Rapport de visite du centre pénitentiaire de Majicavo (Mayotte)
Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, aux ministères de la justice et de la santé auxquels un délai de huit semaines a été fixé pour produire leurs observations. A la date de publication de ce rapport, aucune observation n’a été produite.
Suivi des recommandations à 3 ans – Centre pénitentiaire de Majicavo
SYNTHESE
Six contrôleurs ont effectué une visite du centre pénitentiaire (CP) de Majicavo à Mayotte, du 13 au 21 juin 2016. L’ancien établissement, aujourd’hui détruit, avait été contrôlé en mai 2009 et avait fait l’objet de recommandations publiées au Journal officiel.
- La destruction de l’ancienne maison d’arrêt, vétuste et exiguë, et la construction du nouveau centre, moderne et fonctionnel, ont indéniablement amélioré et assaini les conditions de détention dans un contexte mahorais soumis à de graves tensions.
Le nouvel établissement a été construit à la place de l’ancienne maison d’arrêt, qui a été entièrement détruite. La dernière phase des travaux s’est achevée en décembre 2015, soit six mois avant la visite du CGLPL.
La capacité théorique de l’établissement est passée de 90 places dans l’ancienne maison d’arrêt à 278 places dans le nouveau centre, permettant de connaître aujourd’hui un taux global d’occupation (102 % avec 284 personnes détenues) bien en deçà de celui relevé en 2009 (240 % avec 216 personnes incarcérées).
Les conditions de détention n’ont plus rien à voir avec celles de 2009. Doté d’une structure à l’architecture standardisée, le CP de Majicavo présente aujourd’hui une conception quasi identique à celle des nouveaux établissements construits en métropole. Les bâtiments cellulaires y ont remplacé les dortoirs de l’ancienne maison d’arrêt où sévissait hier une promiscuité intolérable.
Mais il reproduit aussi les mêmes défauts, en termes de dispersion des espaces – les déplacements entre les secteurs d’hébergement et les espaces communs sont compliqués – et de mise à distance du personnel et des services par rapport aux personnes détenues.
La mise en service de la nouvelle structure a été réalisée dans un contexte général de tension à Mayotte, dont l’impact a été ressenti au sein de l’établissement : d’une part, le nombre de placements en détention a augmenté brutalement, mettant d’emblée le quartier de la maison d’arrêt des hommes à saturation par rapport à son nombre de places ; d’autre part, les difficultés économiques et sociales de l’île ont rendu plus difficile la mise en place d’activités.
Les acteurs locaux sont, en outre, apparus soumis à un stress important, lié aux difficultés de circulation routière (temps de trajet considérablement allongés et insécurité ressentie lors des déplacements routiers), qui a des répercussions sur l’état d’esprit de certains professionnels qui s’interrogent publiquement sur l’amélioration des conditions de détention au profit d’une population pénale issue majoritairement d’une immigration clandestine vilipendée par l’opinion publique. L’état exsangue des services administratifs n’est pas sans conséquence sur les difficultés logistiques et l’état d’esprit du personnel.
Au moment du contrôle, le nouvel établissement n’avait fait l’objet d’aucun audit de fonctionnement ni de réunion de son conseil d’évaluation. Si cela n’a pas été fait depuis, il conviendrait de l’organiser au plus vite afin d’aider les responsables dans leur analyse des premiers temps d’activité de la structure.
- Sitôt ouvert, le quartier de la maison d’arrêt des hommes (MAH) s’est retrouvé saturé.
La pression judiciaire à l’incarcération n’a pas été freinée, au contraire, par la construction du nouveau centre. Avec une capacité de soixante-seize places, le quartier MAH a été manifestement sous-dimensionné et, au moment du contrôle, le droit à l’encellulement individuel n’y était respecté que pour 4 % des personnes alors que trente-cinq d’entre elles n’avaient même pas de lit, dormant sur un matelas à même le sol.
Dans des conditions, certes bien différentes de celles constatées en 2009, les personnes détenues sont de nouveau entassées à l’intérieur de ce quartier et subissent désormais la promiscuité au sein des cellules.
Les possibilités d’extension de la capacité ayant déjà été épuisées après la décision du chef d’établissement d’utiliser une demi-aile du quartier centre de détention (CD) pour faire face à la situation, la seule solution pour l’administration pénitentiaire et les autorités judiciaires consiste à développer les mesures alternatives à l’incarcération.
- Hormis au quartier des mineurs, le quotidien des personnes se caractérise par l’ennui.
Malgré des postes supplémentaires de moniteurs de sport, d’enseignants ou d’intervenants associatifs, l’offre d’activité socioprofessionnelle ou d’enseignement est insuffisante au regard de l’effectif croissant des personnes détenues. Les possibilités de travail en atelier et de formation professionnelle sont quasi-nulles.
Le manque d’activité est particulièrement criant au quartier CD où les personnes errent, désœuvrées, toute la journée dans les coursives ; de même, au quartier des femmes, où ces dernières n’ont pas accès à l’enseignement et ne doivent leur participation à une séance de sport qu’à la bienveillance d’une surveillante à leur égard.
Les locaux et les crédits disponibles permettraient de développer une offre intéressante d’activités socio-culturelles mais les conflits ainsi que le défaut de coordination et d’organisation de l’ensemble des partenaires (association, SPIP, établissement) ne permettent pas une utilisation optimale de ces moyens disponibles.
- La prise en charge globale des mineurs à Mayotte reste très problématique.
Les conditions de détention des mineurs se sont considérablement améliorées, avec un encadrement éducatif efficient et une prise en charge pluridisciplinaire de qualité entre l’administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse.
La situation à l’extérieur est beaucoup plus critique. A Mayotte, les mineurs sont livrés à eux-mêmes et connaissent une situation difficile faite d’errance, de malnutrition, de violences au sein de bandes… Les dispositifs de protection de l’enfance ne sont pas en mesure d’assurer leur mission. En outre, depuis le précédent contrôle en 2009, la question de la post-incarcération n’a pas connu d’amélioration : les seuls dispositifs alternatifs à l’incarcération – un centre éducatif fermé (CEF) et un centre éducatif renforcé (CER) associatifs – sont installés à la Réunion et ne peuvent répondre aux besoins. Faute de dispositif d’accueil en hébergement et en l’absence massive des familles les mesures d’aménagement de peine ne peuvent être mise en œuvre.
Dans ce contexte, les trente places du quartier des mineurs constituent l’offre d’accueil la plus importante et la détention peut être paradoxalement perçue comme une amélioration des conditions de vie des mineurs dans l’île. Si cette amélioration est à saluer, elle ne peut constituer, à elle seule, une réponse à la délinquance des mineurs. Sans évolution de la prise en charge globale des mineurs, en amont et en aval, la lutte contre la récidive paraît avoir peu de chance d’aboutir.
- Le sentiment d’abandon s’ajoute au désœuvrement.
Le SPIP est en difficulté et semble inaccessible pour les personnes détenues, qui ne sont pas toutes en mesure de communiquer avec le personnel. Compte tenu des difficultés économiques et sociales de l’île, la politique d’aménagement de peine est restreinte malgré la bonne volonté du magistrat.
Le dispositif d’accès aux droits n’en est qu’à ses prémisses au sein de l’établissement. Des efforts notables doivent être apportés sur la régularisation de la situation administrative, sur le renouvellement des papiers d’identité et sur les droits sociaux. La carence des avocats est constante.
La présence en détention des surveillants et de l’encadrement est réduite au strict minimum. Selon l’état d’esprit dominant, « ils sont mieux ici que dehors » et l’établissement est souvent qualifié d’« hôtel 5 étoiles ». Au-delà de ces considérations primaires, les contrôleurs ont été frappés par le décalage entre l’appréciation faite par le personnel sur le ressenti des personnes détenues (« ils sont bien, ils sont dociles ») et le ressentiment et la colère exprimés lors des entretiens, nourris du sentiment d’être laissés pour compte (notamment les nombreux Comoriens sans soutien et communiquant difficilement), de ne pas recevoir de réponse aux demandes et d’être soumis à l’arbitraire.
- Enfin, concernant spécifiquement l’organisation des soins, globalement correcte au sein de l’unité sanitaire, deux points méritent d’être relevés.
D’une part, du fait qu’une proportion importante de personnes détenues ne parle pas le français, il peut être fait appel à du personnel de surveillance d’origine mahoraise pour assurer la traduction des échanges avec les professionnels de santé, principalement métropolitains. Il paraît utile de mettre en œuvre un mode d’interprétariat plus respectueux des droits des patients et de la confidentialité des échanges médicaux.
D’autre part, les consultations médicales à l’hôpital se déroulent dans des conditions insatisfaisantes. Les extractions médicales sont organisées avec un certain systématisme dans l’utilisation des mesures de contrainte et s’agissant de la présence des agents d’escorte pendant les examens ou les consultations. La garantie de la confidentialité des soins et du secret médical et le respect de la dignité des personnes justifieraient qu’un travail conjoint soit mené par les acteurs hospitaliers et pénitentiaires dans les plus brefs délais.