dispositifs sont très sollicités en matière de droit des étrangers. Quand ils existent, leurs effectifs et la présence d’interprètes ne sont pas nécessairement adaptés aux besoins. Les préfectures ont des difficultés à reconnaître leur rôle.
- La possibilité de demander l’asile est un droit fondamental qui subit deux limites en détention. De fait il est très difficile de déposer une demande (défaut d’information, encouragement par les « PAD » au report de la demande à la sortie, absence d’interprète…). En outre, de nombreuses préfectures refusent systématiquement l’admission provisoire au séjour au motif d’une menace grave à l’ordre public. S’ensuit un placement en procédure « prioritaire » qui ne garantit pas un examen suffisamment sérieux des demandes d’asile.
- Il est matériellement difficile d’obtenir ou de renouveler un titre de séjour au cours d’une incarcération. Une circulaire du 25 mars 2013 est intervenue pour faciliter ces démarches, cependant elle n’est pas encore complètement mise en œuvre. Un temps précieux est perdu. Aucun étranger ayant droit à un titre de séjour ne devrait être pénalisé dans ses démarches administratives du fait de la détention, sauf en cas d’interdiction judiciaire du territoire ou de mesure administrative d’éloignement.
- Certains juges de l’application des peines accordent libéralement des permissions de sortir afin que les étrangers puissent aller en préfecture déposer leurs dossiers. D’autres non, alléguant une situation irrégulière au regard du séjour. Pourtant, une décision d’abstention pour ce motif conduit à maintenir l’intéressé dans la situation qui lui est précisément reprochée.
Aménagements des peines
- L’absence de titre de séjour prive de fait les étrangers de la possibilité de rechercher un contrat de travail, une formation ou de bénéficier de prestations sociales et donc de satisfaire aux conditions permettant un placement en semi liberté ou encore en liberté conditionnelle. Ces obstacles ne devraient pas exister si ces personnes justifient d’un droit au séjour.
- La possibilité donnée au juge de l’application des peines d’ordonner la libération conditionnelle « expulsion » d’un étranger faisant l’objet d’une mesure d’éloignement, nécessite une entente avec le préfet qui doit l’exécuter et l’admission de l’étranger par les autorités de son pays d’origine. Certains magistrats ont recours à des libérations conditionnelles dites « retour volontaire », cette pratique devrait être encouragée.
- Les étrangers peuvent demander à exécuter leur peine dans un établissement de leur pays d’origine mais cela n’est possible que s’il existe des accords bilatéraux autorisant ce type de transfèrement. La France devrait œuvrer à l’élaboration par les Nations Unies d’une convention internationale en la matière.